Dak’Art 2000 : lieu de partage

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Le 4 mai au soir, la ville de Dakar n’a pas changé. Je retrouve une ville que j’ai quittée il y a à peine cinq mois. Il y a eu, depuis ce temps, beaucoup d’émotions et de discours. Un nouveau Président de la République. Une nouvelle ère qui commence. Les habitants ne sont plus les mêmes, je suppose. Cette fois-ci, de l’aéroport à l’hôtel, il n’y a qu’un pas. Les invités pour la Biennale sont logés au Méridien, très loin du centre ville. Je me demande si cela ne va pas gêner quelque peu les rencontres entre ceux qui ont quelque chose à montrer, ceux qui ont l’habitude de vendre, ceux qui font la promotion des œuvres et des artistes, ceux qui viennent apprécier et prendre le pouls de ce qui se fait de meilleur en Afrique en matière d’art contemporain. Cette fois-ci, il va falloir s’organiser autrement pour que des échanges fructueux soient possibles.
Pour ma part, je ne fais que passer. Deux jours à Dakar. Une vraie course contre la montre. Un autre voyage m’attend. Mais l’escale de Dakar me permet d’être présente à un rendez-vous important que je manque rarement. Dès le 4 au soir, dans le hall du Méridien, le ton est donné, les uns et les autres se rencontrent déjà, on se donne les dernières nouvelles.
Cette Biennale de l’Art africain contemporain en est à sa cinquième édition. Je me rappelle que les deux premières éditions avaient été conçues et réalisées dans un esprit différent. Il s’agissait globalement de culture. La toute première Biennale, en décembre 1990, était véritablement celle des Arts et Lettres. De nombreux écrivains, intellectuels, hommes et femmes de lettres étaient présents. On a eu l’impression de vivre des moments inoubliables comparables à ceux vécus par d’autres lors du Festival mondial des Arts nègres de 1966. Mais très vite, dès décembre 92, la Biennale a commencé à restreindre son champ d’activité. Déjà les débats ont tourné essentiellement autour de la circulation des œuvres d’arts. Puis, à partir de 1996, après avoir marqué une pause de quatre ans, pour se donner un souffle nouveau, la Biennale de Dakar a trouvé ce que l’on pourrait appeler sa voie propre. Dak’Art a pris son envol, sur les ailes d’un logo signé Amadou Sow, artiste sénégalais vivant en Autriche. Avec le temps et l’expérience, Dak’Art est devenue de en plus ouverte et sur le monde et sur l’ensemble de l’Afrique. A preuve, aujourd’hui, les artistes qui représentent l’Afrique viennent de tous les horizons. Ceux qui vivent hors d’Afrique ont l’opportunité de montrer leurs œuvres et ont même quelque chance d’être primés comme Jems Robert Koko Bi, prix de l’Union Economique Monétaire Ouest-Africaine du jeune talent, Ivoirien (Allemagne), ou Fatma M’sedi Charfi, de Tunisie, grand prix Léopold Sédar Senghor (Suisse). Les îles ne sont pas oubliées comme les Seychelles ou les Comores. Et la présence de l’Afrique du Sud se fait particulièrement remarquer depuis l’édition de 1998.
Tous ceux qui ont fait le déplacement dans la matinée du 5 mai pour la cérémonie d’ouverture ont pu avoir une idée des ambitions et de l’esprit qui guident et éclairent Dak’Art. C’est d’abord Sylvain Sankalé, Président du comité scientifique qui, dans un discours d’ouverture beau et profond, en disant le comment et le pourquoi de Dak’Art, a donné le ton. D’entrée de jeu, il n’a pas fait de cadeau à tous les « esprits grincheux » qui avaient prédit le report de la présente édition. Et avec quelle chaleur il a salué la présence à cette tribune du nouveau président de la République : Abdoulaye Wade ! Ce fut aussi Rémy Sagna, Secrétaire Général de la Biennale et cheville ouvrière de l’organisation pratique qui fut chaleureusement félicité. Mais ce discours n’était pas seulement un discours de circonstance ; ce fut aussi un moment d’intenses émotions, de partage, de solidarité fraternelle, de défense et illustration de l’art, de la beauté, de la culture. Ces mots ont dit l’essentiel sur l’art et l’émotion qu’il nous permet de vivre… avec la bénédiction du ciel. Il y avait conjonction, semble-t-il, entre Mercure, Vénus, Mars, Jupiter, Saturne, la Lune, le Soleil et la Terre. Et devant la belle envolée lyrique qu’il nous a été donné d’entendre, je ne peux m’empêcher de citer dans le texte : « Immortalité, amour, harmonie, violence, force, puissance, concentration, lumière et renouvellement. Pouvait-il y avoir conjonction plus favorable pour que notre fête soit belle ? »
Pour le peu que j’ai pu voir et entendre, la fête fut belle en effet. Autres moments forts de la matinée, la proclamation des résultats, le discours du Président de la République, qui, pour la circonstance se voulait non seulement « protecteur des arts et lettres » mais surtout « protecteur des artistes », le discours du représentant de l’Union Européenne, principal bailleur de fond, qui a donné deux raisons pour lesquelles elle soutient Dak’Art : faciliter les échanges et le développement des arts plastiques africains ; faire une « publicité positive » à l’Afrique, car la Biennale est un élément important dans le processus de développement socio-économique.
Ovation du Président de la République et des officiels. Danses traditionnelles devant le Théâtre Daniel Sorano. Tout le monde se dirige vers la place Soweto, au Musée de l’IFAN, où a lieu l’inauguration de l’exposition internationale. C’est ici que les choses très sérieuses commencent. Des langues se délient, apprécient franchement, ou marquent leur désaccord total avec la nouvelle créativité qui est ici montrée. La présente Biennale ne laisse aucun visiteur indifférent. Preuve d’une certaine maturité de l’art africain contemporain. Au fait en quoi est-ce si africain ? Ces œuvres ici présentées sont-elles si différentes de celles que l’on voit dans toutes les grandes manifestations du monde ? Je me dis que c’est par l’art, bien plus que par aucune autre activité, que l’Afrique entre résolument – mais difficilement – dans le monde. Mais ici, plus que jamais, elle a son mot à dire : elle dialogue, elle veut se vendre, traverser des frontières, éviter tous les ghettos et tous les pièges que les discours et les pratiques qui classifient, étiquettent, chosifient lui réservent.
Ces œuvres nous parlent du passé, du présent et de l’avenir de l’humanité : des dangers qui la menacent, du mal être, de la guerre, de la solitude, du voyage sans espoir… Mais, parce que ce sont des œuvres d’art, elles nous permettent d’espérer. Les personnages de papier, insectes sans défense, fabriqués en séries par Fatma M’seddi Charfi « installation verticale » ou « numismatique » (composée de plexiglas, métal, papier de soie, caches cartonnés pour collection de monnaie) sont des installations qui nous interpellent. Qui sommes-nous aujourd’hui ? Peut-être des « Abrouc » (nom du personnage insecte) soumis à tous les aléas de la vie et de la… mondialisation. C’est donc à juste titre que le grand prix de la Biennale lui a été attribué.
Par ailleurs, la présente Biennale consacre, à n’en point douter, la présence remarquée des femmes en art.
On a vite crié à la mort de la peinture dans cette Biennale au profit de l’installation, de la vidéo, de la photo. Je me rappelle la grogne des peintres de Côte d’Ivoire et je pense à la grosse colère de notre ami Grobli Zirignon, peintre et art thérapeute.* Mais le bestiaire que nous présente une Suzanne Ouedraogo du Burkina Faso ou l’univers carcéral d’un Joël Mpah Dooh du Cameroun, montrent que la peinture contemporaine est bien vivante en Afrique. Elle ne peut mourir. Cependant, l’accent a été mis, il est vrai, dans le cadre de la présente Biennale sur d’autres formes d’expression. Le textile et le design font l’objet d’un salon à l’espace Vema.
La question de l’africanité de l’art africain contemporain présenté à Dak’Art, mille fois ressassée, agace et pose par la même occasion un problème de fond. La question resurgit à l’occasion des rencontres et échanges sur « Arts contemporain africain : courants, styles et créativité à l’aube du 3ème millénaire ». J’ai juste le temps de prendre part à la première journée des débats. A suivre…
Ceux qui ont visité le Marché des Arts Plastiques en Afrique, à la Maison de la Culture Douta Seck, dès le premier jour, ont dû se poser bien des questions. Plus de 800 participants annoncés. La moitié des stands vide lors de l’inauguration. Et quel marché et pour quel public ? Peut-être voudrait-on vendre ici une « Afrique authentique » ?
Le 6 mai au matin, comme la veille, la salle du petit déjeuner de l’Hôtel est en réalité un véritable forum. C’est là que les relations se nouent, les réseaux se consolident, des cartes de visites s’échangent, des chasseurs trouvent les proies recherchées ou que l’on parle de projets. Les journalistes peuvent rencontrer aussi les artistes. Mais ces moments restent brefs malgré tout, car les journées, dans la ville, sont très longues et la série de vernissages ne fait que commencer. L’après-midi, l’Avenue Albert Sarrault, au Plateau, est une rue des arts. On passe d’une galerie à l’autre. Autre temps fort, le vernissage des expositions individuelles présentées, chacune, par un commissaire à la Galerie Nationale : Bili Bidjocka (Cameroun) présenté par Simon Njami ; Christine Chetty (Seychelles) par Peter-Pierre Louis ; Kay Hassan (Afrique du Sud) par Hans Bogatzke ; Marc Latamie (Martinique) par Orlando Britto Jinorio ; Mohamed Ounouh (Algérie) par Malika Dorbani ; Anna Maria Pacheco (Brésil) par David Elliott ; Kofi Setordji (Ghana) par Ablade Glover.
C’est tout le quartier du Plateau qui célèbre l’art africain contemporain.
Ablade Glover, lui-même artiste, nous donne à voir non loin de là, une magnifique exposition de peinture présentée par la Galerie Arts Pluriels d’Abidjan. Puis Souleymane Keita, à la Galerie Arte où la visite des galeries prendra fin pour cette deuxième journée. La dernière pour moi, lors d’une escale trop brève mais pleine d’émotions, de couleurs, de paroles et de partage. Car autour de l’art on peut partager, pas forcément une « africanité » difficile à cerner, simplement une humanité commune et inépuisable.

* On trouvera une exposition des œuvres de Zirignon Grobli sur africultures.com (NDLR).///Article N° : 1511

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Les images de l'article
Suzanna Ouédraogo (Burkina), Bestiaire n° 2, 1999, 150 x 150 cm, peinture, technique mixte © DR
Fatma M'seddi Charfi (Tunisie) , Numismatique, 1999, 33 x 30 x 7 cm, plexiglas, métal, papier de soie, caches cartonnés pour collection de monnaie © DR





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