Fourn Mendome, donner un centre au monde

Print Friendly, PDF & Email

Il est donc dit que partout et en tout temps, les arts sont faits pour se rencontrer, que la littérature, par exemple, est faite pour dialoguer avec la peinture. C’était le cas entre Baudelaire et Delacroix, entre Malraux et les arts africains, c’est le cas aujourd’hui entre ma plume et le pinceau de Fourn Mendome, jeune peintre avec lequel je partage une certaine passion des Masques. Le défi est terrible parce que je manque d’éléments théoriques pour évaluer son œuvre, n’ayant pour moi que ma sensibilité aux choses et une certaine habitude de l’analyse sémiotique, qui risque d’appauvrir cette œuvre au lieu de l’enrichir, mais c’est un risque que je veux prendre compte tenu de l’importance que prend peu à peu la peinture dans notre pays commun.

Fourn Mendome, est l’auteur d’une œuvre fondée sur la peinture, mais qui fait intervenir manifestement un certain nombre de techniques et de matériaux qui rappellent la sculpture, la céramique, la fonderie, le collage, etc.
Dans l’atelier qu’il partage avec son ami, le sculpteur Jean Ghalbert Nzé, cinq pièces m’interrogent et me mettent au défi de les décrypter. Elles s’appellent : Mon ordre matériel défini, exécuté ; Ngontang, L’Erudit, Pour mémoire et Ventil’arteur, toutes datées de 2003. Je les regarde, je les fouille, je les scrute, à la recherche de leur point d’intersection. Mais l’épreuve est ardue, car les œuvres semblent à première vue très différentes les unes des autres. Or, voici que, à force d’insister, la réponse me vient, comme une révélation ! Ces cinq œuvres ont en commun une quête presque maniaque de l’ordre, de l’équilibre, de la symétrie. Fourn Mendome manifeste dans ces cinq œuvres la recherche d’un équilibre social, spirituel, écologique, cosmogonique, etc. Ce que confirment les premières lettres de chaque mot du titre Mon Ordre Naturel Défini, Exécuté. Prises ensemble et dans leur ordre d’apparition, elles donnent le mot MONDE. Ce monde que le peintre appelle de ses vœux et que la peinture lui permet de figurer. Il trahit ainsi le besoin d’un ordre immuable, fixe, permanent ; le besoin d’un  » monde « , organisé, articulé, qui serait le sien propre et dont il serait le centre. En tous les cas, qui supposent un centre fort, majeur, fondamental.
Toutes ces œuvres, en effet, sont basées sur un centre autour duquel gravitent un certain nombre de satellites qui entretiennent avec le centre (et entre eux) un rapport qui est toujours de symétrie, d’équilibre.
Dans L’Erudit ce centre est une figure d’homme silhouettée dans un triangle isocèle dont chaque côté est perpendiculaire à un autre petit triangle isocèle renversé. A chaque angle du triangle principal un coquillage amplifie, double la pointe. C’est donc une œuvre de la redondance, de la réflexivité, une œuvre spéculaire à la Magritte, dont les motifs se répètent à volonté, indéfiniment, éternellement.
Ainsi le visage reste central dans l’œuvre majeure qu’est Mon ordre… Il apparaît – se révèle – de façon saisissante au milieu d’un décor presque nu, à l’exception de quelques signes ésotériques invisibles de trop loin. Les deux yeux rapprochés et la bouche légèrement tordue comme par l’étroitesse de l’espace semblent interroger le spectateur, et l’avertir des dangers qu’il y aurait à aller plus loin dans l’investigation. Halte au non-initié !
Quand le visage n’est pas représenté, il prend la forme d’un masque blanc punu dans Le Ventil’arteur, ou d’une inattendue tête de poupée dans le Ngontang.
Toutefois, si dans Mon ordre naturel et L’érudit, le visage est le centre principal des œuvres, les visages du Ventil’arteur et de la Ngontang retrouvent leur place biologique naturelle, au sommet d’un assemblage qui rappelle celui des masques traditionnels.
Dans le Ventil’arteur, le masque blanc est au centre des visières d’un ventilateur, de sorte que le visage soit encerclé par un trou ménagé au milieu de la visière avant. L’intention semble claire, il s’agit comme dans Mon ordre naturel ou dans L’érudit de focaliser le visage du masque, creuset d’une connaissance à diffuser, la même que propose L’Erudit avec son jeu de clés, de cauris, de nœuds divers, qui suggèrent autant de paliers de connaissances à atteindre et à dépasser. Quant au corps du Ventil’arteur, il consiste en deux arcs de cercle (celui de la visière) opposée en miroir, et séparés par un petit carré, qui n’est lui-même que la reproduction des deux carrés qui servent de cadre à l’ensemble. Carré, cercle, triangle, losange, figures géométriques donc qui affichent une volonté d’atteindre à un savoir transcendantal, à une connaissance, à la Vérité profonde des choses.
Le Ngontang expose sur une toile de jute toute simple, une tête de poupée aux cheveux blonds ébouriffés, au-dessus d’un centre constitué par une liane épineuse séchée et repliée sur elle-même en une figure de cor de chasse. Corps intérieur ou se devine les vertèbres : une flèche pointée vers le haut séparant deux alignements de points blancs et rouges… Rouge, blanc, noir les trois couleurs fondamentales dont le peintre fait un usage répétitif à l’image de l’ensemble. Rouge des 4 bandelettes qui suggèrent la croix du Ventil’arteur, rouge-ocre de la toile de L’Erudit, rouge du sang dans Pour mémoire…
Dans cette œuvre particulièrement engagée, le centre consiste en un bocal contenant des balles autour duquel gravitent huit autres bocaux agencés en un losange. Ces bocaux contiennent des manchettes de journaux qui évoquent des catastrophes diverses, locales ou lointaines, contemporaines ou anciennes. Des noms écrits en rouge, des taches de sang, une bouche ensanglanté affirment le drame et la tragédie parmi la blancheur étale du monde, blancheur obtenue au moyen d’un savant mélange de glaise et de peinture.
Ces deux matériaux traduisent à eux seuls tout le déchirement du peintre : la volonté de communier avec la nature et le cosmos par l’usage de matériaux premiers (glaise, kaolin), mais à l’inverse, le recours à des matériaux chimiques et même de récupération, comme pour témoigner des réalités de son temps : un ventilateur, la tête d’une poupée, de simples planches d’okoumé, du contreplaqué, des calebasses, de bocaux, des manchettes de journaux, des plumes, des ossements, des épingles, des clés, de la toile de jute, etc.
Voici donc une œuvre où se mêlent différents mondes, le passé et le futur, l’écologie et l’industrie, les rites et la science, comme pour signifier qu’une seule chose compte, de leur donner un sens, un Centre. Le peintre serait-il celui-là ?

///Article N° : 3261

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
Les images de l'article





Laisser un commentaire