Gemaine Acogny : oser la parole, libérer le geste

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Celle que l’on surnomme « la divinité des Sables » est de retour sur son territoire premier : la scène, avec A un endroit du début, une fable puissante, intime et universelle que le public est invité à découvrir au théâtre des Abbesses (Paris), du 16 au 19 mars.

On ne la présente plus. Celle que Maurice Béjart appelait « sa fille noire spirituelle » est considérée par toute une génération comme la mère de la Danse Contemporaine Africaine. Elle a démocratisé les danses traditionnelles africaines. Les a sortis d’un carcan folklorique dans lesquelles elles étaient parfois enfermées et les a imposé sur les scènes du monde entier. « Pour moi, les danses africaines sont tout à fait contemporaines« . Et oui, car pour celle qui en 2004 a fondé, avec son mari Helmut Vogt, l’École des Sables, installée à Toubab Dialaw, au Sénégal, cette forme complexe et spirituelle est un art vivant « en mutation perpétuelle » et il continue à raconter le monde comme il est et tel qu’il devient.
Après des années d’absence consacrées à la formation. Germaine Acogny a repris ses derniers temps, le chemin de la création. Après Afro-dites, pièce de groupe de sa compagnie, Jant-bi, Mon élue noire, chorégraphié par Olivier Dubois, place maintenant à un autre solo : A un endroit du début, mis en scène par Mickaël Serre et que tous deux ont mis deux ans à mettre en musique, en gestes, en images,… mais aussi en mots.

Au commencement était le verbe


Silence. Lumières. Levée de rideau. La silhouette de Germaine Acogny fait son apparition, longue et fière. En quelques pas, elle traverse la scène, se dirige vers un livre posé à terre, l’attrape, le lit. Ces premiers mots ouvrent le bal. Tout au long du spectacle, ils serviront de trame à l’histoire. « J’ai voulu ce spectacle comme un véritable théâtre dansé dans l’esprit des conteurs-danseurs-chanteurs africains« . Ici, la parole se mêle au geste, elle le libère.
Cette parole, c’est celle de son père, Togoun Servais Acogny, haut fonctionnaire auprès des Nations unies, énarque français et administrateur des colonies. Elle livre le récit de sa vie et rend compte de la construction torturée de son identité qui l’a conduit à délaisser son héritage au profit de celle du colonisateur.
Accompagnée par les mots de son père et ceux tirés des contes de sa grand-mère, Aloopho, prêtresse Yoruba du Dahomey, Germaine Acogny prend possession de la scène, et nous entraîne dans une épopée allégorique. Ses gestes d’abord lents, s’accélèrent, se défont, s’enchaînent. Tandis que le corps se libère, le cœur se sert. Transporté mais saisi par des émotions qu’on ne connaît que trop bien car universelles : la douleur que provoque une trahison, l’attrait pour cet ailleurs dangereux mais fascinant,… Et cette mise en scène qui comme le récit de Germaine, mêle plusieurs voix, plusieurs langages. Les percussions rencontrent parfois la voix enveloppante et envoûtante de Johnny Cash, des images de scènes de vie quotidienne capturées au Sénégal se confondent à d’autres tournées à Euro Disney. La mise en scène, complexe et précise, brouille les époques, les lieux et le récit pour mieux délier le geste et le discours et révéler une problématique existentielle : celle de la transmission. Que garde-t-on de nos aïeuls et de l’histoire personnelle et universelle dont on hérite ? Que transmet-on à nos enfants et au monde ? Dire pour ne pas oublier. Transmettre. Car « on sait où on est né, on ne sait pas où l’on meurt« , scande Germaine Acogny, reprenant à son compte, la morale d’une des fables de sa grand-mère.

À un endroit du début
Germaine Acogny / Mickael Serre
Du 16 au 19 mars, 20 h 30 au Theatre des Abbesses, du 16 au 19 mars 2016///Article N° : 13541

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Les images de l'article
© Kandida Muhuri





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