Le Gang des Antillais, de Jean-Claude Barny

Les malfrats de l'espoir cassé

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En sortie le 30 novembre 2016 dans les salles de la métropole française et fort son énorme succès aux Antilles, le nouveau film de Jean-Claude Barny est un thriller atypique et passionnant.

« Que vous êtes francais ! ». C’est sur ce fameux discours du Général de Gaulle en Martinique et des extraits d’actualités de l’époque que démarre le film. Michel Debré annonce la création du BUMIDOM (Bureau pour le développement des migrations dans les départements d’Outre-mer). De nombreux Antillais et Antillaises à qui l’on a promis la lune prennent un aller simple… La désillusion est terrible et elle fait les premières scènes : Jimmy Larivière arrive en métropole et, lâché par la mère, se retrouve seul avec sa fille Odile, dans une galère à dormir dehors.
Jimmy Larivière (Djedje Apali), c’est Loïc Léry, auteur du récit autobiographique qui donne son titre au film et qu’il a écrit en prison après un périple de petits braquages à visage découvert, dans des bureaux de poste puis des banques. Nous sommes dans les années 70 ; ils sont quatre, un gang, et ils taguent au mur ce qui fut un slogan de 68 : « Bumidom trahison ». Leur dérive de malfrats est une rébellion contre l’injustice de leur destin, l’exploitation capitaliste, le racisme et les Blancs. Politik (Ericq Ebouaney) les guide idéologiquement, fournit les armes et dirige les opérations. Jimmy et lui se gavent volontiers de sentences péremptoires justifiant leur radicale transgression. Ils ne seront pas de nouveaux esclaves : ces enragés trouvent dans leur anticolonialisme l’énergie et la justification de leurs holdups.
Leur révolte ne puise pas seulement dans l’esclavage que Jean-Claude Barny a évoqué dans Tropiques amers (2007) ni dans ses séquelles, sensibles dans Nèg’marron (2004). Les documentaires de Camille Mauduech, cette déterreuse de mémoire qui se bat obstinément contre les oublis de l’Histoire, ont pointé les combats juridiques et politiques à l’œuvre dans les Antilles avant le Gang, mais aussi « le temps des gauchistes » des années 70 en Martinique (Chalvet, la conquête de la dignité, 2014).
Faisant le choix de la fiction, Jean-Claude Barny ne sombre ni dans l’illusion libertaire ni dans une hagiographie idéalisée à la Bonnie and Clyde : l’attrait de l’argent ne saurait masquer que c’est bien d’une vengeance tragique et fataliste qu’il s’agit. Les femmes qui entourent Jimmy ne manqueront pas de le souligner : copine, amie, tante. Le maximalisme communautariste conduit à combattre les Arabes tandis que la police pourchasse le gang. C’est la guerre qui s’installe, un engrenage qui ne laisse jamais tranquille : « La France, je l’ai braquée, je l’ai baisée et elle me le rend bien » dira Jimmy à l’éducateur Patrick Chamoiseau (Lucien Jean-Baptiste), une facette méconnue du célèbre écrivain.
Mené tambour battant, le film se veut thriller mais la volonté d’énonciation, le chassé-croisé entre intime et politique, l’identification impossible à des héros frustrés et une esthétique clinique proche de Les Anarchistes d’Elie Wajeman maintiennent une distance bienvenue avec le genre tout en ouvrant cette œuvre atypique à un large public. Nombreux sont ceux qui s’y reconnaîtront : ceux du Bumidom, les exilés, les migrants de l’espoir cassé. Poussé par Chamoiseau, Loïc Léry alias Jimmy Larivière a pris la plume. Jean-Claude Barny se saisit de la caméra pour prendre lui aussi la parole dans un récit où résonnent sa propre Histoire et celle de ses parents. C’est la chance et la conscience de sa génération, car son film débouche sur une idée simple et si actuelle : mieux vaut une lutte sociale que raciale.

///Article N° : 13813

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