Une écriture à deux mains

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Histoire d’une rencontre qui donnera lieu à un polar co-écrit et coédité. L’écriture à deux mains est une réussite, mais le livre reste très peu diffusé en Afrique.

A l’origine de ce roman, il y a une très simple histoire de voisinage et d’amitié.
Alpha Mande Diarra avait déjà publié son premier roman (Sahel, Sanglante sécheresse. Ed Présence Africaine 1981) quand, en 1987 mon voisin, un Malien, comme lui, me l’a présenté. J’avais moi aussi publié un livre.
Cette année-là, j’ai fait un premier voyage en Afrique de l’Ouest (Sénégal, Mali, Burkina-Faso).
Après des études et un mariage en France, Alpha est retourné seul travailler comme vétérinaire au Mali.
Un jour, bien des années plus tard, il est passé me saluer comme il le faisait toujours quand il était de passage en France. Il avait entre temps publié un second roman (La Nièce de l’Imam, aux Editions Sépia) et j’avais moi aussi continué à écrire, entre autres pour la jeunesse. Il m’a parlé de la difficulté pour un écrivain de travailler en Afrique. Personne ne comprend le besoin de solitude de l’écrivain, on le tient pour un peu fou, et gravement asocial, m’expliquait-il. Je proposai, un peu en matière de plaisanterie, de venir soutenir son effort.
Et je me pris moi-même au mot. Depuis mon premier voyage, douze ans plus tôt, j’avais très envie de retourner en Afrique, et en particulier au Mali et au Burkina. Mais je voulais y aller avec un projet. Je proposai donc à Alpha de venir le voir, et de travailler ensemble, sur un recueil de contes, ou, pourquoi pas, sur un roman-policier jeunesse. Bien qu’il n’ait jamais écrit pour la jeunesse, l’idée l’enthousiasma.  » Ras le bol des contes dans lesquels on enferme la culture africaine, allons-y pour un roman policier « , me répondit-il.
Et c’est ainsi que je débarquai un soir à Bamako, puis à Fana où mon écrivain travaillait toujours comme vétérinaire.
Après les premières séances de réflexion collective afin de trouver les grandes lignes et le cadre de l’histoire, les choses se sont assez vite et très naturellement ordonnées. Alpha débordait d’idées. Il travaillait souvent la nuit et m’apportait le matin des feuilles manuscrites. J’écrivais à l’ordinateur, choisissais, rédigeais, dialoguais… Il avait loué pour moi deux pièces dans une cour où je partageais un puits avec les autres habitants. Il passait me voir en fin d’après midi, après son travail, ou c’est moi qui allais le retrouver à son bureau et nous lisions ensemble ce que j’avais écrit, nous en discutions, et des suites possibles…C’est lui qui trouvait les situations, moi qui les faisais vivre. Je passai aussi quelques jours à Bamako, m’imprégnant de la poussière rose de la ville et de ses chemins de latérite, de ses règles et de ses désordres, du rythme des jours, des lumières.
Après quelques semaines de travail, le roman fut à peu près terminé. Je l’achevai à mon retour en France. Alpha vint passer deux semaines à Paris durant lesquelles nous avons relu, modifié, achevé notre roman.
Nous tenions à trouver un éditeur qui en assure la distribution en Afrique car, même si le roman s’adresse en priorité à de jeunes lecteurs français – d’origine africaine comme notre héros Malik – afin de leur faire découvrir la façon de vivre au Mali, nous voulions aussi être lus par des lecteurs comme Sara, la cousine de Malik, petite Bamakoise d’aujourd’hui.
Ainsi Edicef en coédition avec les Editions du Figuier nous ont-ils paru une bonne place pour ce roman.

Prêt à la fin de l’année 1999, le roman fit son baptême public au Salon du livre de jeunesse de Montreuil, une banlieue de prédilection à forte concentration malienne, celle où est né Malik, le héros du livre.
Le roman y eut beaucoup de succès. Par deux fois, nous nous sommes retrouvés en rupture de stock lors des dédicaces du roman. Les jeunes écoliers de Paris et banlieue l’achetaient en deux ou trois exemplaires pour eux-mêmes et pour leurs amis africains de classe ou de jeux.
Curieusement, les jeunes Français d’origine africaine n’avaient pas la même réaction enthousiaste que leurs camarades français blancs. Deux raisons me semble-t-il, expliquent ce comportement. D’une part, la majorité de ces enfants est issue d’un milieu familial analphabète qui n’a pas une culture du livre et de la bibliothèque. D’autre part, la permanente image négative que l’environnement médiatique français leur donne de l’Afrique les amène, dans leur obsession à paraître aussi  » civilisés  » que les autres Français blancs, à rejeter tout ce qui est africain, de peur que les copains ne les identifient à cette Afrique arriérée que leur montre la télévision.
Au festival  » Etonnants Voyageurs  » de St Malo en 2002 où l’Afrique était à l’honneur, les écoles avaient étudié la littérature africaine pour des rencontres-débats avec les auteurs. Rencontres passionnantes et mutuellement enrichissantes. On retrouvait les mêmes enthousiasmes, les mêmes émerveillements pour les exploits des personnages du livre, l’intérêt pour les rapports entre petits-enfants et grands-parents en Afrique, les jeunes lecteurs découvraient l’autorité des anciens, les cousinages à plaisanterie, la faune, le Zoo, la Grotte des porcs-épics… Des questions étaient posées sur la part du réel et de la fiction, sur les marabouts , les géomanciens, leurs pouvoirs réels ou supposés.
Au-delà de ces questions spontanées, passionnées et certainement innocentes, l’auteur que je suis a cru percevoir une volonté farouche, tendue des nouvelles générations à saisir la véracité des autres mondes à travers tous les brouillards et fumées des écrans mystificateurs des canaux cathodiques de la mondialisation orientée, les préjugés coloniaux « Y’a bon Banania  » de grand-père et grand-mère, ou du péril noir des hordes de miséreux du Sud envahisseur martelé par les nationalistes aryens.
Au Mali, le livre n’est pas distribué dans le commerce. Le contrat stipulait que les éditions Le Figuier avaient l’exclusivité de la distribution au Mali. Mais seuls 500 exemplaires achetés par la coopération française font l’objet de distributions sporadiques pendant les manifestations littéraires et théâtrales que sont la Fête du livre, le Théâtre des réalités de Bamako ou Etonnants voyageurs de Bamako.
L’accueil du livre par les jeunes collégiens et lycéens est certes aussi enthousiaste, mais de façon différente de celui des Occidentaux. Ici les jeunes lecteurs retrouvent leur milieu, leur ville, leur culture. Les lieux, les couleurs, les odeurs, les sons et bruits leur sont familiers. Ils sont joyeux de les retrouver dans la lecture. De même, ils découvrent avec étonnement, à travers le regard du co-auteur français, les merveilles des choses, des gestes, des sons et lumières, mais aussi des anachronismes de chez eux qu’ils ne voyaient plus par la force de l’habitude. C’est un roman qui continue de passionner la jeunesse malienne dans la mesure, assez faible, où elle y a accès. Nous avions pensé que la coédition serait une solution explorable, mais apparemment il y a encore de la friche à tailler…

Rapt à Bamako, de Alpha Mande Diarra et Marie-Florence Ehret, Editions Edicef-Le Figuier 2000///Article N° : 3195

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