Africa mia, la fabuleuse histoire des Maravillas de Mali, de Richard Minier et Edouard Salier

Une épopée culturelle, politique et humaine

Print Friendly, PDF & Email

Découvert en première projection publique aux Etats généraux du film documentaire de Lussas en août 2019 suite à son prix SACEM, cet époustouflant documentaire sort sur les écrans français le 16 septembre 2020. A la fois outil de mémoire, leçon musicale et d’amitié, il adopte un ton personnel qui sait communiquer son enthousiasme.

C’est le premier documentaire de Richard Minier mais il a mis plus de quinze ans à le faire ! Ce producteur de musique passionné nous emmène au Mali et à Cuba sur les traces d’un groupe mythique des années 60. « Il faut que je vous explique » : il le fait directement, en voix-off, parfois visible à l’écran et toujours bien présent, en organisateur du retour à Cuba des vieux Maliens, avec une obsession dans la tête : les réunir à nouveau à La Havane pour faire un dernier enregistrement. On sent la veine Buena Vista Social Club : merveilleuse musique, remarquables musiciens, nostalgie d’une musique qui a fait danser des générations, et un fond de géopolitique. Ils avaient débarqué à Cuba en pleine guerre froide en 1964, invités par le gouvernement de Fidel Castro pour y suivre une formation de profs de musique. Ils y restent sept ans et y brasseront les sonorités pour devenir le premier groupe afro-cubain de l’Histoire dont le nom rend hommage à un groupe cubain, « Las Maravillas de Florida ». Leur grand tube « Rendez-vous chez Fatimata » fait vibrer toute l’Afrique dans la période d’enthousiasme post-colonial.

Africa mia rappelle aussi la chaleureuse rencontre humaine et musicale de Ahi na’ma – Lindigo à Cuba (2017, 52′) où Laurent Benhamou et Valentin Langlois suivent le groupe Lindigo, un des groupes de maloya les plus populaires de l’île de la Réunion, lorsqu’ils se rendent à Cuba, exploration qui débouche sur l’enregistrement de trois titres de leur album Komsa Gayar avec les Muñequitos de Matanzas, un groupe historique de rumba de Matanzas, connue pour être « la ville la plus africaine de Cuba ». Il est invité à son tour à la réunion et cela débouche sur le concert final où les deux groupes électrisent la scène.

On pense bien sûr aussi aux allers-retours entre les Congos et Cuba qui ont débouché sur la rumba congolaise. Ce furent d’abord, il y a cinq siècles, les esclaves qui amenèrent avec eux la danse « Nkoumba », appelée plus tard « Cuba rumba », où un couple dansait nombril contre nombril. Dès les années 1930, la rumba cubaine s’impose aux Congos avec les rythmes afro-caribéens et connaîtra son apogée après les indépendances de 1960 avec les groupes African Jazz (avec Joseph Kabasele et son Indépendance Cha Cha), Victoria Brazza, TP OK Jazz, Cercul Jazz, Negro band, Bantous de la capitale, etc. Ce dernier fera partie de la délégation congolaise invitée à Cuba en 1974-75, après les séjours au Congo du groupe cubain Conjunto Boléro en 1965 et Orchestre Aragon en 1972, et y retournera pour le Festival de la Jeunesse en 1978.

C’est donc ici encore une histoire de séjours et d’échanges culturels et musicaux débouchant sur de merveilleuses musiques. Il fallait retrouver les survivants de cette dizaine de musiciens oubliés et âgés qui venaient de six régions du Mali. A commencer par Boncana Maïga, leur chef d’orchestre, exilé en Côte d’Ivoire suite aux pressions du régime de Modibo Keïta. Il y dirigera l’orchestre de la télévision nationale et créera le groupe Africando. Sur la durée, le film tourne à la nécrologie : les décès se succèdent, mais la fibre demeure, et une fois Boncana Maïga convaincu, le rêve peut se réaliser.

Boncana Maïga

Richard Minier est un producteur et a un tempérament d’organisateur : le projet est devenu transmédia. Une nouvelle formation opère une tournée mondiale à partir de 2018, avec bien sûr une escale à La Havane, et l’album sort en même temps que le film chez Universal. En outre, une expo photo, « Swinging Bamako » sur les années 60 au Mali, avec notamment les tirages de Malick Sidibé, élaborée en commun avec l’historien Pascal Blanchard qui a également participé à l’écriture et l’aventure du film, (1) a démarré sa carrière en 2016 aux Rencontres d’Arles.

Roldan Gonzalez, le chanteur du groupe rap cubain « Orishas », rechante pour le film une nouvelle version du titre « Africa Mia » des Maravillas. C’est Edouard Salier qui l’a présenté à Richard Minier et lui apporte son savoir-faire de réalisateur et le matériel nécessaire pour mixer les images d’époque, ce qu’a tourné seul Minier au départ avec une petite caméra et ce que l’arrivée de partenaires financiers dans le projet permet de tourner plus récemment – en tout 180 h de rushs ! La spontanéité du vécu et des rencontres illumine les échanges musicaux tandis que le film joue sur le suspens d’un projet qui n’aboutit qu’après de multiples péripéties. « C’est ce qui en fait aussi un film sur le temps qui passe », dit Richard Minier.

On retrouve certes ici le syndrome de Buena Vista Social Club et de Benda Billili : un Occidental s’engage pour rassembler le groupe et le faire remonter sur scène. Il y met l’énergie et les moyens nécessaires, cela sonne comme un conte de fée. On voudrait davantage de détails sur le projet des musiciens concernés, les contradictions rencontrées à Cuba, et le vécu de ceux qui sont restés au Mali en pleine dictature.

En effet, envoyés à La Havane pour devenir le symbole de l’amitié entre les deux révolutions socialistes, les Maravillas ont été des jouets politiques du Cuba de Fidel Castro et du Mali de Modibo Keïta. Il sera renversé en 1968, remplacé par le dictateur pro-occidental Moussa Traoré. Le groupe est rappelé au pays en 1973, mais il est trop lié dans la mémoire populaire à l’ancien dirigeant et ne connaîtra pas le destin des groupes congolais de la rumba congolaise. C’est pour les Maravillas le début d’une période de purgatoire et de dispersion, et donc l’impossibilité de se produire en Afrique. Africa mia est ainsi une évocation sensible des premiers temps d’instabilité politique d’un pays qui vient de connaître à nouveau un coup d’Etat. Sans doute est-ce dans cette double résonance, historique et musicale entre deux continents, mais aussi dans l’engagement qu’il représente pour en rendre compte, que ce film trouve son impressionnante puissance.

  1. Lire l’histoire des Maravillas écrite par Pascal Blanchard sur le blog de l’ACHAC.

 

  • 69
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Laisser un commentaire