« Il ne faut pas nier l’influence, il faut vivre avec. »

Entretien d'Olivier Barlet avec Ariry Andriamoratsiresy, chorégraphe

Abidjan, 2001
Print Friendly, PDF & Email

Compagnie Rary
(Madagascar),
Mpirahalahy Mianala
(« plusieurs qui forment un seul »)

Comment en êtes-vous arrivé à la danse ?
La compagnie existe depuis cinq ans. Je suis venu au monde de la danse par la compagnie Tsingury, qui avait été aux Rencontres de Luanda. Puis, j’ai fini mes études universitaire option danse, donné des cours de danse et ai fondé ma propre compagnie : les femmes sont issues des premières promotions, les hommes sont venus plus tard. Dans mes premières chorégraphies, j’ai trop dirigé ! Les critiques m’ont aidé à mieux écouter les suggestions. Sur ce spectacle, j’ai proposé un thème aux danseurs et musiciens et nous avons partagé le travail. J’ai travaillé par entretiens, la ligne directive étant le problème affectif que chacun ressent. Les filles ont commencé la création et les hommes ont apporté ensuite un aspect plus spectaculaire.
La scénographie est très suggestive.
Je me suis dit que le décor serait une valise en bois, comme une armoire se couchant sur le sol et la porte s’ouvrant dont on sortirait… L’affectivité comme une boîte qui s’ouvre pour faire jaillir les émotions. Ce n’était pas bien faisable. On a alors pensé à une planche mais elle était trop lourde pour les filles. Puis à une table. Quand on a pratiqué, on pensé à rajouter un niveau en base et finalement, c’est devenu l’étagère que vous avez vu. Sa forme cubique, carrée, rectangulaire représente le monde d’aujourd’hui sur le plan organisationnel comme spirituel. Le problème est d’adopter la forme ronde de l’être humain, comme la terre, la lune, les globules rouges ou blancs, la molécule…
Que signifie le titre du spectacle ?
« Deux frères qui vont à la chasse ». C’est un proverbe malgache qui dit que si tu vas à la chasse, il faut toujours rester ensemble car c’est ainsi qu’on aura la victoire. La philosophie malgache propose de vivre avec le rectangulaire mais d’adopter la forme ronde. Dans le spectacle, des gens vont à la chasse mais restent ensemble. Les mouvements s’inspirent beaucoup de la vie animale et ce langage est destiné à infilter le monde entier, présent et futur.
On sent un fort côté aquatique.
J’ai choisi cette énergie pour calmer un peu ! Quand on parle de l’Afrique, c’est toujours avec des tam-tams et des corps musclés noirs. Pourquoi pas une autre image qui montre qu’on maîtrise une autre forme d’énergie universelle ? L’eau entoure Madagascar et nous procure ce calme.
Les éclairages et la musique vont dans le même sens.
Oui, j’ai proposé au technicien une gelatine verte qui résiste à la chaleur. Cela permet d’évoquer la végétation du fond de la mer. Pour conserver le parfum malgache, nous avons travaillé avec Linda Volahasiniaina et Michel Rafaralaky, de jeunes musiciens contemporains qui jouent des instruments traditionnels malgaches. Ces ambiances sonores m’inspirent énormément et me ressourcent pour garder ce que je suis.
Dans quelles conditions travaillez-vous ?
Il n’y a pas chez nous d’intermittents du spectacles ! Il nous faut travailler pour manger ! Nous avons du mal à payer le loyer de la salle de répétitions. On a lutté pour montrer que notre travail peut influencer la danse tuture. Le ministère malgache de la Culture ne nous ignore pas mais n’a pas les moyens de nous faire entrer dans un contexte favorable à notre épanouissement. Voilà deux ans que nous avons cette salle et cela nous donne l’énergie nécessaire en matière de création. Mais il n’y pas de financement spécifique pour la danse. Mais avec le Masa ou les Rencontres de Tananarive, une conscience se développe qu’on existe.
Qu’ont permis les Rencontres ?
Elles ont fait évoluer la danse contemporaine et l’ont mise à la mode. Une dizaine de compagnies ont émergé, dont trois ou quatre tentent de proposer une création par an. Mais cela ne va pas sans une certaine tendance au mimétisme. Les prix attribués ont leur effet : on rêve de tournées internationales et cela tue la créativité quand on essaye de faire pareil ! Quand une compagnie a du succès, on a tendance à l’imiter. Cela reste une lutte personnelle de voir les qualités des autres mais de faire surgir sa qualité propre. Il ne faut pas nier l’influence, il faut vivre avec.

///Article N° : 1964

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Laisser un commentaire