Limoges 2000 :

Engagement théâtral en terre de francophonie

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Programmation étonnante, déconcertante même, que cette 17e édition du Festival des Francophonies devenu Festival International des Théâtres Francophones avec l’arrivée du nouveau directeur Patrick Le Mauff. Loin de s’inscrire en rupture avec le travail que Monique Blin, durant 16 ans, a accompli notamment à l’égard des théâtres d’Afrique, Patrick Le Mauff veut prolonger cette démarche d’ouverture et d’engagement sans compromission avec les effets de mode et qui a fait du Festival de Limoges un événement théâtral alternatif à côté de grandes manifestations comme le Festival d’Avignon ou le Festival d’Automne à Paris. Patrick Le Mauff radicalise même cette position eu égard à la notion de francophonie en défendant une conception fondamentalement articulée au principe de la rencontre, voire du concert. Francophonies doit rimer avec polyphonies. Et ce n’est pas un hasard, s’il a souhaité ouvrir le festival avec un grand concert à ciel ouvert au beau milieu de la cité réunissant les instruments les plus divers pour interpréter In C de Terry Riley.
Loin de revendiquer une francophonie purement linguistique, c’est avant tout une francophonie culturelle où le français se laisse chatouiller, voire bousculer par d’autres langues qui le traversent ; c’est une francophonie qui évacue un certain postcolonialisme fataliste, voire toujours paternaliste, mais revendique la richesse d’un français retravaillé à la racine par l’influence de conceptions du monde qui appartiennent à l’arabe, au lingala, au mandingue, au fon… et qui insufflent du rythme dans la langue française, renouvelle sa densité poétique, et nous la font redécouvrir. C’est pourquoi le festival, à côté des lectures à Expression Sept et des rencontres avec les artistes sous le chapiteau, a programmé un débat inaugural sur « La Transversalité de la langue française » avec Denis Guenoun, homme de théâtre et philosophe, universitaire aussi.
Loin de vouloir intellectualiser le débat, Patrick Le Mauff a tenu à enraciner son arbre de la liberté dans un sol fertile où toutes sortes de terre pourront le nourrir : c’est une francophonie arborescente, aux frondaisons denses et multiples qu’il souhaite voir pousser et s’épanouir. Et l’Orangerie de l’Evêché, aménagée pour l’occasion en salon oriental avec moulte tapis sur lesquels le public qui assistait au débat était invité à s’installer, était déjà tout un programme. Ce fut en effet une discussion passionnante sur l’universalité paradoxale du français dans le monde, sa singularité ouverte, et la nécessité vitale d’envisager aujourd’hui plus que jamais la francophonie comme une « culture accueillante à l’interlocution et aux partages qui la sollicitent et la questionnent ».
« Interlocution » et « partage » furent bien les maîtres-mots de cette édition.
Interlocution des langues d’abord avec la présence d’autres langues mêlées au français et même un spectacle en flamand d’Agota Kristof ; interlocution des genres avec, à côté du théâtre, de la danse contemporaine venue des Balkans défendre La Paix, un ballet de Jean-François Duroure, avec Mamar Kassey et ses musiques du Niger, avec aussi le Gagbé Brass Band qui marie jazz et musique traditionnelle béninoise ou le Trio Bah Cissoko et ses rythmes mandingues ; interlocution des formes avec des spectacle aussi antagonistes que l’étourdissant one man show de l’Algérien Fellag et les six heures éprouvantes de Rwanda 94 venu de Belgique ; avec la simplicité et le dépouillement du travail des acteurs béninois de Mains vides contre kalachnikov face au baroquisme de la démarche de Christiane Varicel dans Plus beau que jamais et sa distribution cosmopolite ; avec l’ascétisme scénique de La Confession d’Abraham de Kacimi face à l’exubérance de Rêves du Libanais Wajdi Mouawad, avec le soleil du Miel est plus doux que le sang de Simone Chartrand et Philippe Soldevilla, après la pluie de Nuit d’orage sur Gaza de Joël Jouanneau, avec la terre rouge du Bénin ou du Rwanda à côté du sable blanc de Méditerranée.
Partage d’émotions, de rires, partage de convictions aussi. Et c’est bien là la réussite de cette 17e édition qui nous a offert de la matière à penser et de l’engagement afin de fertiliser les terres de francophonie pour que poussent encore des arbres de liberté.

///Article N° : 1598

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