Clermont 2020 : des méthodologies novatrices du court métrage

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Comme chaque année, nous présentons les films de l’inégale sélection Regards d’Afrique du festival international du court métrage de Clermont-Ferrand, le plus important en France, du 31 janvier au 8 février 2020. Une transcription de la table-ronde avec les cinéastes présent(e)s est également disponible sur le site. Nous allons chercher aussi dans les compétitions les films liés d’une manière ou d’une autre à l’Afrique et indiquons alors dans laquelle. Tour d’horizon en forme d’approche critique des 25 films ainsi repérés parmi les près de 500 projetés, choisis parmi les plus de 9000 inscrits. Un festival extrêmement populaire puisqu’en une semaine, furent enregistrées près de 170 000 entrées en quelque 570 séances ! Et cerise sur le gâteau, le grand prix de la compétition internationale a été attribué au film Da Yie (Bonne nuit) du Ghanéen Anthony Nti. Lire également la transcription de la table-ronde réunissant des cinéastes de la sélection Regards d’Afrique.

Déconstruire le rapport au réel

Les courts métrages novateurs sont aujourd’hui ceux qui déconstruisent le rapport au réel en privilégiant pour le spectateur la notion d’expérience. Ils le plongent en situation en privilégiant souvent la caméra portée qui épouse les mouvements et favorise la tension. Il se sent alors en phase avec les protagonistes, en général avec les personnes avec lesquelles une empathie est recherchée : les exclus, les discriminés, les victimes, etc.

Le travail critique sera dès lors d’analyser le processus par lequel une réalité est construite, sachant que la fiction est toujours une illusion (faire comme si c’était réel alors que tout est la concrétisation d’une intention), ce qui s’étend bien sûr au documentaire et à tout film et toute œuvre artistique. L’esthétique choisie joue dès lors un rôle moteur, dans toutes ses dimensions (cadre, son, ambiances, rythme, etc.), mais aussi les stratégies du récit et son rapport aux genres.

Plonger le spectateur dans l’expérience d’une fiction n’est d’un point de vue critique pas sans dangers : le risque est de dévier ou contourner sa réflexion par la tension de l’action. On sera donc attentif aux distances élaborées pour restaurer un écart ouvrant à la critique.

A cet égard, Da Yie, d’Anthony Nti (Belgique, Ghana / 2019 / Fiction / 20’34) se détache avec brio, ce qui lui a valu le Grand prix de la Compétition internationale. Au Ghana, un étranger est chargé de recruter des enfants. Il attire donc Prince et Matilda dans sa voiture. Le spectateur est sollicité dès le départ, davantage conscient que les enfants des dangers qu’ils peuvent courir, mais sans trop savoir lesquels. Le gangster est sympathique et avenant, si bien que plus le récit avance, plus la tension monte, sa sollicitude étant de plus en plus suspecte, sans qu’on sache pourquoi. Le spectateur est mobilisé, tous les sens ouverts pour ne rien rater de la suite. C’est la différence du suspens avec la surprise, comme le disait Hitchcock : le spectateur craint sur la durée ce qui peut arriver plutôt que la chose n’arrive d’un coup, provoquant un choc. Parfaitement crédible grâce à une esthétique et un jeu d’acteurs maîtrisés, cette plongée marque, d’autant que la fin du film ne joue aucunement le pathos et est d’une grande beauté.

La subtilité de Da Yie est d’alerter sur les dangers encourus par les enfants sans pour autant tomber dans le drame ou le glauque. Pas plus que Outdooring, de Maxwell Addae (Etats-Unis, Ghana / 2018 / Fiction / 18’11) qui se déroule à Los Angeles, même si le scénario exacerbe la pression. Kobby se rend au baptême ghanéen de son neveu avec l’intention de voler l’argent donné par sa famille pour s’enfuir et préserver son secret. Ici aussi donc, une montée en tension sans que l’on ne verse dans le film d’action. Un « outdooring » introduit l’enfant dans une communauté en charge de le nourrir et le protéger. C’est bien sûr le thème central du film : comment Kobby peut retrouver la confiance en sa communauté mais aussi de sa communauté alors qu’il porte un secret qui va profondément la déranger ? En ne lâchant que peu à peu les indices tout en montant en tension, le récit ouvre l’implication et encourage à soutenir Kobby dans sa décision finale, alors même qu’il est allé très loin dans le désir de faire comprendre à sa famille ce que c’est que de perdre ceux qu’on aime.

Ces deux films sont parfaitement maîtrisés, tout contribuant à mobiliser l’attention puis la réflexion du spectateur, et se détache très nettement. Autre expérience, What Did You Dream? de Karabo Lediga (Afrique du Sud / 2019 / Fiction / 19’53), est une plongée dans la mémoire. Nous sommes en 1990. Boipelo a onze ans, passe ses vacances chez sa grand-mère dans un township. Contrairement à ses deux cousins, elle n’arrive plus à se souvenir de ses rêves. Elle voudrait aider sa pauvre grand-mère à gagner à la loterie… L’allégorie est manifeste : comment un pays peut-il à nouveau accéder à ses rêves pour prospérer ? Mémoire personnelle (l’enfance, les rapports familiaux, les conditions de vie) et mémoire historique (la sortie de l’apartheid) se conjuguent sans crier gare à travers un récit tout en nuances et sensibilité.

Même double rapport à la mémoire historique dans Troublemaker, d’Olive Nwosu (Nigeria / 2019 / Fiction / 10’50) : à travers les indécentes provocations d’un petit garçon envers son grand-père, c’est la mémoire de la guerre du Biafra qui est convoquée, ainsi que ses traumatismes. La réalisatrice a tourné près du village où son père a grandi. Son objectif est de réveiller une mémoire enfouie, celle de la guerre civile étant toujours prégnante mais plus jamais abordée. C’est aussi une remise en cause de l’énergie virile des garçons lorsqu’ils sont tentés de franchir les limites et qui ne réalisent leur bêtise que lorsqu’il est trop tard. Notons à cet égard que le festival joue la carte du 50/50 : parité hommes/femmes dans la sélection comme dans l’organisation.

La guerre est également au centre de Rasta, de Samir Benchikh (France, Belgique, Cote D’Ivoire / 2019 / Fiction / 28’45, qui était en sélection aux JCC 2019 à Tunis) où un jeune Rasta est traumatisé par la guerre civile ivoirienne et cherche désespérément un milicien rebelle, quitte à prendre de gros risques. On rentre ici dans un univers fantasmatique assez bien rendu à la Apocalypse now, jusqu’à la scène finale qui tombe dans le pathos. La caméra épaule ne fait ici que renforcer les choses. On sort dès lors d’une relation au spectateur où il a une place à prendre et un sens à construire par l’expérience physique dans laquelle il est plongé, ce qui serait l’objectif du film. La déconstruction du rapport au réel entreprise dans la première partie perd dès lors tout son poids.

Déconstruire les préjugés

Nombre de films se donnent pour objectif de déconstruire les représentations réductrices sur certaines catégories discriminées. En adoptant la position des exclus, ils placent le spectateur dans l’expérience sensible du rejet. Nous ne partagerons peut-être pas la colère de la mère d’un trisomique 21 dans Hazihi Lailaty (This is my night, C’est ma soirée) de Yusuf Noaman (Egypte / 2019 / Fiction / 16’00) mais nous comprendrons qu’elle est sans cesse confrontée à l’incompréhension, et de plus coincée dans une situation inextricable entre institution et mari. L’humiliation subie (du fait du boutiquier) est retravaillée à l’écran dans cette quête de l’enfant perdu qu’un montage alterné avec la fête rend encore plus troublante.

Même démarche de déconstruction dans Doah, de Farzad Samsami (Norvège, Maroc / 2020 / Fiction / 14’40). Derrière le rejet d’une jeune fille, Doah, qui voudrait jouer au foot avec les garçons mais est rejetée en raison de sa maladie de peau, se profile une autre exclusion que le film explicitera. C’est cependant le classicisme du film qui fait qu’on a peine à croire à ce récit vertueux où tout se retourne un peu trop facilement.

Le risque serait de faire endurer par le spectateur les souffrances et épreuves subies par les personnages. Une distance est à rechercher avec la pure représentation, ce qui conduit à une radicalité d’approche. Avec White Afro (Ghana / 2019 / Documentaire/expérimental / 06’04), c’est effectivement une toute autre démarche esthétique que développe la cinéaste ghanéenne-américaine d’avant-garde Akosua Adoma Owusu qui travaille sur le vécu des Noirs américains, pris entre assimilation et spécificités culturelles, notamment lorsqu’ils sont d’origine africaine récente. Le film reprend une vieille vidéo fortement décatie destinée aux coiffeurs blancs pratiquant des permanentes pour africaniser les cheveux et s’ouvrir ainsi de nouveaux revenus. On entend sa mère indiquer le processus en langue twi, un dialecte akan, en interaction avec le commentaire en anglais de la vidéo. Quelques mots de Toni Morrison et quelques encarts précisent la racialisation du rapport à la coiffure et la discrimination sous-jacente. Un bel exemple d’art vidéo engagé dans la déconstruction des préjugés.

Déréaliser pour interroger le réel

L’animation permet de mieux faire sentir à quel point des gens vivent comme sur un fil tendu au-dessus du vide. Même basée sur la réalité la plus crue, elle permet de déréaliser pour mieux atteindre son but : mobiliser le spectateur en restaurant la distance réflexive qu’interdit la projection des souffrances. C’est ainsi que Machini, de Frank Mukunday et Tétshim (Congo, Rep. Dem., Belgique / 2019 / Animation/documentaire / 10’00) évoque – avec un réel brio dans la simplicité de son dispositif – un monde extrême où des êtres somnambuliques, cobayes de la machine, vivent sans joie ni espoir l’extraction minière en vigueur au Katanga. Réalisé en stop motion avec des pierres et ferrailles sur une plaque de cuivre oxydée gravée à vif, le film en évoque les ravages écologiques et sanitaires. La voix de Mobutu affirmant que le développement des voitures électriques accroîtra la demande de cobalt et de lithium revient en leitmotiv. Frank Mukunday et Tétshim réalisent depuis 2010 des films d’animation en autodidactes, grâce aux tutoriels disponibles sur YouTube. Partant de la pratique du dessin (Tétshim) et de la vidéo (Frank), leur duo a fondé le studio « Crayon de cuivre » à Lubumbashi. Machini est le premier à être réalisé dans des conditions de production professionnelles à la suite d’une résidence à l’Atelier Graphoui à Bruxelles. Ils savent de quoi ils parlent : la famille de Tétshim vit dans un quartier rongé par les acides, tandis que Franck Mukunday a grandi près de la déchèterie de la Gécamines, la société administrant les mines depuis l’époque coloniale.

Machini / Frank Mukunday & Tétshim / 2019 / Teaser Fr from Atelier Graphoui on Vimeo.

Pour alerter les enfants sur les trafics qui les exploitent en les éloignant de leur famille, Ng’endo Mukii a écrit et réalisé Kitwana’s Journey (Kenya / 2019 / Animation / 05’50) avec le soutien du programme HAART (Awareness against Human Trafficking). C’est ce qui arrive à Kitwana, ce qui ne manquera pas de le traumatiser. Simple et appuyée par une voix-over qui semble lire un album, l’animation atteint son but d’alerte et de vigilance.

La science-fiction est un autre possible pour décaler les personnages, les plonger dans un autre horizon et interroger ainsi le socle de leurs certitudes et de leurs croyances. C’est ce que fait Sofia Alaoui avec le remarquable Qu’importe si les bêtes meurent (France, Maroc / 2019 / Fiction / 23’27, Compétition nationale). C’est une science-fiction sans astronefs ou gadgets. Tout au contraire : le jeune berger Abdellah rêve d’avoir un vélomoteur ! Il est pourtant confronté à l’inimaginable, mystérieux miroir d’un monde où chacun est renvoyé à la solitude, mais aussi et surtout à des choix, alors qu’est remis en cause le dogme qui fonde sa croyance… La référence au cinéma de genre et les paysages désertiques soutiennent ici l’interrogation ontologique et métaphysique mais en définitive aussi politique.

La solitude de l’âme est aussi le thème de Rise, de Bárbara Wagner et Benjamin De Burca (Brésil, Canada, Etats-Unis / 2018 / Documentaire/expérimental / 20’00, Compétition labo), où des poètes, rappeurs, chanteurs et musiciens déclament, chantent et dansent autour de l’identité et la représentation de soi dans le décor froid des artères d’une nouvelle ligne de métro de Toronto. C’est là aussi un décalage déconstructeur. Tous ces jeunes, issus de la première ou deuxième génération d’immigrés des Caraïbes et d’Afrique, sont membres du groupe RISE (Reaching Intelligent Souls Everywhere / atteindre partout des âmes intelligentes) qui organise chaque semaine des slams de poésie dans des lieux suburbains pour connecter entre eux et avec le reste du monde. Leur but est de déconstruire les clichés tout en déjouant les attentes.

Les méandres de l’engagement

Une série de lents travellings en plongée ou latéraux sur les acteurs d’une économie de contrebande à la porte de l’Europe, à Ceuta, enclave ibérique au Maroc. Le dispositif impressionne : nombreux figurants, accessoires, tout est là pour évoquer la cartographie locale du trafic, la préparation des ballots, la dissimulation des denrées, les contrôles, les files d’attente… Comme dans Dogville et Manderlay de Lars von Trier, pas de cloisons mais un plan des lieux sur une scène noire. Des voix-off font le récit des ruses et laissent entrevoir les drames. Tout est reconstitué et joué, avec un grand souci du détail et de la précision, de fidélité et d’authenticité. Ce grand théâtre pourrait être une sorte de re-enactment engagé si cela débouchait sur un questionnement de cette réalité, mais il manque cette dimension critique à ce froid dispositif descriptif. Car Bab Sebta, de Randa Maroufi (France, Maroc / 2019 / Expérimental / 20’00, Compétition nationale, déjà présenté au FID à Marseille) ne fait que représenter en tableaux plutôt qu’il ne saisit l’événement. Les figurants jouent (to play) plutôt qu’ils n’agissent (to act), en une fresque spectaculaire, certes frappante mais bien éloignée du réel alors même qu’elle simule la réalité.

Film engagé témoignant des émeutes étudiantes et de leurs victimes (le film est en hommage à quatre étudiants), Journée noire, de Yoro Mbaye (Sénégal / 2019 / Fiction / 13’47) s’attache à Ngor,  un brillant étudiant à la faculté de droit en pleine préparation de ses examens lorsque sa mère lui demande de rentrer au village pour s’occuper de quelques travaux. Mais la situation sur le campus se complique : annulation des rattrapages, absence des professeurs, non-respect du calendrier, les bourses universitaires n’arrivent pas. Ainsi, Ngor croule sous les dettes. Pour son ami Ali, la situation ne peut plus durer, il faut organiser une grève et manifester. D’abord réticent, Ngor rejoint finalement ses camarades et affronte la police… Ancré dans la réalité de drames réels, le film souffre de son manque de moyens mais fait partie de ces essais respectables d’intervention dans la vie politique et sociale.

Le massacre de la prison d’Abou Salim des 28 et 29 juin 1996 fut un des drames les plus marquants de l’Histoire de la Lybie contemporaine : 1270 prisonniers politiques tués en quelques heures. Pour l’évoquer, Prisoner and Jailer (Prisonnier et geôlier)de Muhannad Alamin (Libye, Tunisie / 2019 / Fiction / 15’00, déjà en sélection aux JCC de Tunis) confronte de brillante façon un haut fonctionnaire de l’ancien régime et une figure éminente de la période post-révolutionnaire en Libye. Le passé et le présent s’entremêlent et les deux protagonistes échangent les rôles, se révélant différents que ce que nous pouvions imaginer au départ. Ainsi habilement écrit et ne se dévoilant que peu à peu, le film est basé sur les témoignages d’anciens prisonniers et gardiens. Rappelant les structures politico-religieuses du pouvoir, il accuse l’arbitraire du rapport de domination et sa perpétuation quels qu’en soient les acteurs, l’Etat de droit promis pouvant attendre.

Faire sentir plutôt que dire la vie des exclus

Avec Le Loup d’or de Balolé, Aïcha Boro avait livré un remarquable documentaire sur la carrière de granit située dans un quartier de Ouagadougou où près de 250 hommes, femmes et enfants se tuent la santé pour survivre de la vente des pierres concassées à la main pour la construction. C’est au même endroit que se déroule Carrière de Pissy, d’Eliott Chabanis (France, Burkina Faso / 2019 / Documentaire/expérimental / 12’30, Compétition labo), sauf qu’ici aucun dialogue ou commentaire ne situe les choses. Les hommes cassent, dorment, cassent cet or dérisoire que les femmes portent péniblement pour qu’il soit vendu à l’extérieur. Produit dans le cadre de la Cinéfabrique, ce court centré sur les gestes vibre des corps tendus vers l’effort : ceux du peuple de l’ombre, oublié des puissants.

Autre lieu de survie, Jamestown, une ville oubliée du Ghana surnommée « Sodome et Gomorrhe ». C’est le titre que choisit Curtis Essel pour de brefs portraits de ses habitants dans Sodom & Gomorrah (Ghana, Royaume-Uni / 2019 / Documentaire/expérimental / 09’44, Compétition internationale). On entrevoit une vie marquée par le désespoir mais aussi la volonté d’aller de l’avant, notamment grâce aux centres de formation mis en place par la municipalité. Zanata de retour après 19 ans au Nigeria, Scorpion et sa musique et ses affaires dispersée sur la plage, Nii Odo qui vole au marché, Asa qui comprend la corruption des policiers, etc. : dans un environnement connotant leur propos, leur parole porte loin la voix des exclus qui bâtissent sur une vie d’incertitude un espace des possibles.

Scenes from a Transient Home (Scènes de vie de famille en transit), de Roger Horn (Afrique du Sud / 2019 / Documentaire/expérimental / 13’09) cherche à transmettre une mosaïque de sensations autour du thème de migrants zimbabwéens en Afrique du Sud qui rentrent au pays avant de revenir reprendre leur travail. Certains ne peuvent pas partir, devant assurer sans interruption le versement des aides à leur famille. Ce montage très fragmenté de bouts de films tournés en super 8 déconcerte de par la mauvaise qualité des images. On y voit en vrac des danses à l’occasion de noël, des célébrations du nouvel an, une pluie qui inonde une maison, de l’orpaillage illégal, etc., des événements entremêlés aux propres images de la vie familiale du réalisateur. Du Cap, on ira à Harare et à Kadoma. Aux Victoria Falls, la stèle d’une statue de Livingstone indique qu’il les a découvertes « alors qu’il y avait 100 000 personnes qui vivaient autour », raille une voix… Tout cela a été recueilli par Roger Horn pour sa thèse en anthropologie sur les archives audiovisuelles permettant d’appréhender le vécu des femmes migrantes zimbabwéennes, mais reste d’un fort inégal intérêt.

Le récit en mode mineur

Salim vient de perdre sa mère, qu’il ne voyait pas beaucoup, s’étant éloigné de sa famille et de sa culture d’origine. Riad Bouchoucha reprend ce moment douloureux dans La Veillée (France / 2019 / Fiction / 24’12, Compétition nationale). Amis et proches sont tous réunis dans l’exigu appartement familial. C’est dans ce huis-clos, dans les ombres des clairs-obscurs et les chuchotements, que tout se déroulera : le père, les deux frères, l’argent des funérailles, la montée des tensions, l’apprentissage des gestes culturels… Chacun se révèle dans ses failles et ses beautés. Emouvant, subtil, le film ouvre les regards. Il ne déroule pas un grand récit, juste des sensibilités, la simplicité des ressentis, laissant deviner ce qui n’est pas dit, le déroulé de la vie.

Henet Ward (Ward et la fête du henné), de Morad Mostafa (Egypte / 2019 / Fiction / 23′, compétition internationale) aurait lui aussi pure valeur documentaire si un récit en filigrane ne venait lui donner une toute autre dimension. Halima, une Soudanaise qui fait des tatouages au henné, se rend avec Ward, sa fille âgée de sept ans dans quartier de Gizeh, proche des pyramides, pour préparer une jeune mariée. Tandis que les femmes dansent ensemble et qu’Halima réalise les hennés, un homme vient la presser, ouvertement raciste et méprisant. Tout cela va se cristalliser à la faveur d’un incident, jusqu’à un excellent final parfaitement inattendu. Très réussi, le film marque par la perception qu’il offre des coutumes et croyances autant que des libertés prises par les femmes.

La nuit, dans le parking souterrain d’un immeuble de bureau, deux vigiles surveillent de belles voitures et évoquent leurs fantasmes et leurs rêves. Blaké, de Vincent Fontano (France, La Réunion / 2019 / Fiction / 23’23, Compétition nationale) ouvre de fort littéraire façon à ce que disent ces hommes lorsqu’ils parlent des femmes, de prostituées autant que d’amour platonique. Fontano, qui fut veilleur de nuit, n’hésite pas à insérer des monologues inspirés dans ce qui n’est pas un récit mais une introspection, voire une nécessité : écouter la femme fantasmée.

Dans la sourate de la caverne (Al Kahf), des jeunes qui s’y sont réfugiés n’entendent plus rien durant des années puis sont interrogés sur la durée de leur séjour. Ahlou Al Kahef, de Fakhri El Ghezal (Tunisie / 2019 / Documentaire/expérimental / 18’07, déjà présenté aux JCC de Tunis) est une sorte de lettre adressée par le réalisateur aux deux rappeurs Jojo M et Galâa, revenant sur leur périple clandestin depuis la ville de Redeyef dans le bassin minier tunisien jusqu’à Nantes en France. Comme Godard, Fakhri El Ghezal inscrit des mots à l’écran, sur des images à dominante grise, comme dans le brouillard de la traversée. L’épreuve de la caverne que fut leur errance a fait des deux rappeurs des fantômes. Même arrivés à Nantes, ils n’ont pour perspective, dans leur discours comme à l’image, que l’éternelle incertitude des brûleurs.

Pas de récit non plus dans Bablinga, de Fabien Dao (France, Burkina Faso / 2019 / Fiction / 14’40), seulement des hallucinations : cela fait longtemps que Moktar dit qu’il retournera au pays lorsque sa brasserie, Bablinga, fermera. Ce jour est arrivé, mais il hésite, si bien que les personnages peints sur les murs de la brasserie s’animent pour une dernière fête… C’est très beau : tout un passé en synergie pour convaincre Moktar que la vie peut encore être vécue si l’on mobilise l’énergie de ses souvenirs.

Affaiblir le récit engage une présence active du spectateur. Le cinéaste s’efface devant ses personnages, magnifiant leur expérience, invitant le spectateur par une forme inattendue à construire le sens et trouver ainsi sa place dans le film mais aussi dans le monde.

Clermont est aussi un marché

Parallèlement au succès public, le côté professionnel : un marché avec des stands où les pays ou organismes présentent leurs films. Sous la bannière du festival Dakar court, le Sénégal y était pour la première fois en 2019 et a renouvelé l’expérience en 2020 malgré les coûts. Cela a du sens : le pays représente ainsi l’ensemble de l’Afrique noire auprès de programmateurs et acheteurs qui cherchent des films du continent.

Momar Talla Kandji et Augustin Diomaye Ngom entourent le réalisateur Yoro Mbaye au stand de Dakar Court

« Il faudrait développer un outil de présentation globale », notaient Augustin Diomaye Ngom et Momar Talla Kandji qui ont tenu le stand. Une base de données très complète et sans cesse actualisée des films existe cependant déjà : sudplanete.net, qu’utilisent notamment les sites africultures.com et africine.org, le site de la Fédération africaine de la critique cinématographique (FACC). Chacun peut y ajouter ses informations via des formulaires. Le site offre aussi la possibilité d’écrire aux artistes et aux organismes. « Il faudrait ajouter tous les techniciens », ajoutent-ils, « cela permettrait de les contacter aisément pour les tournages au Sénégal ou ailleurs ».

Cette année, le Maroc et la Tunisie eurent également un stand en commun. Une première pour la Tunisie, sous l’égide du Centre du cinéma tunisien, alors que le Maroc était déjà venu il y a quelques années, cette fois avec le Festival du court métrage méditerranéen de Tanger. Tous deux présentaient une série de films en séance professionnelle, sur lesquels nous reviendrons volontiers. A suivre…

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