D’une ville à l’autre

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Le vu et le vécu d’une journaliste culturelle kinoise en vadrouille au Masa d’Abidjan. Un carnet de notes très personnel…

Jeudi 1 mars – Aujourd’hui est date commémorative du décès de mon père et veille de mon départ pour le Masa. J’avais donc décidé de ne pas sortir, mais il me faut bien aller à la Halle de la Gombe pour y chercher mon avis d’invitation. Vu le nombre de papiers qu’on demande ici à l’aéroport, on a l’impression qu’on préfère ne pas vous voir partir !
Vendredi 2 mars – Me voilà à l’aéroport international de N’djili, salle d’attente. Mon vol d’oiseau c’est tout à l’heure vers 19h mais tout vient de se confirmer gravement… Le plus désespérant, c’est la DGM (direction générale des migrations), le dernier rempart avant de prendre son envol. Leur grande invention était de me dire que mon visa était un faux ! Je tenais prête la gentille recommandation du chef du Service culturel à l’ambassade de France à l’ambassadeur de Côte d’Ivoire, qui m’avait facilité l’octroi dudit visa, mais cela les aurait probablement mis en pétard…
Je les comprends un peu : maintenant qu’il n’y a plus d’autorisation de sortie à brandir ni de grandes acrobaties à faire pour dissimuler ses devises, il fallait bien trouver quelque chose. Tout cela a été banni par le président de la République. Et moi qui n’avais pas de fric et seulement le toupet d’être journaliste ! « Passez ». Et je suis passée, sans débourser un rond. Pour la petite histoire, c’est mon avis d’invitation qui m’a servi d’ordre de mission…
Depuis le changement et le rechangement de pouvoir, c’est ma première seule dans les airs ! De quoi être excitée à souhait !
A l’aéroport international Houphouët-Boigny, il est 23h et personne n’est là pour moi, mon « correspondant » demeurant introuvable ! Il pleut des cordes. Mais grâce à la légendaire solidarité congolaise, plus manifeste à l’étranger qu’au pays, j’ai trouvé un toit pour la nuit à l’hôtel Ibis Plateau, plutôt classe…
Contrairement à Kin, il fait à Abidjan une chaleur d’enfer mais je n’ai encore rien trouvé qui puisse me démonter le moral…
Samedi 3 mars – Entre le rêve et la réalité il y a la réalisation. Le Masa démarre aujourd’hui. Kin, la famille, les amis, la DGM… sont loin. Le boss d’Africultures n’arrive que ce soir de Ouaga mais mon correspondant est là, Romuald, confrère de Associated Presse et compatriote congolais, celui qui devait me prendre à l’aéro hier : l’ami de mon ami est mon ami !
Le monde est fait de paradoxes. A Kinshasa, le politique se fout pas mal des nombreuses activités culturelles qui s’organisent. Il existe même une formule consacrée lors des ouvertures et clôtures des manifestations : « représentant du ministre empêché ». Alors que la population, elle, est bien souvent présente et mobilisée. A Abidjan, pour le ‘Masa’, c’est le président Laurent Gbagbo lui-même qui prononce le discours d’ouverture. Par contre, la population ne suit pas vraiment… Le chauffeur du taxi qui m’emmène de l’Ibis au Palais de la Culture s’étonne même que je sois venue de Kin uniquement pour le ‘Masa’… Mais côté récupération, ça fonctionne : le ‘masa’ est une affaire ivoirienne ! Une façon de se prendre en charge, comme des grands.
Dimanche 4 mars – Cette canicule est infernale mais ce n’est qu’un détail ! Elle coupe la faim et déshydrate mais ‘cette Presque-Venise’ d’Afrique est une ville splendide, avec sa lagune et ses bateaux en bois, direction les berges de Blokos pour trois sous, l’eau qui scintille tout autour…
Les spectacles ont commencé dans un Palais qui les accueille tous dans ses salles 3 (300 places), 7 (700 places) et 15 (1500 places). L’imagination n’a pas encore été bien vive pour leur donner des noms, mais patience, le Palais est tout neuf.
Première hébétude, la danse contemporaine : des spectacles décoiffants, malgré la défection des compagnies anglophones dont on connaît l’immense qualité. Je crois que le spectacle le plus nul ici serait très applaudi à Kin, tant la danse contemporaine y est peu développée. C’est dire combien on somnole à la maison… Ça vaut le coup de sortir de ses murs, histoire de voir ce qui se passe ailleurs, sinon on fera toujours l’ambulance… Etre au centre de l’Afrique n’est qu’une position géographique, à nous de la rendre stratégique ! Au boulot !
Dans cette journée consacrée au mono-théâtre, surprise, je retrouve l’Ivoirien Ignace Alomo dans « Refusé par la mort » que j’avais déjà vu il y a trois ans lors de l’édition spéciale du FIA (festival international de l’acteur) à Kinshasa.
Et le soir la musique s’installe dans la grande salle : ambiance survoltée, crépitement des flashs, caméras de télé encadrant la scène, les décibels au maximum.
Je me dis qu’on devrait être plus ouverts, Congolais de RDC, pour voir que les autres font tout de même des trucs bien !
Lundi 5 mars : De la fenêtre de ma chambre au ‘Grand Hôtel’, j’assiste à l’agression d’un festivalier camerounais sur le pont à 11h du mat ! Quand je pense que je l’ai déjà traversé deux fois, ce pont, une petite info sur les dangers locaux en début de Masa n’aurait pas été de trop. C’est vrai qu’il a mauvaise réputation, ce pont.
Le Masa tourne à plein. Il faut 1000 Fcfa pour entrer au ‘village Masa’, 2000 pour un spectacle de théâtre ou de danse, 5000 pour un concert. Le off permet à tous ceux qui ne peuvent être au Palais de profiter de la fête.
Théâtre et danse sont de qualité mais la compagnie algérienne fait tache… Cela repose la question de ‘programmations sous commande’ ou du manque d’exploration organisée dans certains pays…
Le soir, plutôt barde que griot, le Congolais Jean Goubald chante bien avec sa guitare acoustique mais sans grande démonstration, et je retrouve la question qui s’était posée lors de sa prestation à la Halle, au CCF de Kin, sur le spectacle qui devrait accompagner la musique… Ceux qui pensaient qu’on ne fait que du ndombolo au pays auront au moins découvert qu’il n’y pas que les Lokua, Wemba, Koffi ou Ray Lema.
Mardi 6 mars – Je suis heureuse d’être là, je vois ici des images qui me parlent de mon Afrique. Le Masa n’est pas plus xénophobe que la journaliste que je suis n’est génocidaire ! J’ai retrouvé la faim. Les festivaliers congolais se plaisent à bouffer dans le maquis d’un compatriote, moi non ! Pourquoi être venu de si loin pour ça ? Je ne consomme qu’ivoirien et je goûte à tout ! Et même si je ne retiens pas les noms, c’est bon !
J’attendais tellement les Magic system ! Ecouter en live et en zouglou bcbg la chanson ‘premier gaou’ ! non, c’est grave et je vais frimer pour ça à Kin ! Ces garçons sont graves, je dis, et j’ai chanté avec eux, avec toute la salle…
Mercredi 07 mars – Jour de randonnée et de repos ! Les festivaliers étant conviés à une visite touristique à Nigui Saff, un village du bord de mer, le royaume du ‘Mapouka’… Je ne pouvais pas rater la sauterie, mais elle avait un caractère un peu trop conventionnel, cérémonial… Heureusement, la danse et la chaleur réelle des habitants de Nigui Saff l’a emporté sur tout le reste, ainsi d’ailleurs que le partage de la nourriture, terriblement bien faite !
Jeudi 08 mars – Matinée à écrire pour Africultures à l’hôtel, ce qui me permet d’assister à une autre casse des bandits de sous le pont. Mais là, l’agressée est une Ivoirienne qui a appris à crier à bonne école… La cavalerie est arrivée pour les déloger.
Ce n’est pas que je me sente en insécurité : ce sont des scènes déjà vécues chez moi, sauf qu’à la maison les civils ne se font pas la peau entre eux ! Quand ça bastonne, c’est le fait d’un militaire…
Quand les gens s’étonnent de me voir ici alors que mon pays est supposé être en guerre, je signale qu’on nous disait qu’à Abidjan il y aurait des cadavres partout…
Vendredi 09 mars – J’ai un peu le blues à l’idée que le Masa se termine. Heureusement qu’il y a Lagbaja, ce Nigérian qui fait de l’afro beat comme s’il en pleuvait ! Une vraie musique d’ambiance, un art résolument vital. Comme l’autre… l’immortel Fela.
Samedi 10 mars – C’est normalement le jour de clôture mais c’est pas une ambiance de fête : personne n’est content de se quitter. Du coup, on déserte la clôture officielle de la grande salle pour se dire au revoir, se passer les adresses, discuter du bilan !
L’Afrique s’est donc montrée sur un espace culturel destiné à la rencontre et à la découverte les uns des autres. Mais qu’ils soient venus du Cameroun, du Congo-Brazza, du Burkina ou de la RDC, les acteurs et dramaturges africains se sont tous ou presque étendus sur les méfaits du politique dans le continent. Ils ont pointé cette Afrique qui crève non pas seulement de faim mais surtout de l’âme, des dictatures au règne de la médiocratie en passant par les enrichissements malsains au nom de l’Etat. Si la forme variait, les spectacles n’ont eu dans le fond qu’un seul et même refrain : l’Afrique statique qui refuse de démarrer !

///Article N° : 1966

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