« On veut oublier mais on ne peut pas »

Entretien de Guido Huysmans avec Jacqueline Kalimunda, à propos de Histoire de tresses

Septembre 2003
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Rencontre avec Jacqueline Kalimunda, jeune Parisienne d’origine rwandaise, réalisatrice de « Histoire de tresses », qui a été primé dans différents festivals (Milan, Zanzibar etc).

Histoire de tresses parle d’oubli… Faut-il oublier ?
Oubli, oui Histoire de tresses parle d’oubli. Mais pas de volonté d’oublier. Il me semble que quand on veut oublier, on n’oublie pas. L’oubli arrive lentement, insidieusement, quand on s’y attend le moins. Dans le film, les deux personnages Dorylia la tresseuse (Laurentine Milebo) et Siham la fille qui cherche à se faire tresser (Penda Niang) sont dans l’oubli. Mais cet oubli n’est pas arrivé parce qu’elles le veulent. Il est arrivé, c’est tout.
Pour Dorylia, peut être parce que sa vie est une survie, le recul est impossible. Toute sa vie est tendue vers un seul et unique but :  » travailler « . Du matin au soir, chaque jour. Je me suis inspirée, pour créer ce personnage, de la vie de beaucoup de femmes africaines qui arrivent à Paris avec des rêves plein la tête et qui se rendent compte très vite que peu de métiers s’offrent à elle. Pour des questions de papiers, pour des questions d’habitudes françaises aussi. Si vous vous promenez dans le quartier de Château Rouge à Paris, où j’ai tourné, vous voyez que la plupart des femmes africaines que vous y rencontrez sont soit commerçantes, coiffeuses, nounous ou prostituées. Je ne généralise pas cette situation, mais c’est cette réalité qui m’a inspiré. Comment survivre ?
Pour Siham, la cause de son oubli est plus complexe. Dans le film, j’ai choisi de ne pas trop la définir. Je ne parle pas de son métier. La révélation de sa vie passée, de son lieu de vie arrivent à la fin et restent inscrit dans le mystère de son personnage. Dès le début du film, Siham cherche quelque chose. Elle n’est pas dans une situation de survie urgente comme Dorylia. Mais pourtant, elle est autant en détresse. Elle aussi est dans une situation d’oubli, mais contrairement à Dorylia elle veut se souvenir. Elle veut parler, partager sa mémoire. Elle recherche  » les mains qui apaisent  » son tourment, comme les mains d’un masseur peuvent libérer d’une douleur.
Derrière l’histoire de Siham, je cherche à explorer la dualité de deux femmes par rapport à la mémoire, à la tradition. D’un côté Dorylia enfermée dans le métier traditionnel de tresses. Une femme qui s’accroche à une tradition qui la détruit à petit feu. De l’autre Siham, une femme qui a perdu sa mémoire et qui, désespérément, cherche à rejoindre ses racines. D’un côté les racines qui enferment dans une vision figée de soi même, de l’autre les racines qui fortifient. Les deux femmes sont liées car l’une possède ce que l’autre cherche.
Pour moi ce lien n’aurait pu être exprimé autrement que par le biais d’une pratique aussi intimement lié au corps des femmes : le tressage. Un moment privilégié d’échange intime. Pendant les heures que durent le tressage, tant de choses sont souvent racontées… Et puis on ne se fait jamais tresser par n’importe qui, on ne confie pas sa tête, ses cheveux au premier venu. Pour raconter cette histoire de mémoire, j’ai choisi de l’inscrire dans une pratique commune à toute les cultures noires depuis des siècles. Une pratique qui a laissé des traces visibles sur les statues africaines aussi vieilles que celles de la civilisation d’Ifé au Nigeria qui date de 500 ans avant J-C. J’ai commencé à écrire le film quand je me suis rendu compte que l’on retrouve sur les têtes de ces statues anciennes, les mêmes coiffures que celles de filles et mêmes d’hommes que l’on rencontre dans la rue à Paris, en Europe, en Afrique, en Amérique, partout où habitent des communautés noires. Et c’est ce point commun qui nous unit, les cheveux et les tresses, qui m’a inspiré cette histoire.
Pourquoi as-tu voulu faire du cinéma ? Pour pouvoir raconter des histoires ?
Pourquoi choisit-on un métier par rapport à d’autres ? En admettant qu’on choisisse réellement… J’ai d’abord choisi de faire comme mon père et j’ai fait des études de gestion. Comme je dessinais, peignais et que j’adorais la musique et le théâtre, j’ai très vite orienté mes études vers l’administration de théâtre, la production de cinéma. J’ai ainsi travaillé dans des sociétés de production, à Paris.
Pour de nouveau utiliser mes mains comme je le faisais en peinture, j’ai fait une formation de monteuse de cinéma. J’ai alors monté une demi-douzaine de courts métrage, des reportages pour les chaînes Mezzo, Première et France 2 et des documentaires de danse et de musiques. Avec l’informatique, le montage ce n’est évidemment plus la même chose. Les équipes sont réduites, quelquefois on se retrouve même seule, et le contact avec la pellicule ne se trouve plus que dans quelques labos ou sur des productions confortables.
Surtout, comme les histoires, les couleurs, les ambiances que je voyais ne remplaçaient pas les mondes de mon enfance, je me suis mise à écrire. Finalement sans vraiment le savoir, il est possible que je me sois orientée vers le métier qui me garde le plus proche de mon enfance. Une période intense où le pli d’un rideau peut provoquer une peur panique, où un papillon est une merveille inouïe, où le quotidien est sujet à mille interprétations, une période où personne n’impose ce qu’il faut penser, entendre, voir, une période où l’imagination reste ouverte à la moindre sensation… Le jeu pour moi consiste à raconter mon regard sur le monde aujourd’hui, un regard qui n’est plus du tout enfantin, avec une imagination libre. Quand Fellini coupe les cheveux et les sourcils de Donald Sutherland pour lui rallonger le front, je me dis que c’est très proche du modelage qu’on effectue, quand on est enfant, sur des poupées ou des marionnettes. Et indéniablement, je me sens proche de ce cinéma là.
Le plus amusant c’est que pour aboutir Histoire de tresses, beaucoup de monde, de professionnels avec plus d’expérience que moi m’ont découragé… Penser que tout est possible, comme je l’ai toujours pensé depuis très jeune, m’a poussé à aboutir sans me poser trop de questions… Il semblerait que cela puisse être difficile de faire admettre cette idée de jeu dans le cinéma. Pourtant le jeu n’exclue pas les histoires fortes, le drame, les univers forts, et aussi le travail, le perfectionnement des détails et la promotion. Bien au contraire, car comment partager avec les autres ces univers s’ils ne sont pas aboutis ?
Raconter des histoires c’est très important mais ce n’est pas tout. C’est l’idée de rester proche de l’enfance, de s’entourer de gens prêt à « jouer », ce qui est plutôt rare dans beaucoup de métiers, c’est aussi parce que j’ai envie de tutoyer de grandes émotions, l’amour, la haine, la peur, la honte, le bonheur… Ce sont des émotions difficiles à trouver au quotidien alors que dans la fiction, on peut faire le choix de ne s’entourer que de cela. C’est comme si on choisissait de ne sortir de chez soi qu’à l’aube ou au crépuscule, quand la lumière est la plus expressive et la plus belle. Et espérer éviter la mesquinerie, les demi teintes un peu bâclées… cela suppose beaucoup d’exigence…
Est ce idéaliste ? Je ne sais pas…

///Article N° : 3062

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