Regarder les étoiles (Simin Zetwal), de David Constantin

L'apprentissage du regard

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Vous êtes déjà allé à l’Île Maurice ou rêvez d’y aller ? Allez voir ce film ! Il remet les pendules à l’heure. Surtout, il permet de comprendre de très sensible façon la complexité historique, humaine et sociale de ce confetti perdu dans l’Océan indien. Un passionnant road-movie nocturne, étonnant et émouvant dont David Constantin nous avait parlé au débat-forum du Fespaco sur son film.

Le jeune Mauricien Ronaldo essaye de survivre avec du petit commerce et des arnaques. La jeune Bangladaise immigrée Ajeya est exploitée dans un atelier textile. Tout les oppose et leur rencontre est improbable mais sera justement la trame du film. Car Ajeya a des raisons de fuir son entreprise et est poursuivie. Car Ronaldo a une voiture. Au cours de la nuit, ils vont traverser l’île et trouver ensemble ce qui peut les réunir.

C’est bien d’une initiation qu’il s’agit. Au contact d’Ajeya, Ronaldo va devoir explorer sa propre origine métissée et mieux cerner son désir d’émigrer. Un tel résumé paraît banal, le film ne l’est pas. Parce qu’il est aussi inattendu qu’émouvant. Ces deux personnages vont être confrontés aux fantômes de la nuit, aussi étonnants que fascinants, qui les ramènent à eux-mêmes. C’est une complexité qui se dévoile, celle d’une île soumise aux vents de ses immigrations successives, ce mélange de cultures explosif qui ne tient au fond debout que par l’argent. Il est omniprésent et on sait ce que ça entraîne pour les êtres. Alors, comment regarder les étoiles, comment voir les petites choses qu’on ne voit pas et qui pourtant sont vitales ?

C’est en replaçant sur le plan humain, familial et affectif les problématiques économico-politiques de cette île méconnue que David Constantin perce avec une grande finesse les mystères du vivre ensemble. Il ne s’agit pas d’adhérer au discours officiel d’un arc-en-ciel sans problèmes, mais au contraire de réveiller les terrains mouvants de la confrontation des origines et des cultures. Ce n’est qu’en s’acceptant soi-même qu’on peut vivre avec l’Autre, quitte à le perdre.

Ajeya comprend que la relation de Ronaldo avec son père est la clef de son émancipation, et partant de la sienne propre. Mais cela passera par les méandres des représentations tant concrètes que mystiques, tout cela dans un parcours nocturne tourné dans les champs de cannes et le labyrinthe végétal de Crève-Cœur, au centre de l’île. Car la nature joue ici un grand rôle : on s’y perd pour mieux s’y retrouver, tant l’essentiel est ancré dans l’actualisation des traditions.

Le pari était osé : puiser dans le cinéma de genre la crédibilité d’une course-poursuite, donner du poids à des rencontres surréalistes, aborder la question des croyances, emmener le spectateur avec soi dans un parcours d’obstacles qui le mène à une perception hors clichés des subtilités mauriciennes, et pourtant faire de ce road-movie une invite à la réflexion de chacun. On sort du film plein de questions et d’envie d’en savoir plus sur le mélange culturel mauricien, sur la toile historique, économique et politique de cette île dont l’emblème est un oiseau qui ne pouvait voler et fut exterminé dès qu’on y a mis les pieds. Car au fond, c’est notre capacité de nous forger un destin qu’interroge David Constantin dans un film aussi ancré. Il puise dans sa singularité la force de parler à tous les humains.

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