La Conspiration du Caire, de Tarik Saleh

La complexité reste confidentielle
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En sortie dans les salles françaises le 26 octobre 2022, le nouveau film de Tarik Saleh a étonnamment obtenu le prix du scénario au festival de Cannes 2022. Navigant entre cinéma de genre et méditation politique, il intrigue mais peine à convaincre.

Le Suédois égyptien par son père, Tarik Saleh est connu pour Le Caire confidentiel (The Nile Hilton Incident, 2017), un polar ou un inspecteur découvre les implications de proches du pouvoir égyptien dans le meurtre d’une jeune chanteuse. Outre ce succès en salles puis sur Netflix, il a également réalisé aux Etats-Unis un épisode de la série Westworld et le long métrage Le Contracteur (The Contractor, 2022), visible sur Prime vidéo, un thriller purement américain où un ancien Marine se trouve piégé par un trafic pharmaceutique. Et il était, rapide consécration, en compétition officielle au festival de Cannes avec Boy from Heaven. Le film est intitulé La Conspiration du Caire en français, un titre qui correspond assez bien à son contenu en insistant sur la manipulation politique alors que le titre anglais colle au contenu religieux (le garçon du ciel) tout en introduisant l’ambiguïté (le garçon tombé du ciel, qui tombe bien), et ramène ainsi à la manipulation. Car là est le sujet du film.

Il reprend la trame qui avait fait le succès d’Un prophète de Jacques Audiard : un jeune innocent qui, face à la corruption et au pouvoir dans un milieu fermé, tire son épingle du jeu et renverse à son profit les situations. Adam est en effet un simple fils de pêcheur qui intègre la prestigieuse et colossale université Al-Azhar du Caire, épicentre du pouvoir de l’Islam sunnite. Le jour de la rentrée, le Grand Imam à la tête de l’institution meurt soudainement et voilà qu’Adam se retrouve au milieu d’une lutte de pouvoir implacable entre les élites religieuses et politiques du pays pour imposer un successeur. Intensément interprété par Tawfeek Barhom, naïf et taiseux au départ, Adam gagne en assurance et en indépendance jusqu’à profiter de ce qui lui arrive.

Les autorisations de tournage ayant été refusées trois jours avant son début, Tarik Saleh avait dû se retourner sur Casablanca pour tourner Le Caire confidentiel. Le film a été interdit en Egypte et il est probable que, de par son contenu, Boy from Heaven le sera aussi. Il l’a tourné en Suède et en Turquie où la mosquée Süleymaniye d’Istanbul lui a offert la magnificence architecturale des lieux et le cadre nécessaire aux plans plongeants qu’il affectionne pour situer les actions autant que l’articulation des pouvoirs au sein de la mosquée. Les deux films ont en commun un scénario sinueux mais aussi la présence de Farès Farès, excellent acteur qui joue ici le colonel Ibrahim. Cet agent de la séculaire Sûreté de l’Etat intrigue pour faire d’Adam une taupe agissante (appelée ici « ange » !), aux ordres du général Al Sakran (Mohammad Bakri) qui affirme que « le pays ne peut avoir deux pharaons ». Dans un cas comme dans l’autre, Farès Farès interprète un officier du pouvoir qui mène sa barque dans une mer de corruption et d’intrigues politiques complexes que les entrelacs de ce scénario ne permettent pas toujours de bien cerner. Le polar est respecté, avec ses portes secrètes, ses complots, ses double-jeu, ses retournements et le cynisme de ses personnages.

Tout cela joue au sein d’une sphère politico-religieuse caricaturée sans que nous puissions par contre saisir les arcanes de la lourde répression de la liberté d’expression en Egypte qu’illustrent par exemple la libération sous la pression d’Amnesty international de Ramy Shaath après 900 jours de détention sans procès ou la détention à répétition d’Alaa Abdel Fattah. Les décors et costumes, l’apparat des rituels de l’enseignement dans la cour qui mobilisent nombre de figurants, les discussions théologiques autant que le concours de psalmodie peuvent fasciner mais renforcent la distance que l’on peut éprouver, laquelle est aussi et surtout creusée par la volonté de répondre aux exigences du thriller, avec la volonté de tenir en haleine sans au fond vraiment en adopter les codes. Cela donne un début de film au scalpel, assez accrocheur, qui profite largement de la beauté des lieux et du magnétisme du contexte, mais il se dissout peu à peu dans un embrouillamini scénaristique qui fait que l’appel au genre autant que l’accumulation des thèmes deviennent des facteurs de superficialité autant que d’égarement.

 

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