Promotion et vulgarisation des langues africaines

Reportage au Salon de l'écrit et du livre en langues africaines de Bamako

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Des acteurs du monde du livre se sont réunis à Bamako du 20 au 23 janvier, pour la première édition du Salon de l’écrit et du livre en langues africaines (SAELLA). L’objectif de l’association Afrilivres porteuse de l’événement ? Faire une analyse approfondie des enjeux de l’écriture et de l’édition en langues africaines. Même si des efforts sont consentis dans beaucoup de pays avec une volonté affichée des décideurs africains d’institutionnaliser l’utilisation officielle des langues africaines et d’en faire des langues d’éducation et de diffusion des savoirs, souvent même comme langues d’apprentissage, beaucoup reste encore à faire pour donner à ces langues toute l’importance requise.

« La seule politique qui vaille pour soutenir l’édition en langues nationales est que l’État prenne conscience de l’importance de ces langues en travaillant en synergie avec les acteurs afin de voir concrètement comment amener les langues nationales dans les écoles », explique Hamidou Konaté, directeur général des éditions Jamana et président de l’Organisation malienne des éditeurs de livres (OMEL) lors de la première édition du Salon de l’écrit et du livre en langues africaines qui s’est tenu au Palais de la Culture de Bamako pendant quatre jours. Une des questions cruciales réside en effet dans les politiques éducatives et les politiques du livre. Au Mali, pour exemple, le stock de livres de la Bibliothèque nationale est constitué de 99 % en français et seulement d’1 % en langues africaines. Les expériences éducatives bilingues (éducation formelle et non formelle) montrent un grand déséquilibre entre langues officielles et langues africaines. Ces dernières restent souvent cantonnées aux campagnes et programmes d’alphabétisation. Alors que les systèmes éducatifs et administratifs ont priorisé l’utilisation des langues héritées de la période coloniale. Constat partagé par tous les acteurs du livre présents pour le premier salon de l’écrit en langues africaines, venus du Burkina Faso, du Cameroun, de la Côte d’Ivoire, de la Guinée Conakry, du Mali, du Niger, du Sénégal et du Togo. Tous soulignent l’enjeu de la mise en place de vraies politiques linguistiques et déplorent l’insuffisance de matériels didactiques dans les langues africaines. Même si des améliorations ont été faites en la matière ces dernières années. Le Niger a créé une direction générale de la promotion des langues nationales, de l’alphabétisation et de l’éducation civique. Cinq structures s’occupent alors de la promotion des langues. Et l’État a décidé de généraliser l’enseignement des langues dans les écoles. Le Mali a dédié un département ministériel à l’alphabétisation et à la promotion des langues nationales en 2007. Mais, cette volonté politique de l’ancien président Amadou Toumani Touré a disparu avec la chute de celui-ci en mars 2012.
Et globalement, le pourcentage de l’édition en langues africaines est alors encore faible, même si des avancées remarquables ont été faites dans certains pays comme le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée Conakry, le Mali, le Niger et le Sénégal.
La diffusion bloque l’édition
Parmi les problématiques discutées durant le SAELLA, celle de la diffusion et de la distribution. Kadiatou Konaré, éditrice malienne, directrice et fondatrice de Cauris Éditions insiste sur la faiblesse de la diffusion au Mali, et en Afrique, que ça soit d’ailleurs en français ou dans les langues nationales. Pourquoi ? « Parce que tout simplement, l’éditeur est obligé de s’occuper de sa distribution ». Aspect qui relève, selon elle, « d’un autre métier ». Abdoulaye Fodé Ndione, président d’Afrilivres, témoigne de la même expérience au Sénégal, et insiste pour que « le métier d’éditeur s’arrête à l’édition ». La solution ? « Nous incitons les gens à créer des maisons de diffusion pour que, lorsque nous sortons le livre, on puisse mettre entre les mains d’un diffuseur qui va faire ce travail de diffusion. Nous voulons pousser toutes les structures d’éditions africaines à prendre les langues nationales en compte dans leurs productions. Souvent certains éditeurs peinent à vendre leurs ouvrages en langues nationales. Je crois qu’avec une très bonne politique, doublée d’une bonne vision promotionnelle et avec des structures spécialisées, nous arriverons à faire une bonne diffusion de ces livres en Afrique », répond l’éditeur sénégalais. Car sinon, et c’est le cas aujourd’hui, « les libraires vivent plus des livres importés que de ceux édités sur place », affirme ainsi le Guinéen Aliou Sow. Dr Jean-Claude Naba, enseignant-chercheur, linguiste et éditeur Burkinabé, souligne par ailleurs que « l’intérêt pour les langues nationales dans les grandes villes en général est beaucoup plus faible qu’à la campagne et dans les provinces où il s’agit des populations rurales, car, très souvent les ouvrages édités sont centrés sur les préoccupations premières de ces populations ». Hamidou Konaté, directeur général des éditions Jamana et président de l’Organisation malienne des éditeurs de livres (OMEL), ajoute à cela que dans les librairies au Mali, les livres en langues nationales sont pratiquement inexistants. Pour la simple raison que, généralement, les citadins ne savent pas lire dans leurs langues. Par contre, commente-il, « nous diffusons beaucoup dans le milieu rural. Par exemple, au niveau des éditions Jamana, nous faisons un journal en langue bamanankan qui tire à 20 000 ou 25 000 exemplaires et qui est diffusé grâce à la CMDT et à l’Office du Niger. Tous les numéros sont vendus ». Malam Abdou Bako, éditeur nigérien, directeur général des Éditions Gashingo n’a pas aussi manqué de souligner, sur la question de la diffusion, celle des langues africaines privilégiées dans l’édition dans un contexte de marché à construire. Et il propose de « privilégier les langues frontalières ; ce qui permettra une large diffusion aussi bien dans les librairies du pays qu’en dehors ».
Le numérique à la traîne
En Afrique de l’ouest, le numérique est certes vu comme une opportunité, voire une ouverture pour la diffusion en langues africaines, mais la pratique tarde à être exploitée dans plusieurs pays de la sous-région, excepté le Niger. Pour Aliou Sow, face à cette faiblesse, « il faut d’abord des supports adaptés pour ces livres électroniques ». Pour Kadiatou Konaré, l’éditrice malienne, les nouvelles technologies peuvent soutenir une politique de diffusion : « Le Mali compte 703 communes. Lorsque nous éditons des livres en langues nationales, il est clair que l’éditeur ne peut pas aller dans toutes ces communes. Comme ces communes sont connectées, on pourrait avoir des sites pour faire véhiculer le contenu de nos produits. Donc, l’internet peut être une chance pour les éditeurs en matière de diffusion des livres en langues nationales », explique la fille de l’ancien président Alpha Oumar Konaré et de l’historienne Adam Ba. Tandis que Hamidou Konaté en souligne les limites techniques pour le moment. « Le numérique, c’est très lent au Mali. Un moment, notre journal en langue bamanankan était sur le net, mais cela a rencontré beaucoup de problèmes. On arrive à trouver des abonnés à qui on envoie le journal et il est enseigné dans les grandes universités françaises ou américaines. Mais la diffusion en terme de nombre est insignifiant par rapport à la production ». Selon Abdoulaye Fodé Ndione, le président d’Afrilivres, la diffusion via le numérique peine en Afrique parce qu’il manque certains éléments c’est-à-dire produire un livre numérique n’est pas la mer à boire parce que la plupart des éditeurs connaissent ou comprennent les logiciels qui font ces ouvrages mais le problème c’est de le vendre après l’avoir produit. Car, vendre suppose être en contact avec une banque, ou une structure privée, alors que le système de carte et de récupération tarde à se développer en Afrique.
Pour Malam Abdou Bako du Niger, la diffusion en langues nationales via le numérique n’est pas une concurrence, ni un frein, mais plutôt une question de société qui évolue, et il faut donc évoluer avec. Par la même occasion, il annonce qu’au niveau de sa maison d’édition en Niamey, lui et ses collaborateurs ont réalisé des livres numériques dans des tablettes et l’État nigérien a fait une expérimentation dans les écoles.
Quelles perspectives ?
Au terme des travaux du SAELLA, les professionnels de l’écrit et du livre ont formulé des recommandations pertinentes. Entre autres : créer une base de données des ouvrages en langues nationales (en incitant les éditeurs à inscrire leurs publications au dépôt légal), et en facilitant les conditions d’accès pour tous les usagers ; contribuer à valoriser et diffuser les résultats de recherches disponibles sur l’écrit et le livre dans les langues africaines et soutenir les recherches à venir ; initier des partenariats avec les universités qui interviennent dans le domaine de la recherche appliquée ; confier à des maisons d’édition non étatiques la conception et la publication des manuels et autres matériels éducatifs en langues nationales et locales et accorder la priorité aux éditeurs locaux dans les appels portant sur les livres scolaires et matériels de lecture en langues nationales, pour développer et consolider la chaîne du livre local ; reconnaître les auteurs en langues nationales et valoriser leur travail de création littéraire au même titre que les autres auteurs, y compris à travers la création de prix et de concours pour les productions en langues nationales à l’échelle nationale, sous régionale ou continentale ; utiliser les outils numériques autant pour la promotion que pour la circulation des textes.

///Article N° : 13447

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Les images de l'article
Un panel lors de la présentation du thème sur Quelles perspectives pour l'écrit et le livre dans les langues africaines.... © Salimata Fofana
Lors du thème sur Les expériences de productions en langues nationales dans un contexte de diversité linguistique; politique et pratique de promotion des langues transfrontalières au Niger © Salimata Fofana





Un commentaire

  1. Bonjour,

    Nous travaillons actuellement sur un projet de site internet dont la vocation est d’assurer la promotion des langues africaines afin d’éviter leur extinction. Le site propose différents services permettant l’apprentissage des langues maternelles africaines:

    * Une librairie en ligne spécialisée dans la vente de livres écrits en langues africaines (pour améliorer la lecture et l’écriture)

    * La garde d’enfants en langue maternelle (pour permettre l’apprentissage dès l’enfance)

    * Des cours de langues africaines pour enfants et pour adultes (pour donner la possibilité à toute personne souhaitant apprendre).

    Nous avons besoin de partenaires pour nous aider à assurer la visibilité de notre projet et avoir une chance de réussir.

    Je vous contacte pour solliciter un partenariat entre nos deux entreprises. Vous pouvez nous aider par:

    La mise en relation avec des personnes pouvant être intéressées par notre projet/initiative
    La mise en contact avec des fournisseurs de livres/ouvrages en langues africaines
    La rédaction ou diffusion d’un article qui parle de notre initiative
    Toute autre aide, soutien pouvant contribuer à la réussite de notre projet.

    Nous sommes disponible à votre convenance pour vous donner de plus amples détails sur notre projet. En attendant vous pouvez visiter notre site pilote http://www.languemat.com

    En vous remerciant par avance.

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