SENTOO : bilan de la première édition et lancement de la deuxième

Table-ronde au marché du film à Cannes 2020

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Organisée dans le cadre du Pavillon des cinémas d’Afrique le 25 juin par l’Agence culturelle africaine au marché du film virtuel du festival de Cannes 2020, cette conférence en « zoom », modérée par le producteur Faissol Gnonlonfin, réunissait Slim Dargachi, directeur du Centre National du Cinéma et de l’Image de la Tunisie, Abdoul Aziz Cissé, direction de la Cinématographie du Sénégal, Denis Koutom, directeur national de la Cinématographie du Togo, Emira Ben Saad, coordinatrice générale du projet SENTOO et Hicham Falah, responsable artistique du projet SENTOO. On en trouvera ci-après le résumé. Il est possible de la suivre intégralement de visu sur youtube ici.

Slim Dargachi, directeur du Centre National du Cinéma et de l’Image de la Tunisie : Ce programme a été lancé officiellement le 25 février 2019 au FESPACO, à l’initiative de Mme Chiraz Latiri qui dirigeait à l’époque le CNCI et est maintenant ministre des Affaires culturelles. Il a pour objectif une coopération sud-sud et d’offrir un accompagnement artistique à des auteurs et producteurs africains porteurs de projet. Les partenaires sont des centres nationaux de cinéma. Un mémorandum a été signé entre six pays : la Tunisie, le Maroc, le Sénégal, le Mali, le Burkina Faso et le Niger. Pour la première édition, on a eu 79 candidatures dont 74 projets éligibles : 21 projets de Tunisie, 16 du Maroc, 11 du Sénégal, 10 du Mali, 13 du Burkina Faso et 3 du Niger. 6 projets ont été sélectionnés, 4 projets de fiction et 2 de documentaire. Les porteurs de projet sont passés par trois résidences : les deux premières résidences étaient axées surtout sur l’écriture et se sont déroulées au Sénégal en juin 2019 puis à Tunis en octobre 2019. La troisième résidence a eu lieu à Marrakech en décembre 2019 était plutôt une rencontre match-making avec des producteurs. Cette première session est un succès et laisse tout le monde motivé pour attaquer la deuxième session où nous rejoignent la Côte d’Ivoire et le Togo. Le Niger s’est malheureusement retiré, espérons provisoirement.

Abdoul Aziz Cissé, direction de la Cinématographie du Sénégal : Le rôle historique du Sénégal dans le cinéma a été important et nous sommes dans cette continuité, présents, répondant à l’appel. En terme d’accompagnement de projet, le Sénégal intervient déjà dans la production avec un financement et les discussions sont menées avec la production. Mais SENTOO dépasse pour nous le simple accompagnement pour le développement des projets : nous cherchons une dynamique de coproduction et de mutualisation des ressources des différents Etats.  Aujourd’hui, nous avons besoin de projets beaucoup plus ambitieux et qui parlent de nous-mêmes, qui retransmettent nos préoccupations, nos rêves, nos envies. C’est à nos pays de se mettre ensemble pour accompagner ce type de projet car nous avons besoin de construire un nouvel imaginaire pour l’Afrique.

Denis Koutom, directeur national de la Cinématographie du Togo : Le Togo aurait pu participer à la première édition mais nous avons été pris de cours. Mais nous voulons assurer la visibilité de nos jeunes auteurs et producteurs et les accompagner. Nous avons été largement informés et associés à la réunion du Maroc qui a statué sur le mémorandum. Nous espérons que le Togo pourra ainsi produire des longs métrages. Notre participation devrait être une incitation pour les autres pays qui n’ont pas encore pris la décision de participer.

Faissol Gnonlonfin : Merci. Continuons avec Emira qui va nous faire un point sur les sélections et comment s’est passée la première édition, sachant que Sentoo se concentre surtout sur le développement des projets après la constatation d’un manque continental à ce sujet.

Emira Ben Saad, coordinatrice générale du projet : L’appel à candidature a duré deux mois, avec dépôt de candidature sur notre site web. Au final, 74 projets correspondaient aux critères de sélection : 50 projets fiction et 24 documentaire, sur un total de 52 auteurs-réalisateurs hommes et 22 femmes. La répartition des projets était répertoriée sur 21 projets tunisiens, 16 marocains, 11 sénégalais, 10 maliens, 16 burkinabés et 3 nigériens. Pour la sélection, nous avons fait appel à deux lecteurs : 37 projets par lecteur. Chacun d’eux a fait ressortir une première liste de 15 projets évalués avec un argumentaire sur les points forts et les points faibles de chaque projet. Puis nous avons interverti ces 15 projets entre les deux lecteurs, donc une deuxième lecture pour enfin être rejoints par des membres du comité exécutif, à savoir Jihan El Tahri, Ikbal Zalila, Myriam El Hajj, Faissol Gnonlonfin et Hicham Falah. Au final, une liste a été établie avec deux projets par pays : un au premier niveau et un deuxième projet au cas où le premier se désisterait s’il ne pouvait pas assister aux trois résidences. Les résidences ont commencé quelques semaines après. La première résidence au Sénégal permettait un premier diagnostic avec la rencontre des auteurs sélectionnés et de leurs mentors. La deuxième en Tunisie était concentrée sur l’écriture, et a duré deux semaines. Entre les résidences, il y avait un suivi dont Hicham vous parlera tout à l’heure. Enfin, la troisième résidence au Maroc visait une mise en relation avec les producteurs invités au festival de Marrakech.

Hicham Falah, responsable artistique du projet : Sentoo vise à aider le développement des projets comme l’a précisé Faissol mais représente aussi une aide financière, les institutions du cinéma qui portent le programme s’engageant à verser une bourse d’aide au développement à l’auteur originaire de son pays. Certains pays ont un fonds d’aide à la production mais pas forcément au développement. Il y a donc la volonté d’investir sur le développement, sur l’écriture des projets. Par ailleurs, les mentors ou accompagnateurs ou formateurs, comme on veut les appeler, sont eux-mêmes africains, ou d’origine africaine ou basés en Afrique, ce qui implique une connaissance vraiment fine de la culture de nos pays. Une autre spécificité de Sentoo est de relier le Maghreb, l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale – un choix opéré par les pays africains eux-mêmes qui choisissent avec qui ils ont envie de collaborer. Nous avons élaboré Sentoo par rapport à ce qui existait déjà et notre réflexion a conduit à cette progression diagnostic du projet puis écriture. Dans la troisième étape, quand les porteurs de projet avaient un producteur au Sud, nous l’avons inclus dans cette résidence pour travailler là aussi la faisabilité avec les fonds mobilisables dans leur propre pays, et bien sûr la coproduction ou les fonds qui viennent du Nord. Cette troisième résidence s’est déroulée à Marrakech durant le festival et son programme industrie, dans l’idée de coopérer avec ce qui existe déjà sur notre continent, avec la volonté de collaborer avec tout ce qui se fait déjà. Au final, Sentoo s’est surtout révélé comme un lieu d’échange entre les directions du cinéma, en attendant que des accords de coproduction permettent des engagements financiers croisés entre les pays. Chaque direction du cinéma peut faciliter les choses pour le développement et le tournage du film, que ce soit financier ou logistique. Il s’agit aussi de faciliter la circulation des artistes et des techniciens. Et de résoudre les blocages administratifs, notamment la difficulté de circulation d’argent dans une coproduction entre pays africains. On a essayé de faire une sélection artistique de qualité en veillant à l’équilibre entre documentaires et fictions, et de tendre à la parité chez les porteurs de projet. Se pose ensuite la question de qui va prendre le relais après au quotidien pour porter le projet jusqu’au niveau nécessaire dans la recherche de financement puis la mise en production… Nous essayons de guider vers les autres aides au développement les plus pertinentes pour leur projet, ce qui pose la question de la cohérence des structures. C’est tous ensemble qu’on pourra avancer.

Faissol Gnonlonfin : Je laisse maintenant la parole à la coordinatrice générale Emira pour nous parler de la deuxième édition.

Emira Ben Saad : Après cette crise sanitaire, le calendrier a été réadapté. Aujourd’hui 25 juin, on lance l’appel à candidature de la deuxième édition SENTOO. Comme la première édition, les dépôts de candidature se feront exclusivement sur le net, sur www.sentoo-sud.tn. Vous trouverez l’appel sur notre page Facebook où vous pouvez aussi voir les critères de sélection qui seront les mêmes que l’année dernière à savoir un projet de premier long métrage voire au maximum deuxième long métrage du porteur de projet et un film fiction ou documentaire. Les papiers demandés seront principalement la note d’intention, le synopsis, le traitement et un planning de production s’il y en a un. Vous pourrez trouver les autres détails dans l’appel. Comme nos collaborateurs viennent de l’annoncer, ce sera sept projets cette année et vous aurez un délai de deux mois pour soumettre vos candidatures jusqu’au 25 août 2020. A partir de là, avant l’annonce des résultats, on annoncera le nouveau calendrier, lequel sera possiblement réadapté selon les conditions sanitaires.

Faissol Gnonlonfin : Sentoo a très vite été accompagné par d’autres partenaires et  plateformes de résidence et de développement comme Sud Ecriture avec Dora Bouchoucha et Lina Chaabane de Tunisie, Ouaga Film Lab avec Alex Moussa Sawadogo et Ousmane Boundaoné, Dox Box avec Jihan El Tahri et Fidadoc avec Hisham Falah. On a coécrit le projet avec Hisham, Ousmane et Ikbal Zalila de la Tunisie.

 

Débat avec le public

Stéphanie Dongmo, critique camerounaise : quelle perspective pour l’Afrique centrale ?

Faissol Gnonlonfin : N’oublions pas que Sentoo est un programme institutionnel avec les directions du cinéma. Pour le moment il y a aucun pays d’Afrique centrale effectivement.

Hicham Falah : Quand l’idée du programme a été rédigée, Mme Latiri a envoyé un courrier aux centres du cinéma de 25 pays pour leur proposer de rejoindre le programme. Les pays qui ont participé sont ceux dont les responsables ont répondu et qui pouvaient apporter la contribution financière minimale d’une d’aide au développement et de permettre la mobilité du cinéaste. Ce n’est pas du tout un programme fermé.

Slim Dargachi : Le programme regroupe des institutions, pas forcement le Centre du cinéma s’il n’existe pas, cela peut être le ministère des Affaires culturelles à travers la direction du cinéma.

Hicham Falah : Il faudrait que les cinéastes et producteurs fassent pression auprès de leurs interlocuteurs gouvernemental ou institutionnel et identifier la bonne personne à qui envoyer un courrier officiel. L’argent peut aussi venir d’un opérateur local privé qui veut aider son pays mais cela passe par une institution.

Faissol Gnonlonfin : Les 5000 € attribués vont directement aux producteurs et aux auteurs et le déplacement de l’auteur pour assister aux différentes résidences est également pris en charge par la direction du cinéma ou le ministère. Pour le moment on n’est pas encore allé vers les pays anglophones.

Bawa Kadade Riba, cinéaste nigérien : J’ai participé à la première édition. Mon projet s’appelait Les gens venus d’ailleurs, il était au stade embryonnaire. Avec Sentoo, j’ai beaucoup avancé dans l’écriture. Je déplore au passage le retrait de mon pays. C’est une expérience inoubliable Je pense qu’il faut repenser la résidence des coproductions pour qu’elle soit plus fructueuse. Je viens d’avoir le soutien de l’OIF pour mon projet, c’est certainement parce que le projet a bénéficié de l’accompagnement de Sentoo.

Stéphanie Dongmo : Pourquoi le Niger s’est-il retiré ?

Faissol Gnonlonfin : Le directeur de la cinématographie du Niger, Sani Magori, nous a écrit que compte tenu des coupes budgétaires, il devait se retirer de la deuxième édition et qu’il espérait nous rejoindre très vite pour la troisième.

Olivier Barlet : Coproductions sud-sud et financements au Sud : Sentoo est essentiel dans l’Histoire des cinémas d’Afrique. Quelle articulation avec les aides venant du Nord (France, ACP-UE, festivals, etc.) et les systèmes de coproductions nord-sud ?

Faissol Gnonlonfin : Au départ avec Chiraz, nos discussions s’orientaient plus sur la coproduction Sud-Sud, des résidences sur le continent, des formateurs du continent. Nous ne sommes donc pas allés vers des partenaires au Nord. Tout projet peut déposer son dossier dans les commissions du nord, mais aussi dans les festivals. Il n’y a pas une rupture, mais l’idée pour nous est de favoriser et de renforcer la coproduction entre nos pays et de suivre les projets avec des formateurs qui connaissent bien l’environnement culturel de nos pays.

Hicham Falah : L’Union européenne favorise les coproductions entre des pays ACP mais divise notre continent en Afrique du Nord et en pays ACP au Sud du Sahara. Il se décide à Bruxelles qui devrait coopérer avec qui, et qui sera favorisé. Les directions du cinéma africaines membres de Sentoo sont légitimes à  discuter de ces questions avec leurs homologues européens. Elles peuvent prendre des positions communes ou avoir des réflexions communes pour ce type de négociations. Certaines aides sont conditionnées à un coproducteur au Nord. Est-ce une aide à la production dans nos pays ou est-ce une aide aux producteurs du Nord pour contribuer à des films qui sont produits dans le Sud ? Là encore, Sentoo peut être un lieu de discussion de ces questions-là. C’est aux cinéastes de faire remonter leurs remarques à leur propre direction/centre. Concernant la remarque de Bawa sur la troisième résidence, on a essayé de s’appuyer sur une plateforme qui existait déjà sur le continent. En termes de calendrier, au mois de décembre, il y avait Marrakech et le Centre cinématographique marocain était prêt à inviter tous les participants. Mais il est vrai que cette coopération doit être pensée avec les autres plateformes du continent. Pour la deuxième édition, nous espérons que la troisième résidence puisse se dérouler au Burkina Faso au moment du FESPACO. La troisième résidence doit à la fois faciliter les contacts pour déclencher un nouveau financement mais doit aussi être un moment de réflexion pour améliorer les mécanismes de soutien pour arriver à une meilleure cohérence.

Ndiaga Thiombane : Quid des accords de coproduction entre les pays ?

Slim Dargachi : Sentoo doit aussi être une occasion pour mettre en place ces accords. La Tunisie et le Maroc doivent en signer un avant la fin de l’année. Nous restons très ouverts aux autres pays. C’est dans la continuité des objectifs de ce programme.

Abdoul Aziz Cissé : Le Sénégal en a déjà signé avec le Maroc, la Tunisie, la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso. Nous sommes en pourparlers avec le Mali et le Niger. Nous visons une coopération entre nos différentes cinématographies et même sans accords, nos techniciens peuvent travailler ensemble de manière privée. L’idée c’est de créer un cadre pour renforcer cette collaboration et créer ainsi un écosystème au niveau continental ou régional.

Denis Koutom : Le Togo a eu des accords de coproduction avec le Burkina Faso dans les années 80. Nous avons réalisé beaucoup de films avec ces accords. Aujourd’hui, il est temps de les réchauffer. Nous sommes en pourparler avec le Sénégal. On espère y arriver.

Hicham Falah : Au tout départ, l’idée était de signer un accord de coproduction avec des pays européens. Comme cela risquait de demander du temps au niveau politique, nous avons préféré développer quelque chose de modeste mais concret qui créé ce cadre de coopération. C’est un processus, ça se fait étape par étape, de la même manière qu’un fond panafricain était un truc énorme.

Alex Moussa Sawadogo, Ouaga Film Lab : C’est vrai que les accords de coproduction se signent entre les les ministères mais sur le plan pratique, les structures de production n’attendent pas ces signatures et collaborent déjà entre elles. Le Burkina Faso travaille beaucoup avec la Côte d’Ivoire, le Sénégal, le Mali, etc. La nouvelle génération n’attend pas pour avancer. C’est donc aux institutions de rattraper le mouvement et de l’officialiser.

Boubacar Sangaré, participant de la première édition de Sentoo : Mon projet est tourné sur plusieurs pays de Sentoo. Il serait intéressant de chercher l’intervention de ces structures pour collaborer entre techniciens. J’ai le soutien du Sénégal mais j’aurais pu avoir aussi le soutien du Sénégal avec un technicien dans un cadre plus global qui aurait pu être une convention au niveau de Sentoo. Les fonds internationaux ont du mal à comprendre nos projets parce qu’ils n’ont pas cette logique. Une telle convention pourrait y contribuer.

Hicham Falah : Le problème, c’est l’alimentation d’un fonds par différents pays. Pour l’instant, le coproducteur du pays peut faire une demande au Centre du cinéma de son pays. Il faudrait aussi réfléchir à la circulation des films. Les cinéastes doivent avoir des organisations professionnelles efficaces pour défendre leurs intérêts et leurs propositions, de la manière la plus unitaire possible.

Aminata Diop Johnson, Agence culturelle africaine : Merci à tous les participants durant ces quatre jours et à nos partenaires : TV5Monde, le CNC, la CEDEAO, l’UEMOA, CEEAC, FEPACI, FESPACO et Ecrans Noirs, pour la réussite de cette édition. C’était notre deuxième édition, on sera là l’année prochaine, on l’espère en présentiel ! Nous avons aussi pour la deuxième année notre sélection Talentueuses caméras d’Afrique sur des projets en développement : une réalisatrice et six réalisateurs – un programme créé pour accompagner et promouvoir les talents africains de demain. Nous espérons les accueillir sur Cannes l’année prochaine. Merci à Villa 134 avec Myriam Arab pour l’existence et la réussite de ce pavillon et à tous je vous dis rendez-vous en 2021 sur la Croisette !

Merci à Lorrie Catel pour son aide à la transcription. Sa traduction en anglais est est disponible sur le site d’Afrimages ici.

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