Garderie nocturne, de Moumouni Sanou

Une ode à la tolérance

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Présenté au prestigieux festival de Berlin (1-5 mars 2021), ce documentaire sensible livre en toute simplicité mais dans une grand cohérence une ode à la tolérance.

Nous sommes à Bobo-Dioulasso, au Burkina Faso. Des mères travailleuses du sexe confient la nuit leurs bébés ou très jeunes enfants à Madame Coda et sa belle-fille pour revenir les chercher vers les 4 h du matin. Les enfants se réveillent tôt et ne les laissent pas dormir, cherchant le sein ou l’attention… Grosso modo, c’est cela Garderie nocturne, au fil des jours, c’est-à-dire de la réalité mais pas vraiment un récit.

Et pourtant, ce film nous scotche à l’écran. Entre les chambres privées, les espaces de ménage et l’étroitesse de la garderie, nous repérons peu à peu les femmes et leur nom (Odile, Fatim, Augustine, Léontine…), mais aussi leurs enfants (Djena, Dieudonné, Moctar…). Sans oublier Charlotte qui se réfugie toujours sous un banc et dont la mère a disparu sans prévenir… Nous entendons dans les bribes de conversation leurs histoires. Elles sont hors-champ mais si présentes, dites avec humour bien que tristes à couper au couteau : violence, inceste, perversités… Nous voyons ces femmes déambuler la nuit à la recherche de clients dans les quartiers animés comme nous voyons les enfants s’inventer des relations dans la garderie en l’absence de tout jouet.

C’est cette familiarité qui casse les préjugés et rend ces femmes à leur humanité. Si Garderie nocturne nous tient en haleine, c’est grâce à une caméra et un montage toujours attentifs aux personnes, une immersion au quotidien qui ne fait pas de sociologie mais joue la sensibilité, proche des corps, à l’écoute. Il n’y a pas de récit mais la vie déborde, foisonnante de gestes et de regards, de discussions improvisées, de moments de joie partagée entre les passes, de tous ces actes du quotidien, des toilettes aux repas, pour s’occuper des enfants.

La caméra est là, bien sûr, avec l’équipe technique. Il y a donc un peu de mise en scène pour filmer les conversations, suivre les gestes du quotidien. Mais il n’y a pas de fiction. « Cela fait trois ans que tu viens nous voir », dit Madame Coda au réalisateur. C’est grâce à cette durée et cette confiance que le projet est possible.

Même si au départ, le sujet est là, le film n’y est pas encore. Il faut une série de résidences et d’ateliers pour en cerner le traitement, éviter les écueils : une résidence d’écriture Africadoc à Bobo-Dioulasso en 2015, le Ouaga Film Lab en 2017 où le prix Fidadoc a permis de participer à la résidence de la Ruche Documentaire du Fidadoc d’Agadir en fin 2017 à Casablanca. Il faut aussi des producteurs pour en accompagner le financement et la réalisation à toutes les étapes : Lamissa Ouattara et Berni Goldblat des Films du Djabadjah au Burkina, Faissol Gnonlonfin et Florent Coulon de VraiVrai Films en France, Meike Martens de Blinker Produktions en Allemagne… En 2019, le pré-montage a gagné le prix OIF et le prix Charbon Studios aux ateliers Takmil des Journées cinématographiques de Carthage. Et voilà le projet qui peut se finaliser, où Olivier Daunizeau a été conseiller artistique.

2015-2021 : six ans et beaucoup de monde pour faire un film. On dira « ton film » au réalisateur, mais on sait qu’il y a là une équipe et que le financement est fait de pierres additionnées, qu’il faut aller chercher : le Fonds Jeune Création Francophone, le World Cinema Fund, le CNC, la Région Nouvelle Aquitaine, l’OIF, les ateliers Takmil des JCC, le Fonds Image de la Francophonie, la Procirep, l’Angoa et comme diffuseurs TV5Monde et Lyon Capitale TV.

Il en faut de l’énergie. Madame Coda, elle, est fatiguée. Elle a plus de 80 ans. Elle somnole sous sa moustiquaire quand les enfants veulent bien dormir. Elle ne prend plus les enfants turbulents. « Ils vont à côté ». Son visage, son regard parlent. Elle ne juge pas, elle fait son job. « Les gens nous jugent facilement, sans chercher à nous comprendre », dit une femme. L’enjeu du film est là : déconstruire le préjugé. Cela suppose de laisser la réalité parler par elle-même. Et donc une distance : ni commentaire ni musique, seulement les bruits de la rue, des enfants, des motos… La nuit, les lumières sont celles des néons dans les intérieurs, des rares éclairages dans les rues.

Ce n’est pas un point de vue, c’est une position : être là, souvent, pour que se crée une habitude de la caméra, sans intervenir mais en étant à disposition. Le réalisateur est ainsi un interlocuteur, pris à témoin lorsqu’émerge un conflit.

« Chaque parcours est différent » : les rares conversations ne nous livrent pas le fond des histoires personnelles. Et le réalisateur se garde bien d’aller trifouiller. Il se contente par exemple de voir cette femme partir sur la moto d’un homme. Il n’y a là ni objectivité ni critique : seulement, sans artifices ni fioritures, l’ordinaire de la vie, sa répétition quotidienne, sa simplicité et sa rudesse, un vécu que nous pouvons comprendre. Si critique il y a, ce n’est ici qu’au sens d’une prise de parti pour le réel contre les représentations dominantes. Ce parti-pris réaliste trouve sa pertinence car il dégage une beauté, celle des êtres filmés, qui y trouvent leur dignité. Pour que nous saisissions combien chacune a ses raisons.

 

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