Brazzaville après sa guerre

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En quittant Kinshasa-la-belle pour Brazzaville-la-verte, je ne me donnais pour but que de consoler un grand ami comédien qui venait de perdre sa sœur aînée.
J’ai pourtant ramené de l’autre rive des noms, des adresses, des visages et des images qui m’ont parlé d’une Afrique, la mienne, qui reste toujours la même.
Le cadre, Brazzaville, témoigne des affrontements. Dans le quartier de Bakongo où je séjournais, vers la Case de Gaulle, des maisons brûlées n’ont plus ni toitures, ni portails, ni antivols… ni habitants. Pour ceux qui sont restés, la guerre de décembre 98 a fait plus de mal, de chocs, de ravages que toutes les précédentes réunies. Et je continue de penser que les frontières, les exclusions et les guerres sont les machines les plus meurtrières inventées par l’homme pour posséder seul les fruits d’une terre qu’il n’a même pas créée.
Pourtant, Brazzaville renaît et se reconstruit. Le Beach ainsi que l’aéroport sont opérationnels. Des hôtels reçoivent les étrangers qui ont retrouvé le chemin de cette ville au naturel typiquement africain. A Brazza, des sourires ont rencontré le mien.
Mon ami fut le premier à m’ouvrir les yeux, malgré son deuil, sur l’abondante activité artistique d’un peuple qui, comme la chèvre, cherche l’herbe après la tempête.
Il n’y a pas de lieu de répétition pour les artistes. En dehors des centres culturels étrangers, pas de réseaux de diffusion. A Brazzaville, le CCF, espace André Malraux, ne peut à lui seul contenir la production culturelle de la ville : les artistes se sont organisés. Pendant que la Compagnie Muesi de Célestin Kauset retravaille un spectacle, Lemba, mis en scène par Nicolas Bissi dans une école de Bakongo, Paul Milongo met en scène La Fable du cloître des cimetières de Caya Makhélé dans une école de Mpila, un autre quartier. Toutes ces répétitions ont été possibles grâce aux vacances de Noël accordées à retardement aux élèves en plein mois de février ! Et les artistes, dans leur soif de créer, reconvertissent les salles de classe en salles de répétition…
Le spectacle Lemba est composé de danseuses, comédiens et musiciens. Car la compagnie Muesi est fusion, rencontre d’artistes brûlés au brasier ardent d’une même passion et tous débordent d’énergie créative, de fraîcheur, de joie. Cette fête de mouvements des corps ne se raconte pas, elle se vit.  » Lemba  » passera une paisible enfance chez sa mère jusqu’au jour où le  » destin  » s’empare d’elle. Ainsi commence pour la jeune fille l’aventure, l’initiation au  » Lemba  » (rite d’initiation kongo). Le metteur en scène, Nicolas Bissi, est tour à tour peintre, sculpteur, dramaturge, comédien (cofondateur avec Sony Labou Tansi du Rocado Zulu Théâtre) et directeur de Nouvel’Art.
Le 2 mars, au CCF de Brazza, sa troupe montrait, dans le cadre d’une programmation axée sur la francophonie et le métissage culturel, le spectacle Pourquoi j’écris¸ à partir de textes d’Henri Lopès (actuellement ambassadeur du Congo en France). Au mois d’avril, le centre rendait hommage à Jean-Paul Sartre à l’occasion du 20ème anniversaire de sa disparition…
Je garde de cette escapade brazzavilloise le sourire de visages portant avec fierté leur identité. Pour eux, le passé, resté en arrière, est le socle sur lequel s’appuie l’avenir. Et Brazzaville reste la verte pour ses habitants, malgré tout. 

Bibish Marie-Louise Mumbu est une journaliste kinoise, correspondante d’Africultures en RDC.///Article N° : 1407

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