Le Gang des Bois du Temple, de Rabah Ameur-Zaïmèche

Le chant du cygne des opprimés

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En sortie le 6 septembre 2023 sur les écrans français, le nouveau film de Rabah Ameur-Zaïmèche confirme la qualité de son cinéma et sa place originale dans le cinéma français.

Il y a dans les films de Rabah Ameur-Zaïmèche une tranquillité qui ne saurait faire illusion. Il ne souscrit aucunement aux sirènes du spectacle, tourne une intrigue policière avec la souveraineté d’un Melville, mais de chaque image coule une rivière de fructueuses interrogations. Il construit son récit de façon énigmatique, jusqu’à ce que sa trame importe moins que ce qu’elle porte ici : le désir d’une bande de potes de la cité des Bois du Temple (située à Clichy-sous-Bois, au Nord-Est de la Seine-St-Denis), de dépasser les assignations dans lesquelles les confine notre société.

Il prend le temps sans nous le prendre car chaque scène a sa beauté, à commencer lorsqu’Annkrist, chanteuse née à Bizerte qui après avoir écumé l’Afrique s’est associée au regain musical breton, entame « La beauté du jour » dans l’église de la Trinité : « l’amour ne fait pas d’esclaves mais des volontaires« , tout en ajoutant qu’il faut « la peau suave et des nerfs de fer« . Des nerfs, il en faudra à Bébé qui peine à nourrir sa femme Linda et ses deux gamins. Lorsqu’il risque le tout pour le tout, cela semble simple sauf que c’est très compliqué : on ne transgresse pas aisément les lois du milieu, on ne s’érige pas sans casse au-dessus de la hiérarchie des intérêts, on ne sort pas de sa place impunément, même si un ange gardien vient le protéger.

Le récit sera donc fatalement un engrenage sanglant tant il procède de la loi bien cachée du fric et du plus fort. Le réalisateur le détaille minutieusement, travaillant les ambiances nocturnes, approchant sa caméra des protagonistes non par souci de psychologie mais pour suivre leurs gestes par le menu, pour rendre ce que disent leurs regards, pour écouter ce qui soude le groupe. C’est ainsi que la tension est à son comble, non dans des effets boom-boom.

Ce qui est trop beau pour être vrai ne peut pas durer longtemps, au cinéma comme dans la vie. Appuyé sur l’association d’un fait divers réel et de l’assassinat de Jamal Khashoggi, le film tisse un drame imparable, une spirale de révolte où s’enfoncent les dominés, comme les contrebandiers des Chants de Mandrin. Il le fait ici aussi avec une extrême élégance, non en étant esthétisant mais par la puissance de ses métaphores, par exemple lorsque le prince saoudien, flanqué de son obscur acolyte, se met à danser sur le raï électronique endiablé de Sofiane Saïdi dans une boite souterraine, intriguant génie vêtu du blanc de la mort, comme s’il voulait lui aussi se libérer.

Slimane Dazi fait merveille dans son interprétation du détective privé, douteux personnage incontournable du film noir. Quant à Régis Laroche, il campe un Pons proche du Ponce Pilate qu’il incarnait dans Histoire de Judas, aussi réel que symbolique. Avec Philippe Petit dans le rôle d’un Bébé emporté par le destin des gens de peu qui osent contester leur condition, ils composent tous un superbe chant du cygne qui s’imprime dans nos mémoires.

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