Une musique thérapeutique

Entretien de Samy Nja Kwa avec Toups Bebey

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Après avoir longtemps pédalé, voilà que Toups Bebey adopte la « pygmy attitude ». Deux ans après la sortie de leur premier opus, le saxophoniste camerounais et son Paris Africans s’installent dans la forêt. La flûte pygmée nous oriente dans leur jungle sonore.

Pourquoi avoir intitulé ton album « Pygmy Attitudes » ?
Le titre est au pluriel, donc pour plusieurs raisons :
– La musique des pygmées fait partie des secrets de la nature dont ils sont détenteurs, et le plus visible est cette médecine de l’âme, la musique, qu’ils arrivent à faire à partir d’une seule note, celle de la flûte pygmée, ndéhou, qui est assez extraordinaire.
– Le terme « pygmée » est tellement péjoratif chez pas mal de gens que j’aimerais bien qu’ils réalisent qu’en fait, ce sont des gens importants par leur musique. Chaque fois que je sors ma flûte pygmée, les gens se taisent et trouvent que c’est merveilleux. Et chaque fois que mon père fait de même, les gens ont la même réaction. La flûte pygmée est un instrument magique. Aussi, j’aimerais bien que ces gens soient pris au sérieux.
– Si on se penche sur l’histoire, on remarque que les pygmées étaient dans la cour des pharaons parce qu’ils étaient bons musiciens. Les pharaons sont à la base de la civilisation occidentale et ce n’est pas négligeable. Il faut respecter les pygmées comme tout être humain et en plus, ils ont des informations essentielles. Ce sont des gens qui ont une façon particulière de regarder le monde. Ils ont aujourd’hui deux principales activités : la chasse au miel et la chasse à l’éléphant. Ils s’attaquaient à la fois à des êtres infiniment plus petits qu’eux, les abeilles, et plus grands qu’eux, les éléphants. Et ils excellent dans ces deux confrontations. Ces deux opposés sont révélateurs d’une façon particulière de voir le monde, que je trouve intéressante. Je veux donc que les gens se posent des questions et arrêtent de dénigrer ce qu’ils ne connaissent pas. J’ai fait une recherche sur le mot « pygmée » sur internet, j’ai vu très peu de choses sur ces peuplades ; par contre, j’ai vu une quantité de choses sur les animaux nains.
– Pygmy Attitudes, c’est aussi une façon de rendre hommage à mon père, qui m’a fait découvrir cette musique qui fait partie de mon éducation.
On trouve encore des pygmées au Cameroun, à Djoum, non loin de Sangmélima, vers la frontière du Gabon, est-ce que tu connais cette région ?
On m’en a parlé, j’aimerais bien y aller. Elle fait partie du très beau Cameroun qu’il faut visiter avant qu’il ne disparaisse, ce qui est bien sûr valable pour le reste du monde. Pygmy Attitudes, c’est aussi la philosophie de ces hommes qui, eux, n’auraient pas eu l’idée de compromettre leur avenir en détruisant la nature.
Ta musique devient de plus en plus dansante
Le titre « Pygmy Attitudes » est déjà assez dansant. Le premier son qu’on entend vient de la flûte pygmée et ensuite il y a la rythmique ti bois, des petits bambous utilisés aux Antilles. Je fais partie de cette génération d’Africains qui bâtit ces ponts et recrée ces liens. Le pari de « Pygmy Attitudes » est de faire en sorte que l’Antillais qui ne connaît pas l’Afrique se sente concerné lorsqu’il entend la flûte pygmée et le ti bois. Cette flûte lui parlera sûrement autrement que le discours habituel. Le pari est donc de découvrir que l’Africain et l’Antillais ont pas mal de choses en commun à partager. Cette chanson est construite sur une rythmique traditionnelle biguine, et derrière, il y a l’Afrique, la flûte pygmée, la guitare de l’Afrique de l’Ouest, on pourrait appeler cela une fusion interafricaine.
Je croyais avoir lu quelque part que tu fais de l’afro-jazz ?
Paris Africans, c’est mon groupe de jazz. Je veux bien qu’on définisse ce que je fais, mais ce n’est pas mon problème. Du moment que j’ai une étiquette, j’ai le droit d’exister, mais si je n’en ai pas, alors là, j’ai un problème.
Je relève quand même que ta musique est assez éclectique.
Le jazz est un dénominateur commun pour les musiques d’aujourd’hui depuis un siècle. Pourquoi ça ne continuerait pas ? Je suis un musicien africain qui a choisi trois voies pour s’exprimer : la première plutôt jazz, l’autre fanfare, et la troisième house. Mais je revendique quand même le droit de ne pas me limiter qu’à la biguine, qu’au makossa ou qu’au blues. C’est important parce que le problème des Africains est qu’ils ne veulent pas apprendre leur Histoire parce qu’ils pensent qu’ils n’ont pas ce devoir de mémoire. Nous avons le devoir de nous souvenir des erreurs que nous faisons, du malheur qui nous arrive et d’essayer de construire demain en évitant les mêmes erreurs. Donc oui, il y a de la musique dansante, il y a de la chanson, et aussi de la guitare électrique qui nous rappelle ce devoir de mémoire.
Tu parles de chanson, je pense à la voix de Coco Mbassi, à celle d’Archie Shepp, comment as-tu rencontré celui-ci ?
J’ai demandé à Coco Mbassi de chanter à la fois comme un instrument et comme une choriste, ce qu’elle sait faire. C’est le moindre de ses talents. La rencontre avec Archie Shepp s’est faite simplement. Elle date du 2 janvier 1996. Alors que j’accompagnais un musicien brésilien en club, Tifo, le programmeur du club m’a proposé cinq lundis. A ma grande surprise, Archie est venu me faire des compliments sur mon son entre deux sets. C’est grâce à des gens comme lui que j’ai compris qu’il y avait une manière d’être soi-même. Sa propre personnalité passe par le son parce qu’on joue ce qu’on est. Je me souviens avoir lu un article de Bobby McFerry qui disait que pour trouver sa voie, il a du arrêter d’écouter les autres chanteurs. C’est à ce moment là que j’ai arrêté d’écouter les autres saxophonistes, du jour au lendemain, et que j’ai commencé à faire un travail de recherche hérité de mon père.
Tu as trois formations : la Fanfare, Paris Africans et Pact. Chacune a un son particulier, donc…
Donc, le plus dur sera le prochain disque. Mais pour la fanfare, ça relève moins du processus de création, c’est relativement facile, si ce n’est qu’il y a plus de travail, mais je sais que je serai moins inquiet.
Lorsqu’on réussit un premier album, y a-t-il plus de pression pour le deuxième ?
C’est le deuxième cd de Paris Africans et j’ai eu cette pression un mois avant d’entrer en studio. J’étais assez angoissé parce qu’effectivement, on se met la pression tout seul.
Et comment t’est venue l’idée d’inviter Archie Shepp sur « Little Wing » de Jimi Hendrix, une version assez courte d’ailleurs ?
C’est un format particulier, 2 minutes 34 secondes. En vérité, la chanson était plus longue, 5 minutes, mais moins intéressante. Archie n’intervenait que très tardivement. Il fallait donc faire des choix, et j’ai choisi l’effet de surprise de cette voix qui arrive comme ça. On ne s’y attend pas, on entend un cri d’animal blessé et on rentre directement dans le vif du sujet. C’est à la fin du disque, il y a l’effet de surprise et c’est aussi bien comme ça. Pour ce qui est de l’idée d’inviter Archie Shepp, il n’était pas prévu au départ, c’est un ami qui m’en a suggéré l’idée.
Et pourquoi pas Françis Bebey ?
En vérité, je n’ai jamais pensé dans ce sens, mais j’en prends note. L’idée ne m’a jamais effleurée. Dans un premier temps, je ne pouvais pas me le permettre parce que j’étais à mes débuts, et en étant le fils de mon père, c’était trop voyant. Après ce deuxième disque, je peux l’envisager dans un troisième disque, parce que je suis un artiste confirmé.

///Article N° : 1936

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