The Whole Gritty City, de Richard Baber et André Lambertson

La résistance à l'oeuvre

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En sortie le 5 mai 2016 sur les écrans français, ce passionnant documentaire donne un nouvel exemple de la force de résistance des cultures noires.

Il n’est pas toujours aisé de percevoir l’énergie des cultures noires dans leur réponse à la condition qui leur est faite. The Whole Gritty City est une impressionnante réponse à cette question. On sort de ce film ému, ébranlé, mobilisé. Il se joue dans ces trois marching bands, fanfares de collèges de la Nouvelle-Orléans, quelque chose de fondamental : une communauté mise en danger par la violence qu’elle s’exerce sur elle-même, issue de la violence qu’elle a subie, réagit dans un geste musical d’une étonnante force.
Aucun problème de recrutement : les jeunes n’ont qu’une envie, participer, être musicien, pouvoir défiler au pas en soufflant à fond dans les cuivres aux parades annuelles du mardi gras. Et pour cela, répéter toute l’année dans une discipline de fer imposée par des animateurs eux-mêmes rescapés de la violence ambiante, qui connaissent les enjeux, et qui croient à la fanfare comme thérapie contre ce qui guette ces jeunes dans les rues de leurs quartiers : la drogue et son trafic, les luttes de clans et règlements de compte. The Whole Gritty City se traduirait par « toute cette ville de craignos » : effectivement, ça craint dans les quartiers noirs de la Nouvelle-Orléans, en marge des pittoresques restaurants du Quartier français. Jusqu’aux funérailles finales, le film est traversé par la mort absurde des victimes de la violence ambiante et les mises en gardes des animateurs. Cette tragédie motive et dynamise l’engagement de chacun, pour répondre par ce geste de vie : défiler dans l’unité aux sons de thèmes hérités d’une tradition ancrée dans l’Histoire des Noirs du Sud des Etats-Unis.
« Notre musique, c’est la vie », disait Louis Armstrong, comme le rappelle un insert en début de film. Ce que complète plus tard un animateur : « Dès qu’ils se sentent humains, les jeunes ont un talent fou ». Et lorsqu’un jeune demande ce qu’il doit faire, la réponse ne tourne pas autour du pot : « apprends tes partitions ! » Ce qui n’empêche pas les animateurs de mettre les jeunes en face du coût de leur prise en charge et de leur faire nettoyer des maisons pour payer les frais de leur inscription et de leur suivi.
Le film est à l’image de cette exigence de vie. Il vibre bien sûr de ces envolées rythmées des fanfares en répétition ou en parade, des chorégraphies endiablées des tambours-majors, de toutes ces joues qui se gonflent pour tirer le maximum des instruments à vents, mais sa force, qui dépasse largement le reportage, est d’être tourné sur une année, de jouer sur la variété des registres et des sensibilités en passant d’une fanfare à l’autre, d’insérer des dessins expressifs, de dessiner une carte intime avec des personnages suivis en vidéo jusque dans leur maison, de mettre en valeur des jeunes pétillants du désir d’y arriver, et de jeter un regard furtif sur les filles en répétition de leurs chorégraphies de parades. Le film prend certes soin de mettre en exergue une fille mais les fanfares sont à dominante masculine, avec de clinquants uniformes. Le machisme ressort dans la concurrence entre elles, inquiétant écho de la violence des rues. La fin du film décline le devenir des personnages, réussites ou fins tragiques…
Si l’ouragan Katrina, qui avait inondé près de 80 % de la ville en 2005, s’éloigne dans le temps, personne n’oublie les morts et le chaos qu’il a laissés, dont beaucoup ont du mal à se remettre. On retrouve dans The Whole Gritty City l’ambiance de la série Treme (2010-2013), fresque sociale qui avait elle-même puisé dans Katrina (When the Levees Broke : A Requiem In Four Acts), le documentaire de Spike Lee (2006). Ce fond tragique participe du destin des Africains-Américains où pauvre et Noir vont trop souvent de paire. Ces flamboyantes fanfares s’inscrivent dans l’édifiante résilience d’une culture de résistance.

///Article N° : 13613

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