L’Afro Trap, une mutation afro du hip-hop ?

Entretien de Caroline Trouillet avec MHD

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À 21 ans, Mohamed Sylla, alias MHD, est le visage d’un phénomène devenu label : l’Afro Trap. Enflammant les réseaux sociaux, ses vidéos frôlent les 10 millions de partages. Avec pour scène la Cité rouge du 19e arrondissement parisien, ces clips spontanés mêlent des sonorités africaines à un rap d’influence trap[ 1 ] et rassemblent une génération consommatrice de sons hip-hop diffusés depuis le continent africain. Du délire de son premier clip vidéo en août 2015 à son premier album prévu en mars, MHD nous explique les fondements d’une culture musicale hybride.

Afriscope: Comment qualifier l’ Afro Trap ?
MHD: Dans ce que je fais, le côté afro est très marqué. Il est lié à la rythmique, à l’instrumental et à l’énergie donnée dans les clips. L’aspect trap se retrouve plutôt dans les textes, dans le flow et dans l’écriture, parce qu’il n’y a pas toujours des choses simples à raconter sur le quartier. Le mélange de ces deux aspects donne ce que j’appelle l’Afro Trap. Mais j’insiste vraiment sur le côté afro. Dans mes clips, des instruments africains donnent un aspect festif et dansant. Il y a du balafon, de la kora, un peu de djembé, mais il faut avoir l’oreille fine pour les entendre. Dans les prochains morceaux, les gens auront l’occasion d’y être plus attentifs.
Avec le collectif 19 Réseau, vous faisiez une trap plus formatée électro, pratiquée par une majorité de rappeurs français actuellement. Pourquoi avoir lâché cette dynamique pour aller vers un son d’influence plus africaine ?
L’afro, pour moi, ce n’était pas du tout prévu. Je faisais du rap avec mon collectif, du rap de quartier, comme on peut l’entendre dans 50 000 autres quartiers dans Paris. Je me suis rendu compte qu’on ne pouvait rien apporter, on ne se démarquait pas. Donc on a fait une pause, nous avons arrêté d’aller en studio et de faire des clips. Et entre-temps, l’idée de l’Afro Trap est née, à partir d’un délire (n.d.l.r.:En août 2015, en vacances avec des amis, MHD lance une vidéo où il improvise un rap sur le morceau « Shekini », du groupe nigérian P-Square. Postée sur You Tube, elle atteint vite le million de vues. Le titre « Afro Trap partie 1 » est né). Mais un délire qui est tombé à pic, car il m’a permis de tourner la page avec le rap de quartier.
Pourtant, de « Afro Trap partie 1 » à la dernière vidéo, « Afro Trap partie 5 », le quartier est la scène de tous vos clips et de vos textes.
Je représente toujours le quartier. Le texte est toujours trap, mais le mélange afro donne un son qui n’est plus rap de quartier. Alors que si je rappe sur une instru très trap, dans ma cité, je me connecte seulement aux gens du secteur.
Le texte reste trap, c’est-à-dire ? Il évoque toujours le quotidien du quartier, ses conflits internes, la mullah[ 2 ] … ?
Comme j’ai un peu de visibilité, j’en profite pour faire passer des messages sur notre quotidien. Du fait qu’on n’ait pas beaucoup d’opportunités, que les portes ne nous sont pas souvent ouvertes, qu’on se sente oublié.
La Cité rouge et la rue des Chaufourniers dans le 19e arrondissement sont la scène de tous vos clips, ses jeunes en sont les acteurs. C’est aussi leur projet, leur histoire, l’Afro Trap ?
J’habite le quartier depuis que j’ai 9 ans. C’est là où j’ai commencé à faire du rap, vers 18 ans. Aujourd’hui j’en ai 21. Dans ma cité, tout le monde s’investit dans le clip et dans la musique. Par exemple si j’annonce que dans deux heures un clip s’organise, tout le monde va s’appeler et se regrouper en bas de la cité. Ils travaillent avec moi si on peut dire. C’est eux qui me donnent de la force, ce sont les premiers à partager, c’est un travail d’équipe.
Sur « Afro Trap partie 3 », avec « Champions League », ne parlez-vous pas, à travers le foot, des rivalités entre quartiers ?
Oui, quand je dis « c’est la Champions League », je fais passer deux messages. Le premier, pour représenter le PSG, parce qu’ils sont au top en Ligue des Champions. Et un deuxième, un peu caché, « c’est nous c’est la Champions League ». C’est pour ça que je dis « 75 c’est la Champions League, 91 c’est la Champions League ». Ça représente toute l’Île-de-France.
Vous vous distancez de certains clichés rattachés à la trap, avec son univers de clubbing, d’images sexistes et d’ode au banditisme.
Je n’en veux pas. Ça fait clip américain, je n’adhère pas. Je n’ai jamais vraiment écouté de trap US d’ailleurs. Et je fais plus attention à mes textes et à mes clips depuis que je connais mon public : il est extrêmement large, de la gamine de 3 ans à mes propres parents. Et je suis beaucoup suivi aussi sur le continent africain.
Vous revenez d’ailleurs de Guinée, où vous avez fait la première partie de Black M. Comment le public guinéen a-t-il réagi ?
Une bonne partie du public me connaissait déjà. Mes clips sont disponibles sur les pages Facebook des communautés guinéennes, donc ils étaient déjà bien informés. Ça fait toujours plaisir de retourner au pays et de voir son peuple chanter sur sa propre musique. Et puis, Black M est un symbole, c’est le plus grand artiste guinéen en Europe.
Votre père est guinéen et votre mère sénégalaise. Les musiques africaines ont-elles accompagné votre enfance en France ?
Mes parents écoutaient les sons du pays, de Guinée et du Sénégal, mais de mon côté je consommais plus des musiques ivoiriennes. La tendance coupé-décalé, avec Douk Saga et Molar. Avec ma sœur on était à fond, toujours à danser, à chanter sur ces sons. La scène nigériane n’était pas encore là. C’était vraiment la Côte d’Ivoire, et le Congo aussi, avec les Koffi, Fally Ipupa, Dj Arafat.
Vous intégrez souvent des mots d’argot et des langues africaines dans vos textes…
Oui j’utilise beaucoup de langues différentes, même celles que je ne parle pas, simplement parce que j’aime certains mots. Il y a du bambara, du soninké. Par exemple je dis « dans le frigo il n’y a que du beurre et du buru » pour dire du beurre et du pain. À partir du moment où le mot rime et s’intègre bien dans le texte, je peux sortir des mots de toutes les langues. En lingala, en wolof, en arabe même.
Dans le débat fréquent[ 3] sur la prédominance d’une trap qui aurait uniformisé le rap français, pensez-vous que cette connexion à des sons, des rythmes, et des langues africains peut renouveler le débat ?
Largement. Parce que toute une vague d’artistes, qui ont percé en Afrique, est arrivée d’un coup en France : La vague azonto, avec les Davido, Wizkid, P-Square. Leurs sons étaient diffusés en boite, dans les bars à chichas, et sont passés dans les oreilles de tout le monde. Les gens ont accroché à cette vibe azonto. Et il fallait qu’un artiste en France suive aussi le mouvement. Avant mes clips, le titre « Sapés comme Jamais » de Maître Gims, très marqué afro, a fait un carton d’ailleurs. Moi je suis arrivé avec l’Afro Trap et les gens ont adhéré, ils étaient prêts.
Le rap français est traversé par un clivage entre la génération des « conscients » et la mouvance moderne. Comment percevez- vous cette rupture ?
J’ai beaucoup écouté et j’écoute toujours du rap conscient. Kery James, Médine, Rocé. Mais ceux qui consomment la musique de nos jours sont très jeunes. Sur les réseaux, 80 % ont autour de 15-16 ans. Si tu leur proposes du rap conscient, ils ne vont pas écouter jusqu’à la fin, ils ne comprennent pas forcément, eux préfèrent bouger. Nous, on est la génération entre deux, qui a pu écouter du rap conscient et des sons ambiançant trap.
Parlons de la construction de votre série Afro Trap. La partie 3 notamment est plus marquée trap au niveau instrumental, moins afro que la deuxième et la cinquième ?
Déjà je ne compte pas vraiment la partie 1 parce que c’était juste un délire. Mais quand j’ai vu que ça prenait tant d’ampleur, j’ai anticipé et j’ai appelé le clip suivant partie 2. Ensuite, j’ai procédé en variant les sons. Le son de la partie 1 est assez festif, donc j’ai écrit des paroles plus crues dans la deuxième, avec une instru qui donne quand même envie de danser. Pour la partie 3, j’ai davantage marqué le côté rap pour identifier le quartier. La 4 est un son un peu plus typique de boîte. Enfin, j’ai regroupé le tout pour donner un son vraiment Afro Trap dans la dernière. Je réalise les clips de manière très spontanée, en fonction du son. « Champions League » je l’ai écrit un soir de match de la Ligue des Champions. J’ai demandé à tout le monde de descendre avec un maillot d’une équipe de la compétition. Même pour la partie 1, il n’y a pas vraiment de scénario. On le voit : les petits essayent de faire du playback mais ils ne connaissent pas les paroles. C’est naturel, spontané. Pour la 4, pareil, je suis partie à la cité avec mon overboard, j’ai regroupé tout le monde et on s’est mis à faire le mouv’.
Parlez-moi de vos projets : « Afro Trap partie 6 », puis un album.
La partie 6 sera en solo. Mais je collabore aussi avec Black M, pour son projet Éternel Insatisfait épisode 2. Et je travaille sur mon premier album avec Dany Synthé.
De quelle manière composez-vous vos samples ?
Au début, j’allais chercher les sons moi-même. Mais actuellement j’ai des personnes qui m’envoient régulièrement des instrus : Dany Synthé, qui a aussi fait l’instru sur « Sapés comme jamais » de Maître Gims, Rob White, qui a fait celle de Gradur et Niska sur « Rosa », qui cartonne et j’ai fait la partie 5 d’Afro Trap avec dsk. Pour le prochain album, dès qu’une instru me plait, j’écris dessus. Puis, en studio, Dany Synthé se charge des arrangements et retouche ma voix parfois. Une autre équipe s’occupe ensuite de masteriser. C’est un travail collectif, je suis bien entouré.
Vous me disiez que les instrus africaines seraient plus marquées par la suite. C’est la direction de ce premier album ?
C’est ce que les gens ont envie aussi, parce qu’ils m’ont vu en tant qu’Afro Trap. Si je change de délire, ils diront « c’était mieux quand il faisait de l’afro ». Donc pour ce premier album j’ai bien appuyé sur l’afro. Ensuite peut-être, sur un deuxième album, je m’ouvrirai à tout.
Est-ce qu’à terme vous imaginez travailler sur des instruments acoustiques, avec des musiciens ?
Peut-être que c’est déjà fait…

1 Mouvement de rap électro sombre et minimaliste, né aux États -Unis au début des années 2000;
2 Mot d’argot anglais référant à la drogue ou à l’argent
3 Une vidéo Youtube « France : 10 millions de rappeurs  », raille la manière dont les rappeurs français auraient calqué leur style sur une trap uniforme.
///Article N° : 13485

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