Ziyara, de Simone Bitton

Les traces de l'entente

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En sortie le 1er décembre 2022 dans les salles françaises, le nouveau film de Simone Bitton nous prend par la main à la découverte d’une relation perdue entre Juifs et Arabes, sur les traces de son enfance. Mais que des musulmans maintiennent en gardant les mausolées juifs.

Un road movie à travers le Maroc, avec carte et camionnette. Une plongée dans les souvenirs d’enfance, avec cette dose de nostalgie que la fuite du temps apporte… Simone Bitton, dont on connaît de film en film l’intérêt pour les relations entre Juifs et Arabes, et le respect pour la cause palestinienne, revient sur ses racines juives marocaines. Mais plutôt que se restreindre aux lieux de cette enfance, elle va à la recherche des mausolées juifs gardés et entretenus par des musulmans, et vénérés par tous. Ces lieux en somme où se perpétue l’entente entre Juifs et Arabes qu’elle a connue dans son enfance et qui s’est perdue en Israël : la ziyara (visite des saints) est une pratique populaire que juifs et musulmans ont toujours eu en partage.

Tous lui disent la perte qu’a représenté le départ des Juifs, qui fut accéléré par la guerre des six jours. Ils étaient de l’ordre de 250 000 dans les années 50. Parmi les 650 mausolées de saints juifs, 150 sont partagés par les juifs et les musulmans, et pratiquement tous sont gardés par des musulmans. Ils sont connus pour leurs attributions (le bonheur en mariage par exemple) et font l’objet de pèlerinages (ziyara) dont certains rassemblent beaucoup de monde, tandis que d’autres se pratiquent toute l’année. Les gardiens ouvrent les lieux aux visiteurs, et reçoivent une obole pour l’entretien et leur nourriture.

Simone Bitton visite aussi des synagogues et des cimetières, parfois vieux de sept siècles. Au contact des gardiens, elle a retrouvé la langue de son enfance, le darija, le dialecte arabe marocain qu’elle avait oublié, qui est devenu la langue du film. On ne la voit pas mais on l’entend : elle s’implique dans cette relation, comme si sa possibilité la consolait des blocages en terre d’Israël. Elle respecte les croyances à l’œuvre car elle en comprend la pertinence pour la paix sociale. C’est comme une consolation : elle se sent appartenir à cette relation, sans la déchirure identitaire qui domine tout en Israël – une relation qui pourtant s’arrêta brusquement lorsque les Juifs laissèrent derrière eux les tombes de leurs parents et ancêtres, et partirent, attisés par la peur et les promesses d’Israël.

Simone Bitton visite. Très souvent filmées en plans fixes, ses visites invitent au calme de la rencontre, au surgissement de l’invisible, à l’approfondissement historique, au point de terminer parfois un épisode par des vues photographiques des lieux autrefois. Pas de musique mais les sons de la nature. Simone Bitton ne fait cependant pas des cartes postales : c’est un Maroc du quotidien, à la fois traversé de beauté et enlaidi par le béton. En fin de film, l’inquiétude revient face à l’islamophobie, l’antisémitisme et la xénophobie qui s’aggrave un peu partout aujourd’hui. Il y a une leçon à tirer de ce vécu de partage de pratiques et de croyances, de vie collective qu’il ne s’agit pas d’idéaliser mais de considérer comme porteuse d’avenir face aux barrières qui se dressent.

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