Kouas transcende l’héritage des anciens 

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« Peintik » (mélange de batik et de peinture), « ugbo-chrome » (recherche picturale née de la matière), sculptures sur fer ou bois, le peintre et sculpteur, Dominique Gnonnou dit « Kouas », est un inclassable touche à tout. Loin d’être dispersion, sa quête, fortement imprégnée de la religion vaudou, a pour fil conducteur les arts premiers qu’il place au-dessus de tout. C’est en travaillant comme restaurateur de pièces anciennes avec l’ethnologue français Pierre Vergé qu’il commence à les collectionner et apprend à les « ressentir ». C’est le début pour l’artiste, né en 1952 à Porto Novo où il est installé, d’une véritable rencontre spirituelle avec « les anciens » dont il se fait le » missionnaire ». Il en résulte une œuvre foisonnante dont quelques sculptures ont récemment été exposées à Paris chez Agbé & Gbalicam où ses peintures sont encore visibles jusqu’au 8 décembre.

Accrochées à une lourde poulie, deux femmes remontent l’eau, le visage marqué par l’effort qu’elles sont en train de produire. Toute l’énergie de leur corps semble concentrée dans ce geste accompli comme un rite. Sous leurs pieds, un masque gélédé, figure centrale de la sculpture les soutient, reposant lui-même sur deux personnages féminins.
La sculpture « Eaux et Villageoises« , étonnant échafaudage de profane et de sacré, résume à elle seule la démarche artistique de Kouas qui n’a de cesse depuis ses débuts, il y a plus d’un quart de siècle, d’interroger l’héritage culturel de ses ancêtres et de le projeter dans une démarche résolument contemporaine. Tout le sens de sa démarche est là. Loin de n’être que purement artistique, elle est le sens d’une vie vouée à perpétuer l’héritage laissé par les ancêtres en le conjuguant au présent. « J’accepte l’idée d’être un missionnaire et dans ce sens, de sauvegarder notre patrimoine qui est en voie de disparition notamment parce que nos musées n’ont pas de moyens pour le sauvegarder. Que pourrais-je faire d’autre ? Je ne vais quand même pas rester les bras croisés et regarder les choses disparaître ! Il faut leur redonner vie et les mettre à la portée du monde d’aujourd’hui« .
Redonner vie, c’est récupérer des objets, masques, statuettes, rejetés par la communauté parce qu’abîmés ou ravagés par les insectes. Trop conscient de la richesse de son héritage et trop attaché à ses traditions culturelles et religieuses, Kouas refuse le terme de détournement : il récupère non pas pour le plaisir de l’art de la récupération, mais pour redonner du sens et insuffler une nouvelle vie. « Les objets anciens que j’introduis dans mon travail donnent de la puissance à l’œuvre contemporaine« . La pièce ainsi insérée dans le tableau ou la sculpture n’est pas seulement une référence culturelle, mais fait partie intégrante de l’œuvre à travers laquelle il « poursuit son cheminement« . Ainsi travaillée, elle est désacralisée par rapport au rite traditionnel est re-sacralisée dans une œuvre contemporaine qu’elle contribue à faire naître.
Pourtant, à l’entendre parler de son travail sur lequel il reste pudique, Kouas ne serait qu’un gardien de la mémoire : « Le grand travail a été accompli par les anciens. Reprenant ce qu’ils ont fait, nous le transposons dans notre environnement pour en faire de l’art contemporain. Il est facile pour nous de profiter de ce que nos ancêtres nous ont laissé« . C’est pourtant parce qu’il lui confère une dimension contemporaine que la démarche de l’artiste prend tout son sens. Née d’un travail approfondi sur la mémoire revisitée avec les signes du présent, son œuvre, souligne Agbé, est avant tout une œuvre de synthèse entre tradition et modernité, quotidien et rite sacré.
Ce qui fait mouche chez Kouas, c’est cet évident équilibre qui opère entre le profane et le sacré, le présent et le passé. Outre les répliques des figures anciennes, les matériaux utilisés sont issus de son environnement quotidien : calebasses, cauris, cordes, bois, pièces de métal, raphia, couleurs industrielles ou terre de Porto Novo. Les personnages sont également saisis dans des postures qui renvoient aux activités quotidiennes comme la danse, l’artisanat, ou la recherche de l’eau. Pourtant, chaque œuvre renvoie à un rite, une rencontre avec les esprits ancestraux à travers la danse vaudou, ou rend hommage à la pratique des forgerons dont le dieu Gou (ou Ogun) est la divinité fétiche de l’artiste.
Si de nombreux béninois, loin d’être choqués, voient dans cette ré-interprétation contemporaine des symboles traditionnels une manière de faire perdurer certaines traditions, les tableaux et sculptures de Kouas parlent tout autant mais différemment aux non initiés, ceux pour lesquels les références culturelles n’ont pas de sens. Ainsi, il a pu exposer aux Etats Unis, en France et en Grande Bretagne, se faisant une place aussi bien chez les collectionneurs privés occidentaux que dans les lieux institutionnels de son pays. Le plus symbolique étant situé à Ouidah, qui fut un temps (fin du XVIIIème et début du XIXème siècle) un des ports importants de la traite esclavagiste. Là, depuis 1992 (dans le cadre des commémorations impulsées par le Festival Ouidah 92) se dresse face à la mer « La Porte du non Retour » en mémoire aux esclaves déportés. Kouas, très impliqué dans l’organisation du Festival, a réalisé les douloureuses fresques métalliques qui ornent le mémorial.
Ouidah 92, manifestation culturelle parrainée par l’Unesco, a permis l’éclosion de nombreux artistes – les frères Dakpogan, Romuald Hazoumé, Georges Adéagbo, Cyprien Tokoudagba ou encore Tchiff -, faisant du Bénin un pays à part dans la production contemporaine africaine. Kouas reconnaît l’émulation positive du Festival sur les arts plastiques béninois. Il trouve cependant dommage que dans son pays, comme dans la sous-région, les artistes taisent leurs influences. « Je perçois dans le travail de certains d’entre eux des influences qu’ils ne disent pas. Ils ont beau être autodidactes, leurs sources viennent bien de quelque part. Pourquoi le cacher ? Je suis choqué par ce manque de vérité en eux. Quand je rends hommage aux anciens qui ont travaillé, je pars d’une vérité qui est le moteur de mon travail. L’art premier est un passage incontournable pour conquérir l’art contemporain africain. Elément de cohésion sociale, il est aussi outil de conquête, d’intégration et d’émergence de nouvelles valeurs« .
Fort de cet héritage et de ses convictions intimes, Kouas est en accord avec lui-même et cela se sent dans son œuvre qui selon Agbé est « hors mode et empreinte d’une maturité certaine« . Kouas ne s’arrêtera pourtant pas en si bon chemin, poursuivant ses recherches plastiques et reparti pour de nouveaux combats, il lance un appel aux chefs d’Etat africains, les invitant « au cours de leurs sommets à se déplacer avec des plasticiens qui viendraient enrichir les murs des espaces qui les accueillent » et où se décident le sort de tout un continent. A bon entendeur…

Fidèle au concept de la galerie, Agbé a su instaurer un dialogue entre les œuvres de Kouas et celles d’artistes occidentaux. Ses sculptures ont été présentées du 18/10 au 10/11 avec des toiles de Francis Wilim, relayées par ses tableaux du 14/11 au 8/12 accompagnés des sculptures de Nicolas Rudler.
Galerie Agbé & Gbalicam – 7, rue St Paul, 75004 Paris. Ouverte le jeudi de 16 heures à 19 heures et du vendredi au dimanche de 15h à 19h. ///Article N° : 2725

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Les images de l'article
"Homme et Taureaux", de Kouas, technique mixte © Florent Ahouanhou





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