« Lettre à France »

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Afriscope lance une série de tribunes en cette année électorale. Des discours d’exclusions et de stigmatisations pullulent en ces temps d’état d’urgence et de replis sécuritaires. Ils rappellent des tristes périodes de l’histoire de France, où pris dans des guerres internationales et des crises économiques, des personnalités politiques ont alimenté un climat de fabrication de boucs émissaires et de restrictions des libertés. À cela nous répondons par des paroles de construction, de résistance, de création.

Chère France, je t’écris cette lettre parce que j’ai le cœur lourd. Cher pays de mon enfance, pas tellement bercé de ton insouciance, je te porte tellement dans mon cœur. Mais comment vivre dans tes villages, tes clochers et tes maisons sages, si nos patronymes aux origines contrôlées, nos têtes d’arabes, de noirs ou notre « culture musulmane » persistent à faire de nous des suspects, objets à controverse et en perpétuelle accusation. Comment faire pour que nous ne devions pas prêter allégeance du soir au matin pour faire oublier que c’est la violence de l’histoire coloniale qui fait de nous aujourd’hui des Français ? Pas d’amalgame nous dis-t-on, mais comment faire quand nous sommes, comme tous nos concitoyens, victimes des attentats commis au nom d’une idéologie mortifère qui se réclame de l’islam et rendus responsables du fait de nos origines ? Car en cet été 2016, le tube de l’été fut assurément « L’islam de France ». Késako ? D’aucun ira de manière docte poser son regard expert sur cet islam que l’on veut hexagonal, en définira les contours, les tares, les limites, et le rappellera fermement à ses obligations. Pourtant, si la question de l’exercice du culte musulman fait aujourd’hui la Une des journaux, c’est bien le débat sur l’identité nationale lancé en 2009 qui inocule la maladie identitaire qui semble enfiévrer les esprits chagrins depuis plusieurs années. La défense d’une France éternelle, de tradition judéo-chrétienne, dont les mythes fondateurs furent consolidés au XIXe siècle constitue désormais la ligne de crête qui sépare les « bons » républicains des autres qui s’invectivent à coup de laïcité.
La clé de voûte de toutes ces polémiques est ce que l’on pourrait nommer la « violence symbolique ». Comment être français et musulman ? Ou plus prosaïquement comment peut-on être à la fois français, noir, arabe, etc.? Ce qu’a refusé corps et âme la France coloniale d’hier, ne peut aujourd’hui aller de soi pour nos imaginaires pétris de représentations imposant l’extranéité aux populations postcoloniales pourtant françaises juridiquement depuis maintenant plusieurs générations. Symboliquement toujours ramenée à une filiation étrangère, cette éternelle « seconde génération » n’a pas toujours été mal perçue. Au début des années 1980, on se souvient de l’épisode « beur » où une génération semble incarner l’espoir d’une « intégration heureuse » et durant laquelle on célèbre dans le journal Libération la « beurette, l’avenir du beur », alors que le mannequin Farida est la star des podiums. Mais voilà, à force de faire le tri entre le bon grain et l’ivraie, le mythe du creuset français s’est effondré. À cette époque, on dénonce dans les médias les « méchants immigrés » qui refusent les licenciements dans l’industrie automobile alors qu’on encense la génération beur représentant l’avant-garde culturelle et métissée du moment.
Dans les années 1990, c’est au tour des « jeunes des cités », perdus pour la République, d’être stigmatisés au profit des courageuses filles des quartiers en proie au machisme de leurs pairs. Sans nier les problématiques spécifiques des violences faites aux femmes dans les quartiers, ni les combats féministes portés par plusieurs générations de militantes qui révolutionnent le féminisme à la française, nous pouvons affirmer aujourd’hui que l’héroïne d’hier est devenue « l’ennemi intérieur » d’aujourd’hui. Accusée d’être complice du terrorisme de Daesh parce que musulmane pratiquante, si elle monopolise aujourd’hui le débat, tout commence avec l’affaire du foulard islamique de deux collégiennes de Creil en 1989, alors que s’étoffe, au cours desannées2000,l’arsenal juridique qui réglemente le port de signes religieux dit « ostentatoire » et en premier lieu, le voile sous toutes ses déclinaisons. Le dernier épisode en date du « burkini » et ses dérives racistes doivent nous interpeller sur la seule question qui vaille: à quand une histoire de France qui ferait toute sa place au fait colonial et aux héritiers de l’immigration ? Nous pourrions enfin dire Nous, et non pas Eux.
Chère France, réveille-toi et prends tes enfants dans tes bras.

///Article N° : 13742

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