[VIDEO ] Un féminisme décolonial de Françoise Vergès

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Un féminisme décolonial, le dernier ouvrage de Françoise Vergès est paru le 15 février aux Éditions de la Fabrique. Dans cet essai, l’historienne retrace l’histoire des liens entre féminisme, systèmes racistes et colonisation et propose une réflexion sur ce qu’elle appelle un féminisme décolonial.

Le féminisme majoritaire présent sur le devant de la scène médiatique et politique, se focalise sur l’inégalité homme/ femme sans forcément prendre en compte les différentes expériences et héritages de domination qui existent entre les femmes elles-mêmes. La politologue Françoise Vergès entend souligner les dissensus qui existe dans ce féminisme majoritaire pour en brandir un autre, selon elle plus à même de combattre le système patriarcal profondément lié au système capitaliste : et c’est ce qu’elle appelle le féminisme décolonial

L’introduction de l’essai, intitulée, « Invisibles, elles ouvrent la ville » place en ouverture du livre les femmes racisées qui prennent en charge le nettoyage et le soin des sociétés du nord, ici la France. Le féminisme majoritaire s’y est construit notamment sur l’idée qu’au sein du foyer la femme subissait la charge des tâches ménagères. L’historienne démontre là que dans notre société du Nord contemporain ce sont les femmes issues de pays ayant été colonisés qui prennent notamment en charge ces taches de soin, de ménage, qui permettent à la société capitaliste de bien fonctionner : les bureaux sont propres, les gares lavées, les enfants gardés et surtout on ne voit pas celles qui travaillent.

Le féminisme civilisationnel, ciment politique à décoloniser

Cela, un peu comme si les rôles de domestique ou même d’esclave de maison existaient toujours, et c’est d’ailleurs la racine du travail de Françoise Vergès. Livre après livre, elle place l’esclavage, la colonisation au centre de sa réflexion, et redéfinit la façon dont on a raconté l’histoire mondiale à partir de cela. Alors que la colonisation et le racisme ont traversé toute l’histoire du monde, pourquoi le féminisme n’aurait-il pas lui aussi été traversé par ces systèmes de violences et d’oppression ? L’historienne rappelle que si les femmes blanches n’avaient pas le droit de vote, elles avaient celui de détenir des esclaves noires dans les plantations. Cela ne peut pas ne pas avoir laisser de traces.

Il s’agit donc de décoloniser le féminisme, comme on dit aujourd’hui qu’il faut décoloniser les arts ou les imaginaires. La première partie du texte consiste à « définir un camp, le féminisme décolonial » contre le féminisme civilisationnel. Le féminisme civilisationnel, pour faire court, c’est celui qui dit qu’une « bonne civilisation » est celle où une femme est libre selon des codes occidentaux, et notamment libre de se dévêtir. C’est un ciment politique, et c’est aussi un terreau pour l’islamophobie.

L’essai revient ainsi sur l’obsession qu’il y avait dans les colonies françaises de dévoiler les femmes musulmanes. Ce qui perdure dans un certain courant du féminisme qui pense que celles appelées femmes voilées sont forcément soumises au père, au frère, au mari et qu’il faut les en libérer.

Réécrire l’histoire du féminisme

L’essai propose également une analyse de l’histoire du courant féministe selon les courants économiques. Dans un passage passionnant, l’historienne fait un parallèle entre les économies de développement du continent africain et la théorisation dans le féminisme de l’idée d’empowerment. Les années 80-90 ont vu émerger une figure de la femme du Sud, fiable, travailleuse, qu’on aide à aller à l’école, à qui on confie le micro crédit, etc. De la même façon que les pays du Nord ont voulu développer les pays du Sud et se sont donc positionnés en surplomb. Le rapport à la femme est alors inséré dans une logique capitaliste de développement du tiers-monde, de rendement.

Françoise Vergès appelle à réécrire l’histoire du féminisme. Elle s’interroge : pourquoi a-t-on l’impression que les grandes luttes des années 70 portent surtout sur la libération sexuelle et du corps alors qu’il y en a eu d’autres : luttes de femmes ouvrières, de femmes immigrées, réfugiées politique. Pourquoi dépolitise-t-on les luttes des femmes noires ? L’exemple le plus connu est Rosa Parks qui n’était pas une femme douce et inoffensive qui un jour a décidé de s’assoir à l’avant du bus mais une militante politique engagée depuis longtemps dans des luttes collectives.

Avec un argumentaire ancré dans différents endroits du monde, l’historienne souligne l’importance de relier les expériences et de réécrire les cadres dans lesquels on pense nos mondes contemporains : un féminisme décolonial, amarré dans le Sud Global.

 

 

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Un commentaire

  1. Benoît AWAZI MBAMBI KUNGUA le

    J’ai lu attentivement la recension de l’ouvrage de Françoise Vergès, Féminisme décolonial, par Alice Lefilleul. J’ai aussi fait ma propre recension de cet ouvrage de déconstruction et j’aimerais avoir le courriel d’Alice pour lui envoyer et nouer ainsi un dialogue scientifique avec notre Centre de Recherches Pluridisciplinaires sur les Communautés d’Afrique noire et des diasporas (CERCLECAD, Ottawa, Canada) qui oublie chaque année la  »Revue savante et pluridisciplinaire sur l’Afrique et les Communautés noires  »Afroscopie », chez l’Harmattan, à Paris.
    Salutations cordiales,
    Benoît AWAZI MBAMBI KUNGUA.

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