Othello

De William Shakespeare

Mise en scène : Antonio Diaz-Florian
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Un Maure de Madrid
Après le magnifique Torquémada en 1999 et La Soufrière en 2000, Antonio Diaz-Florian n’est pas avare de surprise : il est venu cette année à La Chapelle du Verbe Incarné avec une figure quasi mythique du théâtre européen : Othello. Mais ne nous laissons pas abuser par le choix qu’on pourrait croire classique, Diaz-Florian reste fidèle à ses engagements humanistes, sa passion pour l’investigation historique n’a pas faibli et cet Othello qu’il nous offre, c’est un personnage dépouillé de toute interprétation actualisante pour mettre en avant la question de l’altérité et de l’aliénation raciale engendrée par l’Occident depuis la Renaissance. Son Maure de Venise entre dans la même sphère d’interrogation que Torquémada, c’est la dimension incroyablement moderne que met à jour Diaz-Florian dans cet Othello. Et cette modernité, il ne l’atteint pas en modernisant la pièce mais au contraire en restituant sa lumière intérieure, sa fougue de jeunesse, comme on restaure une oeuvre d’art, comme on remet au jour la lumière des chefs d’oeuvre du passé en retrouvant le nerf esthétique du baroque qui caractérise cette oeuvre. Il redonne en effet sa force à la pièce en l’abordant avec la simplicité des tréteaux.
C’est la tragédie d’un homme noir que l’amour inespéré d’une femme blanche, amour improbable dans le contexte des préjugés raciaux de l’époque, aveugle au point de nier son propre bonheur et d’être lui-même l’instrument de son malheur. Personne ne peut résister à la destruction pernicieuse de l’âme que le racisme d’une société insinue au coeur de celui qu’elle infériorise et méprise, même le plus valeureux des soldats perd confiance à la moindre alerte, comme si au fond de lui il ne pouvait croire à l’amour qu’on lui porte. L’histoire de l’aliénation du nègre victime de sa couleur comme d’une malédiction a passionné l’âge baroque. L’Europe de la Renaissance voyait en effet en l’homme noir, celui qu’on appelait le Maure parce que sa face est noire comme la mûre, un être fatalement condamné par son apparaître et voué à « l’aventure ». Ce personnage est très présent dans la littérature picaresque et le théâtre baroque espagnol. C’est pourquoi Antonio Diaz-Florian a monté la pièce comme une comedía espagnole à la Lope de Vega, et lui a ainsi rendu son pittoresque historique méditerranéen en lui donnant la coloration hispanique de l’époque des Conquistadores, avec force armures et casques authentiques venus tout droit de Madrid. Cet Othello est le frère d’El Valiente Negro de Flandres de Claramunte qui s’écriait, « Quelle infamie c’est d’être noir dans ce monde ! ». Le Maure de Diaz-Florian a quitté Venise pour Madrid !

La Chapelle du Verbe Incarné
adaptation et traduction : Antonio Diaz-Florian
production : Le Théâtre de l’Epée de Bois / France
avec Sophie Bernhardt (Bianca), Ilios Chailly (Le Doge et Montano), Xavier Changala (Lodovico), Lucile Cocito (Emilia), Jérôme Côme (Iago), Cécile Doutey (Desdémona), Yazid Lakhouache (Othello), Alexandre Palma Salas (Brabantio et Cassio) et Frédéric Tissot (Rodrigo).///Article N° : 1897

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