La Revanche de Lucy

De Yanouch Mrozowski

Print Friendly, PDF & Email

Un peu français, beaucoup burkinabè, certainement polonais, La Revanche de Lucy est, à l’image de son auteur, tout cela à la fois. Un séduisant tissage du monde, un mélange potentiellement explosif trouvant sa traduction première en un humour véritablement corrosif auquel rien n’échappe : les Africains, les Occidentaux, les Polonais, les chefs, les serviteurs ambitieux, la démocratisation en Europe de l’Est ou au Sud du Sahara, l’Etat-de-droitisation dans les mêmes terres, les ancêtres, les femmes, les Etats-Unis, la France, etc., tous ont droit à leur lot de remarques acidulées. L’histoire du couple militaro-présidentiel formé par Adama (interprété non par un acteur mais par un militaire au sous-jeu remarquable) et Albertine (une professionnelle au sur-jeu lui aussi excellent) est alors le prétexte à une revisitation parodique de l’Afrique des origines à nos jours. Cette comédie très contemporaine où convergent tous les problèmes du moment (la transition politique, les relations hommes-femmes, la présence grandissante de l’Oncle Sam, le difficile post-colonialisme, la mauvaise conscience française, etc.) n’hésite pas à recourir au mythe et au monde des esprits, mais se démarque heureusement des films allégoriques atemporels par son traitement bienveillamment irrespectueux des portraits contemporains qu’il tire. Il y a un amour malicieux, ou tout au moins une attention espiègle, dans le regard qui est ici porté sur des personnages empruntant au mythe et à l’actualité, en un heureux et peut-être très africain chevauchement des genres. Ainsi, avec ce Burkinabè d’adoption, l’Amérique n’est plus la seule aujourd’hui à mettre ludiquement en scène le pouvoir politique et à s’en moquer en toute liberté. Une projection comparée avec Wag the Dog et Primary Colors ne serait pas inintéressante. Qu’un tel film ait pu être réalisé sur des terres africaines (essentiellement Ouagadougou et ses environs) n’est sans doute pas un si mauvais signe de santé de la liberté d’expression cinématographique sur le continent noir. C’est déjà ça. Ce qui ne signifie aucunement qu’il n’y a plus de message à délivrer. Bien au contraire, alors que l’Afrique s’attelle à l’apprentissage de la démocratie, La revanche de Lucy prend pour parti de s’adresser au grand public africain, celui qui vote quand les Adama n’oublient pas leurs promesses d’organiser des élections libres, et qu’elle entend toucher par le rire  » libérateur  » et l’ironie  » salvatrice.  » Un film sans gêne, et c’est sa grâce, qui n’hésite pas à mettre dans la bouche (lorsqu’elle n’est pas pleine de gâteaux) de Madame-la-Présidente-Albertine des propos tels que :  » La liberté, est-ce que c’est dans nos traditions ça ?  » ou  » Les urnes transparentes, le bulletin de vote, les observateurs étrangers, c’est dans nos traditions ça ? « , et encore  » La démocratie, là, même les Blancs ils s’en foutent. Ça coûte cher, ça fout la pagaille, ça gâte les affaires. Ce qu’ils veulent maintenant, c’est, chose, Etat de droit. Et ça, n’importe quel juriste de chez nous peut arranger ça. « 

Franco-burkinabè, 1998. Photo : François About. Costumes : Maxime Rebière. Son : Claude Hivernon. Musique : Rodolphe Burger et Kat Onoma. Interprétation : Adrienne Koutouan, Désiré Koumsongo, Aïssa Maïga, Tom Novembre, Ann Gisel Glass. Production : Filmogène. Distribution : K Films///Article N° : 2345

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Laisser un commentaire