Pour un théâtre actif

Entretien de Boniface Mongo-Mboussa avec Nocky Djedanoum

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Animateur et directeur du festival Fest’Africa de Lille, Nocky Djedanoum est également dramaturge. Lors du dernier festival qui s’est tenu du 22 octobre au 15 novembre, la troupe Le Logone Chari théâtre du Tchad a présenté sa pièce, L’Aubade des coqs traversée par les problématiques de l’exil et de l’art comme une des voies / voix possibles de la renaissance de l’Afrique Propos recueillis..

Si ma mémoire est bonne, j’ai écrit mon premier texte lorsque j’étais en classe de 5ème, au début des années 70. J’avais envie de raconter l’histoire de mon père qui avait quitté sa région natale (Le Logone occidental) à l’âge de 16 ans pour vivre dans une autre région (le Mayo-Kebbi) où il a fini par apprendre le métier de tailleur tout en cultivant ses champs de coton et d’arachide. Tout a donc commencé par le thème de l’exil qui depuis ne m’a plus lâché. J’étais fasciné par le goût de l’aventure de mon père. Il aimait nous raconter ses voyages et parler son français « petit-nègre ».
Je garde de très bons souvenirs de représentations théâtrales auxquelles j’ai assisté au Tchad, lorsque j’étais adolescent, et même plus tard. J’étais plus impressionné par le théâtre que par le cinéma. Peut-être à cause de la vie – presque réelle – qui s’en dégage. J’ai rarement l’impression de vivre dans la fiction quand je regarde un spectacle de théâtre. Le théâtre a une prise directe sur la vie. Au Tchad, malheureusement, il n’y a jamais eu de pratique professionnelle et par conséquent pas d’autres expériences que le théâtre à l’italienne. Or, ce théâtre place un écran entre le spectateur et le comédien. Les deux entités indispensables au théâtre ne se rencontrent qu’à travers le texte. Le comédien reste comédien et le spectateur à sa place. Ne peuvent-ils échanger au-delà du texte, du moins en s’appuyant sur le texte ? Après la représentation, comment prendre la mesure de ce que pense véritablement le spectateur ? Faut-il se limiter aux émotions ressenties ou aller au delà et provoquer une discussion ? Je rêve d’un théâtre qui ne privilégie pas exclusivement le texte de l’auteur joué, mais qui puisse permettre également au public qui a répondu à l’invitation d’écrire son propre texte. Il ne s’agit pas forcément d’un théâtre de sensibilisation, lequel a toute sa raison d’être en Afrique quand on voit le taux élevé d’analphabètes.
Les textes d’auteurs dramatiques africains qui ont marqué ma jeunesse sont aujourd’hui des classiques : « Le fusil« , « La secrétaire particulière« , « La marmite de Koka-Mbala » etc. Je ne peux oublier Aimé Césaire dont la force des textes me met debout sur mes jambes ! De tous les auteurs que j’ai lus, c’est celui qui a le plus remué ma conscience. Sans oublier Sony Labou Tansi qui possédait une certaine magie de la parole : je jubile en le lisant. Enfin, il y a de nombreux auteurs dont j’ai lu les textes par le biais du concours théâtral interafricain organisée ar RFI. C’était une bonne initiative.
C’est curieux, l’art en tant que sujet revient dans tous mes textes ou projets d’écriture. Et l’exil, bien sûr. Nous avons une richesse formidable en Afrique, ce sont toutes les formes d’art. Une tentative de solution à nos crises répétitives pourrait venir de l’art. D’abord parce que toute forme d’art appelle une transformation, une mise en mouvement de l’esprit. Cela donne la création. Ensuite, cette richesse est aussi une ressource économique. Regardez nos grands musiciens ! A qui profitent leurs créations ? Aux labels européens. Mise à part Youssou N’Dour qui s’est tracé un autre chemin… Je peux dire la même chose des autres formes de création. Prenons en exemple la littérature : comment imaginer qu’un continent comme l’Afrique ne possède pas une maison d’édition digne de ce nom ? Le rêve de l’écrivain africain francophone est d’être édité par Gallimard, le Seuil etc. Quel dommage ! Encore une fois, nos richesses culturelles sont énormes. Maintenant, il nous faut nous organiser.
Je pense que la diaspora africaine d’aujourd’hui ne joue pas le rôle qu’ont joué des personnalités comme Alioune Diop, Senghor etc. On me rétorquera que c’est une question d’époque. Alors, que faisons-nous de la nôtre ? Un échec ! Nous devons plus être à l’écoute de nos pays respectifs, de notre continent d’une manière générale, et essayer de rêver autrement pour l’an 2000. Je note toutefois qu’une action comme celle des sans-papiers est honorable. C’est la première fois depuis très longtemps que les Africains vivant en France ont pris la parole de cette manière. La brèche est ouverte, et il est temps de se réveiller et de s’y engouffrer.
J’ai été boursier « Beaumarchais » en 1997 dans le cadre des Francophonies de Limoges. A cet effet, j’écris en ce moment une pièce qui traite de la maladie de l’impunité dont l’Afrique ne se donne pas les moyens de guérir. Et Dieu, que ça continue de faire des ravages !

///Article N° : 295

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