La Soufrière

De Diaz-Florian, d'après Le procès des Guadeloupéens

Mise en scène et scénographie : Antonio Diaz-Florian
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Cinq voix qui souffrent…
Elles sont cinq jeunes filles. Cinq anges des îles, cinq  » pietàs  » tout de blanc vêtues : volants de dentelles, châles ajourés, chemises, froufrous créoles et falbalas frémissants de souffrance rentrée qui jouent à incarner les accusés du procès des Guadeloupéens et prennent tour à tour la parole. Une parole du ventre que toutes portent en leur sein et qui vient déformer leur visage quand elle s’exhale de leur bouche.
C’est dans un curieux nuage azuré que nous invite Diaz-Florian, où tout est bleu de la charrette devant laquelle sont campées les femmes, en passant par les dossiers imaginaires que manipule Mamie, celle qui joue les juges et ordonnance le jeu de reconstitution, jusqu’à la radio qui diffuse un fond sonore qui évoque le monde musical des îles.
Rien qui ne fasse couleur locale ; on aurait plutôt le sentiment d’une Guadeloupe qui a perdu ses couleurs, délavée, blanchie et bleuie, passée à la chaux par la souffrance et les larmes et à laquelle il ne reste plus que les cris, faute d’avoir les rires et la fête.
Et c’est là sans doute la faille du spectacle et où il doit pouvoir gagner en profondeur : la reconstitution du procès reste encore un simple jeu, l’argument dramaturgique n’a pas d’enjeu pour les personnages et ne se justifie que par l’adresse aux spectateurs, le jeu de reconstitution demeure très sage et ne se fait pas rite libératoire. C’est pourquoi l’enjeu de la situation semble exclusivement didactique et à l’adresse du spectateur, sans urgence pour les personnages. Aussi a-t-on le sentiment d’être à l’école.
C’est néanmoins un spectacle à voir, un travail tout à fait édifiant, mais qui cherche encore sa forme dramaturgique. On sent les comédiennes, qui sont toutes très jeunes et dont c’est le premier spectacle professionnel, traversées par une souffrance et une révolte qu’elles ne parviennent pas encore à dominer pour la faire partager et qui caricature parfois leur jeu au lieu de l’anoblir.
Le spectacle a beaucoup évolué tout au long du festival rencontrant aussi son public, un public souvent ému aux larmes, tant il est vrai que cette page d’histoire qui n’est pourtant pas si loin de nous a été mise au placard par la France. Qui se souvient des révoltes du 26 et 27 mars 1967 survenues à Pointe-à-Pitre à la suite d’une grève des ouvriers du bâtiment ? En déterrant les actes de ce procès qui mettait en accusation pour atteinte à l’intégrité du territoire dix-huit nationalistes guadeloupéens, déférés devant la Cour de Sûreté de l’Etat et dont la faute était surtout d’appartenir au Groupe d’Organisation Nationale de la Guadeloupe, Antonio Diaz-Florian affirme un engagement civique loin de toute médiatisation que bien peu de metteurs en scène sont capables de prendre. Rendez-vous donc au Théâtre de l’Epée de Bois à la Cartoucherie de Vincennes pour un spectacle qui au mois de septembre aura sans doute atteint sa maturité.

Une création de la troupe du Théâtre de l’Epée de bois
Costumes : Luz Divina Ruiz (Teatro Espada de Madera de Madrid)
avec Aïda Larfi (Rosanne), Graziella Lacagnina (Marianne), Miléna Aubry (Roselinde), Nathalie Victoire (Rosemarie), Sophie Bernhardt (Larousse)///Article N° : 1497

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