Kinshasa, un scandale culturel

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Les bons plans, grandes débrouillardises et initiatives personnelles des Kinois, à la croisée de tous les possibles.

C’est dans la Cité (quartiers et communes « chauds » de Kin en sortant du centre ville, banlieues) et nulle part ailleurs à Kin que le Kinois trouve toutes les combinaisons de plans pour « se débrouiller ». La musique hip hop, rap, word ou autre, le théâtre, les danses traditionnelle, moderne, contemporaine et urbaine, les arts plastiques, sont des territoires qui ne se croisent vraiment que dans les cités à Kinshasa. Mais cette ville paradoxe, ville spectacle, prolifère en tous sens : shégués (enfants des rue), shayeurs (vendeurs ambulants), fous, danses urbaines, voitures ‘mercedes’, kaddafis (trafiquants de carburant hors station), cambistes (changeurs de monnaies étrangères), musiciens, pasteurs et églises de réveil… Kin offre des images d’une réalité très dure pour un pays aux potentiels aussi énormes.
Après des décennies de myopie et de grosse tête pour le scandale minier qu’est (était ?) le pays, la grande muraille de l’illusion vacille jusqu’à tomber. Notamment sous l’assaut des guerres, révolutions, libérations qui, d’élans en soubresauts, accélèrent la reprise de vue…
Kinshasa, ma ville, c’est 9.965 km2 de superficie pour six millions d’habitants. On y est à son aise comme dans un œuf…
En RDC, la musique règne en maître absolu. La preuve, c’est le seul art, avec le théâtre bouffon populaire, qu’on diffuse indéfiniment et sans limites à la télévision, nationale comme privée. Et Dieu sait combien de chaînes privées pullulent à Kinshasa !
Dans une société en crise de valeurs et de modèles comme la société congolaise, c’est désormais les musiciens qui font la loi et tous les gosses rêvent de faire de la musique pour aller en Europe, se saper grande griffe chez les couturiers renommés et ramener des voitures ‘Mercedes’ pour ‘chauffer’ (en mettre plein la vue) les concurrents et tous ceux qui sont restés : les oncles qui vous ont maudis, les potes qui vous ont lâchés ou les parents qui vous ont reniés
Chaque orchestre possède un lieu de répétitions faisant office de siège du groupe. Parfois, il donne des concerts sur place ou fait carrément payer les répétitions au public. Mais de manière plus pratique, les orchestres se produisent tous dans des salles et lieux communs de la ville comme les stades, les salles de cinéma, les salles de réunions ou rencontres des grands hôtels, les centres culturels étrangers, les écoles, les espaces culturels locaux gérés le plus souvent par des hommes de théâtre ou le plein air dans la Cité. C’est là qu’on trouve le plus d’espace !
La Word musique nage ces temps derniers dans la polémique : « Je fais mieux que toi, je suis plus beau que toi, je m’habille mieux que toi, ma voiture est plus belle que la tienne, ma (es) femme (s) et ma maison idem, c’est moi le meilleur ! » Après la génération Docteur Nico, après celle des Luambo Franco et Tabou Ley, après la troisième de Zaïko et Viva la Musica, arrêt obligatoire sur la génération Wenge qui fait rêver les Kinois. Ils donnent l’illusion de la facilité matérielle. C’est le jeune groupe le plus connu au pays, aujourd’hui en plusieurs morceaux dont les plus forts sont le Wenge de Wera Son farouchement opposé à celui de JB Mpiana…
Le rap a une communauté de plus en plus dense, et le hip-hop se cherche encore. Bebson, lui, s’est trouvé. Il évolue à Kinshasa (la commune) dans de mauvaises conditions : il squatte un coin de la ‘parcelle’ (résidence) familiale mais au moins il fait ce qu’il aime et y croit. L' »autre musique » (qui n’est pas du Ndombolo mais autre chose dans l’esprit de création surtout) se fraie aussi un passage, certaines personnes étant fatiguées de retrouver dans la World plus de quolibets que de thèmes bien travaillés, plein de bruits et pas de véritable travail.
A Kinshasa, le théâtre vit intensément. Les grandes créations qu’on voit sillonner les festivals en Afrique et en Europe ne sont pas des étincelles, mais le résultat d’un travail de fourmi. Avec beaucoup plus de moyens, les artistes de théâtre de la RDC pourront donner davantage. Mais déjà, avec des petits moyens, chaque structure professionnelle de théâtre possède un espace abritant son administration, servant de lieu de répétition et de représentation aussi pour la plupart des cas. A tel point qu’un réseau local s’est informellement mis en place…
La plupart des lieux culturels locaux sont nés dans le courant des « nombreuses ruptures de coopération » qu’a connu l’ex-Zaïre avec l’extérieur. Les autres, déjà existants, en ont alors profité pour asseoir et redynamiser leurs activités au point de devenir indispensables, le Kinois étant très friand de spectacles, et les centres culturels étrangers étant fermés. « Fallait pas que ça nous empêche de nous évader de temps en temps, question d’oublier les galères quotidiennes », raconte un fonctionnaire de 53 ans résidant à Kasa Vubu, commune voisine de Bandal.
Ces espaces sont pour la plupart des associations sans but lucratif. Ils ne reçoivent aucune subvention de l’Etat et vivent tant bien que mal des cotisations de leurs membres ou parfois du public en gage de son attachement, des dons ou legs de tiers. Le gros du financement pour leurs festivals leur vient de certains organismes internationaux d’aide à la création, l’AFAA, l’Agence de la Francophonie, la Coopération Française, le Centre Wallonie Bruxelles, le Goethe Institut, l’Unesco, etc.
Dès qu’on entre dans Kinshasa via l’aéroport international de N’djili, le premier espace qu’on découvre est le Centre d’Initiation Artistique pour la Jeunesse, CIAJ, siège du Théâtre des Intrigants. Son action s’étale en pleine cité et banlieue kinoise, N’djili. Les Intrigants organisent chaque année un festival de théâtre à l’échelle international, les Journées Congolaises de Théâtre par et pour l’Enfance, Joucotej. Arrivé vers « l’échangeur kinois », en prenant la direction de Ngaba (quartier de Kin), on n’est pas loin du siège du Marabout Théâtre qui organise aussi un festival annuel, le Carrefour de Rencontres d’artistes, Carre. Plus bas, vers Yolo (autre quartier), en se dirigeant vers le rond point Victoire, un des deux carrefours centraux de la ville, on accède aux bureaux du Tam-Tam Théâtre. L’Ecurie Maloba a son lieu à Bandal (commune de Kin), à l’espace Mutombo Buitshi et son Festival International de l’Acteur, Fia, est une biennale. Tandis que le Théâtre National évolue à la salle Mongita, plus proche du centre-ville. De lundi à dimanche, on peut donc assister à des représentations à différents endroits de la ville : les Intrigants et le Théâtre National, qui sont chacun dans une extrémité de la ville, donnent des représentations tous les jeudis, l’Ecurie Maloba et le Tam-Tam Théâtre jouent les vendredis et le Marabout Théâtre le dimanche. Il y a aussi le Centre Culturel Français de Kin, Halle de la Gombe, et le Centre Wallonie-Bruxelles qui offrent de l’espace pour les spectacles de tous les artistes de la capitale.
Et entre toutes ces compagnies, il existe une dynamique réelle de rotation des lieux de spectacles et des spectacles eux-mêmes. Un gage d’espoir !
Les danses urbaines évoluent parallèlement avec la World musique (la musique congolaise que tout le monde connaît et joue). Le Ndombolo a désormais fait son temps et laisse de plus en plus la place aux Bo na bo (des danses à vives contorsions des hanches)…. La danse traditionnelle reste du domaine folklorique. C’est le truc pour les étrangers, surtout les expats. Je parie d’ailleurs que ça ne marche vraiment qu’avec ceux qui viennent pour un premier séjour. Car après, ils ont le loisir de circuler dans la cité et découvrir la culture congolaise dans toute sa diversité ainsi que des gens qui bougent et vivent tels qu’ils sont. Des gens qui ne font pas ce qu’ils font pour de l’argent mais pour le plaisir simplement.
Kinshasa est une ville pleine de bruits et pleine d’odeurs. Il y a partout de la musique dans l’air, un gosse qui crie, des klaxons ou des portables qui chantent. Il y a toujours l’odeur de la nourriture qui s’échappe des marmites ou d’un nganda (espace aménagé pour boire et manger), celle d’un tuyau d’échappement de voiture ou d’un égout, celle de la pisse sous un mur ou un arbre ou c’est marqué « défense d’uriner ici »…
La danse contemporaine est complètement méconnue. Moi même je ne l’ai vraiment découverte qu’au Masa 2001. Et je suis tombé complètement k.o quand j’ai découvert un Congolais qui en fait ! On est tellement dans notre Ndombolo que je n’y ai vraiment pas cru… Aujourd’hui, une structure de danse contemporaine, les Studios Kabako, existe désormais à Kin, au grand dam des bonzes de la danse classiquement traditionnelle ou moderne qui l’enseignent à l’Institut National des Arts ou dans leurs structures propre. Elle réunit des danseurs ainsi que tous ceux qui s’intéressent à la danse et au théâtre visuel. Tout un programme inclusif ! Une autre structure de danse, la Cie Diba Dance, convertie au contemporain, possède un espace dans un quartier à cheval entre un coin résidentiel et la cité. C’est une grande cour sablonneuse et clôturée où les danseurs évoluent au gré de leur folie.
En arts plastiques, de nombreux artistes travaillent à leur propre compte. Deux organisations cependant travaillent en connexion. Les ateliers Botembe (du nom de son initiateur) avec un groupe de peintres qui se sont regroupés pour travailler ensemble. Et l’Espace Akenathon qui lui est un lieu d’encadrement des artistes et étudiants en arts plastiques. L’espace se trouve en plein dans un quartier populaire, contribuant ainsi à amener l’art au public qui se déplace difficilement quand ce n’est ni la musique ni le théâtre bouffon qui lui donnent davantage l’impression de lui parler de son quotidien. Le théâtre puisant ses thèmes dans les évènements de chaque jour, les gens ont l’impression qu’il faille beaucoup réfléchir pour aborder une peinture, une sculpture ou la danse contemporaine…
Kinshasa regorge donc d’artistes aux talents innés, sans effort. De N’djili à Gombe en passant par Binza ou Bandal, ou même par Lemba ou Kingabwa (des quartiers de la ville) ils se ramassent à la cuillère. Et pourtant le gouvernement reste aveugle, trop préoccupé par une guerre qui refuse de se terminer ! A son aise…
Car ceci n’entame pas outre mesure le tempérament kinois qui lutte pour apporter la beauté dans son quotidien. Kin reste malgré la configuration socio-économique et socio-politique de l’heure aussi chaleureuse que sa renommée. Matonge, ou de plus en plus Bandal, arrosent toujours la capitale de leurs cabris, kamundele, dindon, « ya jean » (la dernière trouvaille en viande). Car Kin, avec sa prolifération de troupes théâtrales, d’églises de réveil ou de groupes musicaux, reste pour les uns et les autres une marchande de rêves. La ville ressemble quelque peu à un village à la fois convivial et rieur, dur et délivré, inventif et frénétique où fleurit une noria d’artistes.
On évolue entre les deux grands carrefours qui font qu’on ne se perd pas dans la capitale congolais : le Rond point Victoire et la place Kintambo Magasin, sont les voies obligées pour garder le cap à Kinshasa. L’un très à l’Est et l’autre plus à l’Ouest. Chaque commune possède au moins un groupe musical maison. Le théâtre a une assise, quelle que soit la manière dont on le nomme : classique (adaptations de classiques connus ou soutenus par un texte) ou populaire (inspiré du quotidien), amateur ou professionnel.
C’est donc dans ses 9 965 km2 et avec ses six millions d’habitants au feeling incroyable que se mitonne une culture truculente, imprévue, débridée et rebelle : Kinshasa ville dévoreuse qui ne pardonne rien aux faibles et vit aux dépens de ceux qui l’acceptent. Les musiciens et les pasteurs l’ont compris, eux qui chaque jour bravent en permanence Kin qui les adule aujourd’hui sans limites. A chaque concert ou campagne de prière, il y a toujours un monde fou.

///Article N° : 2701

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