Iba Ndiaye, l’homme qui peint

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Né en 1928 à Saint Louis du Sénégal, Iba Ndiaye, souvent cité comme étant le « pionnier de l’art moderne africain », est une figure incontournable de la scène artistique sénégalaise et ce, bien qu’il ait quitté son pays natal il y a quarante ans. Refusant toute étiquette, Iba Ndiaye ne se sent ni pionnier, ni « artiste africain », mais « un homme qui peint » comme il le « sent et l’entend ». Sa longue carrière, auréolée de nombreuses expositions en Europe, aux Etats-Unis et sur son continent d’origine, n’a rien entamé de la passion quasi amoureuse qu’il voue à son métier de peintre et aux œuvres de ses maîtres.

Sur un coin de table, plongé dans un catalogue d’exposition consacrée au peintre italien Raphaël, Iba Ndiaye prend des notes. « J’ai encore tout à apprendre ! » Insatiable, l’artiste n’en a pas fini d’apprendre après cinquante ans de « métier », terme qu’il aime à employer pour qualifier son travail de peintre.
Son apprentissage remonte pourtant à 1949, alors qu’il étudie à l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux Arts de Paris, après avoir commencé des études d’architecture. Là, il découvre les peintres classiques et modernes qui ont façonné l’histoire de l’art occidental. Commence alors son cheminement artistique jalonné de rencontres déterminantes avec les grands maîtres de la peinture au travers des musées et expositions qu’il n’aura de cesse de visiter. Paris, Amsterdam, New York, Lagos, Florence, Munich… l’artiste, dès qu’il le peut, munit de son carnet de croquis, voyage à travers le monde dans sa quête d’apprentissage. « En sortant de l’école, j’étais malléable, j’avais une fringale de voir tout ce qui se faisait. Peindre, c’était pour moi découvrir ce que les autres faisaient afin d’apprendre et de comprendre le langage du métier que j’abordais« .
Dix ans après son arrivée en France, Iba Ndiaye retourne au Sénégal- où aura lieu sa première exposition personnelle en 1966 – pour participer, à la demande de Léopold Sédar Senghor, à la création de l’Ecole Nationale des Arts au sein de laquelle il enseignera six ans, avant de s’envoler à nouveau « pour essayer de tenter la grande aventure. Le Sénégal qui n’a pas de tradition d’arts plastiques n’avait pas les structures qui me permettaient de parfaire mon apprentissage. J’avais et j’ai toujours besoin d’apprendre, de comprendre, de comparer. A Dakar, j’étais fonctionnaire, j’ai choisi de ne plus l’être pour devenir un peintre à part entière, pour être libre« .
Vers cette Afrique où il a choisi de ne plus vivre, Iba Ndiaye reviendra toujours à travers sa peinture, lieu de mémoire, où les thèmes « africains » surgissent de souvenirs d’enfance, de voyages – au Mali, début des années soixante-dix –, de traditions religieuses ou culturelles – comme l’Islam pour la série « Tabaski » – ou de la profonde influence de la statuaire traditionnelle, notamment dans le traitement des corps. A travers la série « Le cri d’un continent » et les tableaux sur l’apartheid, Iba Ndiaye dénonce les meurtrissures d’un continent dont il « ne se sent pas déconnecté« , même s’il ne s’y rend pas régulièrement.
C’est dans le métissage des sujets avec « les techniques occidentales » intégrées, digérées, recrées au travers du prisme de l’artiste, que réside l’authenticité d’une œuvre essentiellement figurative, que certains ont tenté de taxer d’académique quand Iba Ndiaye se défend de n’appartenir à aucune tendance, ni aucune école : « je ne suis pas un suiveur, on ne peut pas me définir, je peins comme je l’entends, je suis moi-même, sans étiquette ! » De même qu’il se défend de la simplification accolée à la notion « d’artiste africain » : « Je suis un africain peintre, je peins ce que je ressens et ce que j’ai envie de peindre. Seule la personnalité de celui qui peint est importante. »
Variations sur un même thème
Lorsqu’il n’est pas dans les musées, Iba Ndiaye s’enferme dans son antre à Paris ou en Dordogne. « L’important c’est d’être dans mon atelier et devant mon tableau. C’est mon jardin secret, ma respiration« . Là, l’artiste approfondit les thèmes récurrents dans toute son œuvre, construite autour de séries thématiques jamais achevées, bien qu’abordées, pour la plupart, dès le début de sa longue carrière. Les variations picturales autour du « Cri d’un continent« , du Jazz, des paysages, de la Tabaski (fête musulmane autour du sacrifice rituel du mouton), et des Rhamb (en wolof « les esprits des ancêtres »), sont prétextes à l’expression d’une peinture puissante et généreuse où une riche palette chromatique se joue de la lumière et de la transparence. Poussin, Velázquez, Rembrandt, Goya, Ingres, Picasso, Rebeyrolle, et bien d’autres encore, autant de maîtres, avec l’œuvre desquels Iba Ndiaye entretient un rapport intime. Cette intimité lui a permis d’approcher entres autres l’alchimie du clair obscur, de cerner le trait qu’il considère comme « étant la trame de toute œuvre d’art« , ou encore d’apprivoiser la luminosité des couleurs. Affranchi des difficultés techniques qu’il a appris à maîtriser et ce quelque soient les matériaux employés – lavis d’encre, peinture à l’huile ou brou de noix – l’artiste reconnaît « avoir acquis une liberté dans la traduction de la représentation qui lui permet d’avancer« .
De sa capacité quasi obsessionnelle à scruter, approfondir, décortiquer des thèmes déjà explorés, Iba Ndiaye tire son énergie créatrice qui impose une œuvre profondément expressive, où la liberté du geste se conjugue à la précision du trait. « Je reprends des thèmes déjà explorés parce qu’il me semble que je ne suis pas allé au bout de ma recherche. Les Rhambs sont typiquement l’essence africaine de la mythologie qui relève d’une idée, d’un symbole et traduire un symbole visuellement n’est pas facile« . Mais l’artiste n’est pas homme à contourner la difficulté, celle-ci au contraire le stimule, le pousse à restituer plastiquement le rythme et les sonorités d’un morceau de jazz (dans la série « Jazz« ). C’est elle également qui lui fait particulièrement aimer travailler le portrait, « un combat entre le peintre et le modèle au cœur duquel il faut aller chercher ce qu’il ne veut pas montrer« , elle encore qui le conduit dans les méandres de sa mémoire sensorielle, plus de trente ans après un bref séjour au Mali, pour en restituer – aidée par des notations de couleurs et des croquis réalisés à l’époque – des sensations intactes qu’il projette sur sa toile avec suffisamment de distanciation par rapport à son sujet, que ses paysages sahéliens deviennent ceux de tout un chacun. Iba Ndiaye a atteint son objectif, celui de nous toucher au cœur de notre mémoire.

Les peintures récentes d’Iba Ndiaye ont été exposées à la Cité Internationale des Arts à Paris, du 23 janvier au 2 février 2002. Deux expositions sont en projet en Europe et aux Etats-Unis. ///Article N° : 2134

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Les images de l'article
huile sur toile, 162 x 130 cm, 2001 © Béatrice Hatala
Chanteuse de jazz, encre de chine sur papier, 53 x 73 cm, 1996 © Béatrice Hatala
Etude de tête, main et bouches, encre de chine sur papier, 25,5 x 32,5 cm, 1993 © Béatrice Hatala





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