Hommage à Marcel Zang

Il a mis les bouts, Marcel !

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Avec la disparition de Marcel Zang le samedi 21 mai 2016, c’est un dramaturge essentiel des écritures afro-contemporaines qui s’en va.

Dramaturge à la langue crue et brutale, souvent râpeuse et couillue, cousine de celle d’Audiard, dramaturge de l’univers carcéral et des recoins sombres de notre société contemporaine si pleine de paradoxes, Marcel Zang avait le verbe « cash » et il a tiré sa révérence sans ambages, comme il aimait écrire ; il s’est cassé dans un ultime mouvement de colère, une supplique publiée dans L’Humanité, il y a quelques jours, à l’occasion de la journée des mémoires de la traite négrière : « J’aurais aimé pouvoir en parler à mots doux, consensuels, et ravaler mon malaise, ma violence, ma peine, mais je ne peux pas, je sais que j’en serai incapable, tant la justice-vérité me cherche, que la passion, la rage, la colère m’habitent, me soulèvent, une colère incommensurable, inépuisée, qui me dessert je le sais, une colère séculaire, atavique, marmoréenne, ravivée au gras du quotidien, de la bêtise, au silex des préjugés, des haines, des cris et de mes morts et de cette noria de fantômes spéculaires qui hantent mes nuits et mon sang et la chair de mes Chers qui sans cesse me réclament, tourmentés, et me questionnent, me demandent : Pourquoi ? » .(L’Humanité, 10 mai 2016)
Marcel Zang, c’était une voix, rauque, encolérée et tendre pourtant, une plume aussi, pleine d’énergie, de révolte et de dérision. Avec sa mort survenue le samedi 21 mai, c’est un dramaturge essentiel des écritures afro-contemporaines et de cette génération des « Enfants terribles des Indépendances » qui disparaît. Nous perdons un écrivain, mais aussi un ami d’Africultures et un compagnon d’engagement de la première heure.
Né au Cameroun, il a neuf ans quand il arrive en France avec son père. Et c’est neuf ans plus tard, à la suite d’un drame de famille, qu’il se met à écrire pour se sauver : « Pour moi, l’écriture est une aventure, un jeu, cela suppose une rupture avec ses habitudes, son propre monde, car il s’agit d’investir l’inconnu. C’est partir d’un endroit connu pour s’élancer vers l’inconnu. On ne peut pas écrire sans rupture. Mais, pour moi, c’est une rupture que j’ai vécue de manière assez dramatique. J’avais 18 ans, j’étais en terminale et mon père s’est suicidé. Mon monde s’est alors écroulé. Je vivais jusque là dans une bulle identitaire, mon père et moi c’était très fusionnel et il y a eu l’éclatement de cette bulle. Je me suis retrouvé face au vide, c’était terrible pour moi. Mon univers avait littéralement été pulvérisé. Le terrain connu qui me restait n’était pas confortable, il n’était plus rassurant. Et finalement j’ai sauté, je suis entré en écriture. Un peu comme dans une piscine, on trempe le bout du pied et finalement on plonge. » (1)
Auteur en lutte contre les discriminations, contre le racisme ordinaire, il écrivait sur le monde carcéral, la prison, l’immigration, les expulsions, la double peine… mais Marcel Zang était surtout en lutte contre la langue française, cette langue qu’il aimait en même temps si bien manier, mais aussi bousculer, boxer même et mettre sur le grill de son imaginaire pour faire danser les mots. Car, « orphelin de sa propre langue », cette langue française, il avait dû l’adopter de force et, à travers Imago, un personnage de ses pièces, c’est un peu lui qui s’exprime : « une langue qui n’est pas la mienne… une langue qui me dicte ses volontés, ses sentiments, ses désirs, et qui me dit à tout instant, à chaque battement, au moindre détour, à quel point je ne suis rien, moi… obligé d’abriter dans ma tête, dans ma peau, dans mon cerveau, et jusque dans les replis de mon sommeil, des appréhensions, des perceptions, des sensations, des valeurs, des mythes, des rêves, des repères, une idéologie plus que factices, exogènes. Obligé d’utiliser des mots, des mots, tous ces mots étrangers, ces mots français, qui recèlent dans leurs infimes articulations une vision du monde et des préjugés absolument négatifs sur moi, le Noir. Obligé d’intégrer tous ces concepts et de les utiliser au quotidien, contre moi-même. » (2)
Mais Marcel Zang était aussi convaincu que les mots pouvaient changer le monde, c’est pourquoi à côté de son activité de dramaturge, il écrivait sans relâche des chroniques et des tribunes dans les journaux et a même produit de nombreux textes pour Africultures (plus d’une vingtaine de chroniques et de coups de gueule publiés sur le site !).
C’est La revue noire qui avait publié une de ses premières nouvelles : La dette, une publication qui l’avait précipité dans la sphère littéraire, mais ouvert aussi à toutes ses contradictions. Il vivait à Nantes, où ses textes étaient régulièrement mis en scène, notamment par la compagnie Universalipo et Georges Bilau Yaya. Après une résidence d’écriture à la Maison des Auteurs de Limoges et l’édition de deux pièces en 2002 chez Actes-Sud Papiers, L’Exilé et Bouge de là, il sort La Danse du pharaon qui est mis en espace en 2005 à La Comédie-Française au théâtre du Vieux Colombier, et le voilà lauréat la même année du prix SACD de la dramaturgie francophone, puis couronné en 2010 « Nouveau Talent Théâtre ». Il avait récemment publié Pure Vierge chez le même éditeur. Mais il faut aussi citer Le Programme, Un couple infernal et Mon Général monté par Kazem Shahryari, à Paris, en 2012 à l’Art Studio Théâtre, metteur en scène engagé qui montera également en 2015 Bouge de là. La plupart des textes de Marcel Zang reposent sur une dynamique de confrontation, car disait-il « La dualité est nécessaire au rythme, c’est l’essence de la vie. Il y a l’un et puis il y a l’autre. Pas de mouvement sans dualité » (3). Il défendait la nécessité de la différence et combattait l’identité, c’est pourquoi les questions migratoires et sécuritaires sont au cœur de son théâtre.
Sacré Marcel, il nous a faussé compagnie, nous laissant sur le carreau comme deux ronds de flan. Sachons reprendre le flambeau et poursuivre son combat, nous lui devons bien ça ! Ne laissons pas le poète se taire, entendons son « Eloge de l’insécurité » : « Quand l’Identité aura enfin trouvé le moyen de se perpétuer sans le concours du sexe, alors la Différence, la liberté, l’insécurité, la spiritualité, l’art, le « con » et la langue disparaîtront ; le poète se taira à jamais, et l’Identité pourra redevenir ce qu’elle fut : une et indivisible et immortelle. On comprend que le problème de l’insécurité est intimement lié à la présence du trou noir, de l’inconnu, de l’incompréhensible, de l’incertitude, de l’immaîtrisable, du risque, en somme lié à la présence de l’Autre, du vide, de la différence, source de toute angoisse, de la peur et de l’effroi archaïque. L’insécurité participe de la fiction – tout comme la femme est une fiction pour l’homme et vice-versa. » (Libération, 18 août 2010).

///Article N° : 13629

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