Du désir d’horizon

Salia Sanou ou la danse des "gens à peine gens"

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Le Théâtre National de Chaillot a présenté en première mondiale, du 29 juin au 1er juillet, Du désir d’horizon, nouvelle création chorégraphique du Burkinabé Salia Sanou, dans le cadre d’un partenariat avec la fondation African Artists for Development (AAD) et le Haut Commissariat pour les Réfugiés (HCR). Fruit d’ateliers menés dans des camps de réfugiés, Du désir d’horizon interrogerait « notre capacité à accueillir l’Autre« , entend-on ce soir-là. Salia Sanou signe avant tout un spectacle minimaliste où la danse non figurative assume l’impuissance d’un langage chorégraphique qui se nourrit ailleurs.

« Les gens à peine gens, tous frappés d’immobilité, de stupeur, d’irréalité, plongés dans le noir et le silence, incapables de bouger parler voir, de purs esprits s’efforçant de découvrir les premiers mots et surtout une raison de les prononcer. Pas de monde pas d’époque pas de pays… »
-Nancy Huston, Limbes/Limbo. Un hommage à Samuel Beckett

« Le pari de la danse »
Ce soir-là, planté sur la scène, le drapeau des Nations Unies nous rappelle que c’est au Palais de Chaillot que fut signée la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Plantée à côté du drapeau, la directrice générale de l’UNESCO Irina Bokova s’exprime sur l’art comme levier de résilience. Ce soir-là, le cabinet de conseil en communication Tilder fête ses 25 ans – sur le tube de Stevie Wonder. En 2009, Tilder crée l’AAD, un fonds de dotation pour l’art et le développement durable en Afrique subsaharienne, et conduit depuis 2011 le programme « Refugees on the Move » pour soutenir la création et la production chorégraphique, en partenariat avec le Manège de Chaillot et le HCR. « Refugees on the Move » promeut la danse comme un « risque« , le « pari de l’universalité« , un art doté du pouvoir de retisser le lien social, de réparer les âmes. Ce soir-là, l’horizon sémantique est un brin obsessionnel, nourri d’une « passion pour l’Afrique« , ses droits fondamentaux et surtout son avenir.

États de corps, état du monde
Depuis 2014, Salia Sanou et les danseurs du Centre de Développement Chorégraphique La Termitière (qu’il codirige avec Seydou Boro) conduisent des ateliers de danse au sein du camp de réfugiés maliens de Sag-Nioniogo au Burkina Faso. Une expérience qui lui inspire Du désir d’horizon, création pour huit interprètes et deux jeunes refugiés : « – Je souhaite chercher un sens artistique articulé sur le travail de corps d’hommes et de femmes réapprenant à vivre dans des espaces d’enfermement.  » Pour cela le chorégraphe, élève de Mathilde Monnier et de Germaine Acogny, renonce à faire de «  la belle danse« , préférant au corps de ballet les états de corps piégés dans le « marécage de l’entre-deux« . Une scénographie sans romantisme et froide, des corps qui ne répondent plus, tantôt une main tantôt un pied, arythmiques, écrasés par la promiscuité, la pudeur et la menace annoncée par l’irruption d’une percussion. Et puis des corps à corps instinctifs, insensibles à la mesure du métronome et de la boussole. Le pied glisse et ne s’ancre pas, ne parade pas, en attente d’horizon.

Huston, Beckett, et les mémoires du camp
Dans cette composition, le vocabulaire chorégraphique ne fixe pas le sens, suspendu par le jeu des frontières formelles. «  – Comment inventer de nouveaux mots tous les jours ?  » Dans le spectacle, pas de langage intelligible et articulé : des cris de joie, de peur, une ronde de Babel… Assumant son impuissance à « poser des mots sur son indicible« , la danse de Salia Sanou convoque alors le texte de Nancy Huston, Limbes/Limbo. Un hommage à Beckett, où il est question du roman minimal de Beckett, Cap au pire, dont la lecture a profondément influencé le chorégraphe. Un intertexte qui interroge en biais la témoignabilité, la documentarité ou encore la théâtralité de l’expérience du camp, devenu paradigme. «  Être réfugié, c’est parler une langue où le mot espoir est inaudible« , entend-on ce soir-là. L’emprunt pudique aux mots des autres, c’est aussi prolonger les résonances du possible, des horizons désirés.

Désir D’horizon de Salia Sanou sera notamment en tournée le 23 septembre pour la 33e édition des Francophonies en Limousin.///Article N° : 13684

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© Stéphane Maisonneuve
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