Les 5e Rencontres de la photographie africaine de Bamako (2003)

Les Rencontres de Bamako ?

Print Friendly, PDF & Email

Malgré l’intérêt du thème mis en avant cette année  » Rites sacrés, rites profanes « , les 5es Rencontres de la photographie africaine de Bamako ont été une édition faible où rencontres et débats, voulus par les organisateurs, ont été finalement placés au second plan.

Bamako, mardi 21 octobre 2003, les 5es Rencontres de la photographie africaine sont déclarées ouvertes par le président du Mali, Ahmadi Toumani Touré, au Musée national.
Sont présents les représentants de l’Association Française d’Action Artistique (AFAA) et de la Communauté européenne, principaux bailleurs de fonds de ce festival, ainsi que de nombreux photographes invités, journalistes et autres personnalités de la photo.
En débutant les visites des différentes expositions, en allant parfois à contre-courant des inaugurations, nous conservons à l’esprit les propos du directeur artistique des Rencontres, Simon Njami, sur cette 5e édition :  » la biennale africaine ne peut pas se permettre d’être uniquement une gigantesque exposition, un rassemblement de photographes et de professionnels. Elle doit être un lieu de débats et d’innovation, un lieu de rencontres et de confrontation.  »
Ces mots rejoignent les attentes du visiteur, résumé dans le mot  » rencontres « . Rencontre avec la création africaine à travers les images exposées : rencontre de sa richesse mise en valeur par le travail du directeur artistique et des commissaires ayant travaillé sur ces expositions ; rencontres humaines aussi : professionnelles et/ou amicales avec les photographes exposés, avec les personnalités du monde de la photographie présentes, mais aussi avec la population malienne.
Le programme de la semaine est donc chargé : chaque jour une inauguration dans l’un des différents lieux consacrés (les principaux cette année : Musée national, palais de la Culture, Mémorial Modibo Keïta, musée du District), ainsi que d’autres inaugurations, comme les Contours organisés par Chab Touré (galériste) et des séminaires (au nombre de quatre, un chaque après-midi sauf le mardi).
A la rencontre des images
Premier lieu : le palais de la Culture où est accrochée l’exposition internationale, ayant pour thème  » Rites sacrés, rites profanes « . Vingt photographes africains et de la diaspora y sont réunis. Le parcours se fait sur trois niveaux (rez-de-chaussée et les deux étages du Palais). La couleur côtoie le noir et blanc, les techniques traditionnelles le montage numérique. Les travaux portent sur des sujets différents : rituels chrétiens ou musulmans, dans des églises ou des lieux privés ; des sujets plus documentaires sur des pratiques rituelles comme la cérémonie du thé ou le hammam dans les pays maghrébins ; des autoportraits ; la relation au corps, au maquillage, aux corps-à-corps ; la mode ; la ville. Peu à peu, en parcourant les trois niveaux de cette exposition, le visiteur passe du sacré au profane, des rituels au rite créé par le seul photographe.
Les images se succèdent, peu ou mal éclairées, difficilement mises en valeur dans un espace peu lumineux. De plus, cette succession est malaisée à lire, à la lumière du thème. Certains travaux ne semblent pas y trouver leur place. Ou bien est-ce plutôt ce thème qui laisse trop de champ libre et permet l’intégration de nombre d’images sans liens réels entre elles ?
Ces questions deviennent plus prégnantes encore au deuxième étage, plutôt dévolu aux explorations plasticiennes. La scénographie ajoute à ce sentiment de confusion – mais peut-être est-ce là une des  » innovations  » dont parlait Simon Njami – avec des séquences présentées de manière éclatée.
Il est à noter néanmoins que les tirages réalisés sont de qualité et l’encadrement ou le collage sur aluminium impeccablement professionnels. Tout cela a été réalisé en France par les meilleurs spécialistes.
Le premier écueil que Simon Njami souhaitait éviter semble malheureusement se retrouver ici : dans un souci de présenter un nombre conséquent de photographes et d’images, le thème, pourtant intéressant dans une Afrique qui bouge, se dilue, en outre desservi par la mise en place des images. Et l’on se retrouve devant un panorama des possibles de la création africaine.
Une belle surprise néanmoins, ne faisant pas partie de cette thématique : un mur d’images réalisé par un collectif de photographes gabonais, Gabon Igolini*, ensemble de 250 photocopies couleur en format A3, produit d’un atelier de trois semaines réalisé au Gabon dans le cadre des Ports d’Afrique. De l’avis de beaucoup, ce mur était sans aucun doute l’œuvre la plus étonnante, moderne et  » chercheuse « . C’est en effet l’Afrique qui bouge, une Afrique libre d’expression. Celle que l’on est venue chercher et découvrir au cours de ces Rencontres.
Deuxième lieu : la Bibliothèque nationale. Lieu quelque peu excentré, où d’emblée on se demande qui viendra jusque-là pour visiter les expositions.
Nabil Boutros y expose une monographie sur les Coptes en Egypte, sur deux salles. Travail en noir et blanc émaillé de quelques images en couleur. Il nous dévoile une Egypte pas toujours bien connue ; peut-être est-ce pour cette raison que ce travail semble avoir reçu un écho favorable auprès du public des Rencontres ?
Deux étages plus haut, on découvre les expositions nationales égyptienne, sénégalaise et zimbabwéenne. Les commissaires ont pris, pour chacune, des partis de présentation différents. Si l’exposition nationale égyptienne se veut plutôt un état des lieux de la création contemporaine dans ce pays, l’exposition zimbabwéenne est plutôt photojournalistique. Chacune, néanmoins, semble accorder un espace à la mémoire, travail d’un ancien photographe par exemple.
Regards enfin sur l’exposition  » Iluminando Vidas  » des photographes mozambicains présentée en Suisse, et qui a fait beaucoup parlé d’elle en bien. Il est vrai que le Mozambique est l’un des rares pays africains à faire une large place à la photographie. La monographie de Ricardo Rangel présentée à la biennale précédente avait permis d’en témoigner, en présentant l’œuvre d’un artiste de talent.
Ces expositions, plus unifiées sans doute puisque monographique ou nationales, laisse dans leur ensemble un peu le même sentiment qu’au palais de la Culture : on fait face ici à un panorama de la création photographique dans ces pays, montrant par exemple que la création égyptienne est plus proche de l’Occident dans ce qu’elle présente que celles du Sénégal ou du Zimbabwe. Est-ce le lieu où réside les photographes ? leurs formations ? quels sont les apports qui différencient ainsi les pratiques et intérêts photographiques ? L’esprit plein de questions, le visiteur continue le tour des expositions.
Trois lieux encore : le Mémorial Modibo Keïta, le Musée national et le musée du District.
Dans le premier sont présentés les photographes cubains. Espace lumineux, aéré. Le désir de présenter un état des lieux de la photographie cubaine est clairement saisissable. Les photographes africains avec qui nous avons discuté sont plutôt satisfaits de pouvoir être confrontés à une photographie visiblement en lien avec leur continent. Quelques travaux parlent de l’esclavage ; d’autres ont une tendance nettement plus conceptuelle, plus contemporaine.
Entre-temps, retour au Musée national où l’inauguration étant passée, l’ensemble des visiteurs a déserté la salle. Beau lieu. Sobre. Volonté scénographique plus affirmée, des panneaux de couleur noire séparent bien les différents photographes exposés. Les lumières servent les images présentées. Une dizaine de portraits rend hommage au travail de Seydou Keïta. Travail sur les motifs, rendu des expressions, on ne peut que saluer le talent du photographe décédé. Plus loin, lui répond Van Leo (Egypte) à travers ses portraits. Même époque, autre pays, autre façon de voir. Il est intéressant de réunir en ce même lieu deux témoignages de la photographie africaine de la première moitié du xxe siècle.
Une monographie de Santu Mofokeng vient côtoyer ces deux photographes, ainsi qu’une sélection de photographes venus d’Allemagne, premier pays occidental à être invité aux Rencontres. Présenter aux visiteurs africains les pratiques photographiques d’un pays occidental est une initiative porteuse qui peut éveiller le regard à la critique, d’autant que le commissaire est ici un photographe nigérian.
Enfin, le musée du District où sont exposés neuf photographes africains et français ayant travaillé sur des ports d’Afrique (Guinée, Nigeria, Sao Tomé, Gabon, Congo, Angola). Travail de commande initié par Vincent Gaston, alors directeur du Centre culturel français de Douala et financé en partie par Proculture (programme européen pour la culture en Afrique centrale) et la Coopération française, la scénographie (séquences, blocs d’images ou présentation plus classique) donne plus de force à la diversité des regards et aux pratiques photographiques variées. Les perceptions des photographes sur ces univers portuaires, rendues en couleur ou noir et blanc, offrent une visite dans une exposition cohérente, ayant une vraie unité.
Questionnements
Tout en parcourant ces différents lieux d’exposition, tâchant de se laisser imprégner par les images présentées, de nombreuses questions se posent au visiteur.
La première impression ressentie au palais de la Culture s’est confirmée au fur et à mesure du parcours : l’écueil qui voulait absolument être évité est finalement avéré. Nous sommes devant une  » gigantesque exposition  » mais la confrontation d’idées, le débat ne se ressentent aucunement. Le visiteur se retrouve devant une juxtaposition d’images tant pour l’exposition internationale que pour les expositions nationales. On découvre là plus une vitrine de la création africaine qu’une réflexion sur ce qu’est cette création photographique sur le continent. Il aurait pu être intéressant d’avoir des expositions moins importantes en nombre de photographes et d’images présentés, mais donnant au visiteur des éléments de réponse à ce qu’est la photographie africaine aujourd’hui. Peut-elle réellement exister ? A-t-elle même une réalité, si oui quelles sont ses caractéristiques ? Ou bien est-elle, sans étiquette géographique ou culturelle, une simple partie de la création photographique mondiale ?
Ces questions restent en fait sans réponse au sortir de cette édition des Rencontres, avec de surcroît le sentiment d’une création en perte de vitesse, après la biennale de 2001. De fait, le visiteur est en droit de se demander, à la suite des affirmations du directeur de l’AFAA, Olivier Poivre d’Arvor, et du président d’Afrique en créations, Ibrahim Loutou –  » le programmme Afrique en créations de l’AFAA, dont l’objectif est de faire connaître et reconnaître la création artistique africaine, s’attache avec des partenaires choisis à développer la circulation des artistes et des œuvres sur tous les continents  » -, quel rôle ont ces Rencontres dans l’émergence et la visibilité de la photographie africaine ?
Dans un continent où le marché de la photographie (photojournalisme, création) est quasi inexistant, une collaboration plus forte, la mise en avant de structures indépendantes, d’initiatives africaines serait certainement porteuse. Selon Héric Libong, directeur de la photographie à Panapress (agence de presse africaine, développant un pôle photo important et de fait travaillant avec de nombreux photographes africains à travers le continent), cette absence est bien regrettable. Tout d’abord sollicité par Simon Njami et la commissaire de l’exposition nationale du Sénégal pour leur présenter des photographes lors de la sélection des travaux, il a été invité à animer un séminaire sur les agences photographiques. Mais devant le déroulement des Rencontres, son sentiment était  » une grande frustration, voire de la colère, avec une impression forte que cet événement n’était finalement organisé que par et pour une nomemklatura de la photographie française « , n’alimentant que le marché français (voire occidental) de la photographie, sans laisser de place véritable aux initiatives ayant lieu sur le continent. Pourtant, les Rencontres ne devraient-elles pas favoriser l’émergence d’un marché en Afrique, amener les organes de presse à réfléchir et changer leur utilisation de l’image (afin que le marché de la photographie africaine ne soit plus à 90 % occidental), présenter les initiatives éventuelles de galéristes ou d’autres festivals photos du continent ?
Dans le même sens, pourquoi ne pas développer les ateliers et séminaires et en faire un véritable pôle de production ? Pourquoi ne pas envisager de faire travailler des stagiaires en amont du festival pour que le résultat soit exposé lors de l’édition suivante, à l’exemple de ce qui a été fait au Gabon ? Qui, avant cet atelier, pensait qu’un tel potentiel existait dans ce pays ? Cela a permis l’émergence de jeunes talents et c’est sans doute là, dans des actions de ce genre, que réside l’avenir de la création photographique en Afrique.
Pourquoi, lors des Rencontres, ne pas proposer des stages encadrés par des photographes ou des gens d’image professionnels sur le modèle de ce qui est fait à Arles ? Un atelier était organisé dans le cadre du journal du festival, BKO-Photo, avec un petit nombre de photographes, sélectionné avant les Rencontres. Il y a eu ainsi peu d’élus ; pourtant nombre de photographes africains auraient sans douté aimé participer à des ateliers, leur parlant de technique, leur montrant des pratiques, les faisant réfléchir à leur propre appréhension du monde et du médium photographique.
Les séminaires proposés n’étaient que peu suivis. Seules huit personnes (dont un photographe africain) ont assisté au séminaire animé par Héric Libong et Gilles Coulon sur le fonctionnement des agences et collectifs. Les autres séminaires (notamment sur l’enseignement de la photographie à Maputo ; genre et styles photographiques dans la presse) n’ont guère connu plus de fréquentation alors que les sujets proposés étaient passionnants et les intervenants, des professionnels connaissant bien le sujet. N’est-ce pas dans ces espaces d’échanges que le débat et l’enrichissement étaient possibles ? Or, dans la programmation de la semaine professionnelle, ils semblent tout à fait secondaires ; l’absence de traduction ne permet pas à un public anglophone ou lusophone de suivre.
Pourtant, n’est-ce pas là, sur ces ateliers et séminaires, que devrait être mis l’accent pour permettre aux photographes africains de prendre possession des outils, moyens et connaissances pour se faire connaître, de leur propre initiative, entre deux biennales, voire leur permettre à l’avenir d’être les promoteurs de leur propre festival ?
Toujours dans la même logique, les Rencontres ont souffert de l’absence d’un lieu de rencontres. Les jeunes photographes africains que nous avons côtoyés, venus du Gabon ou du Burkina Faso, n’ont pas trouvé d’espace où rencontrer d’autres personnes confrontées aux mêmes réalités qu’eux, ou au contraire prêtes à partager une vision différente de la photographie. Lors de l’édition précédente, des lectures de portfolios étaient organisées, le palais de la Culture (ou l’hôtel l’Amitié où logeait la majorité des invités) faisait office d’espace de rencontres. Cette année, ceci a été tout simplement occulté.
Des rencontres populaires ?
En guise de  » fête populaire « , pour reprendre l’expression du ministre français délégué à la Coopération et à la Francophonie Pierre-André Wiltzer, c’est l’absence du public malien qui s’est le plus remarquée lors des visites des expositions. En dehors des heures d’inauguration, les salles restent désespérément vides, voire fermées à clé par les gardiens dans l’attente d’un visiteur. A nouveau se posent des questions : quel suivi, une fois la semaine professionnelle finie ? Quelle démarche est entreprise pour amener les Maliens, jeunes et moins jeunes, à venir dans ces espaces, s’approprier les images présentées ?
Quelle est la volonté réelle des organisateurs, tant le gouvernement malien que les bailleurs de fonds et directeur des Rencontres, de permettre aux Bamakois une vraie rencontre avec la photographie ? Pourtant, la tradition de l’image est bien présente au Mali et le nombre de photographes de studio ou ambulants le montre bien.
L’une des manifestations vraiment populaires prévue n’a pu être réalisée : une  » caravane « , exposition itinérante dans la ville de Bamako. Son absence n’a pu nous être expliquée par les organisateurs.
Contours
Finalement, un exemple de ce que pourraient être les Rencontres se retrouve à nouveau autour de la galerie Chab. Le directeur de cette galerie photo, Chab Touré, a réussi à organiser un événement permettant à la population du quartier de voir, regarder, participer et aux photographes de s’y retrouver. Les expositions dans la rue, les projections nocturnes ont permis de vraies rencontres, de vraies fêtes accompagnées de musiciens. L’image de ce petit garçon, regardant pensif la photographie d’un goal sur l’un des murs du quartier, symbolise bien cela.
Comme en 2001, où la rue photo avait été félicitée, c’est ici encore que l’on a sans doute le mieux retrouvé ce que devrait être l’esprit des Rencontres de la photographie africaine, avec à la galerie présentées des images de photographes sud-africain, français travaillant en Afrique, partageant un regard sur le continent, ayant des pratiques photographiques tout à fait différentes. Le petit nombre d’images présentées n’empêchait aucunement de sentir cette unité dans l’exposition. Là encore, l’avis était unanime. La  » véritable fête populaire  » a eu lieu ici et les vraies rencontres sans doute aussi…

* Les travaux de Gabon Igolini sont présentés sur notre site www.afriphoto.com///Article N° : 3225

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
Les images de l'article
Exposition "Ports d'Afrique", Alain Willaume, Douala, Cameroun.
Mercedes, entraîneuse de cabaret, Le Caïre, 1945, Van Leo (Egypte) © FAI





Laisser un commentaire