Nawal

Une femme en quête

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Nawal et les femmes de la lune, le film d’Eric Münch et François Kotlarski raconte le questionnement intime d’une artiste revenue sur sa terre d’origine.

Depuis le visa Balladur, on prétend que les traversées, aux Comores, ne sont pas heureuses. Celle de Nawal, si ! L’artiste, longtemps considérée comme une citoyenne d’exil, se projette ici dans un ailleurs intime. Avec des prières et des envies sur un patrimoine séculaire. « Les mémoires me guident sur mon chemin. Les mémoires de mon archipel, ce sont ces chants et ces danses ». Un héritage que Nawal poursuit dans ses rêves. On la voit méditer sur un rocher. Aussi seule que cette image de petite île au large, revenue par deux fois dans le film, comme pour dire sa propre solitude d’artiste dans un paysage où les esprits se figent dans le folklore.
Au micro, sur scène, elle s’enroule dans le divin, emprunte son énergie aux soufis. Il y a quelque chose de minéral en elle, surtout lorsqu’elle chante ses louanges à Dieu, ses mains posées sur le gambusi(1). « Si seulement, on n’avait pas tué l’imaginaire » s’écrie-t-elle, en évoquant le besoin d’une « thérapie nationale » dans un pays divisé, et partagé entre deux Etats. « Il y a l’histoire commune, l’histoire récente. Il y a eu l’esclavage, le colonialisme, les coups d’Etats, les religions ». Des expériences qui perturbent la relation au monde de ces concitoyens d’archipel. « C’est comme si on leur avait fermé les portes de l’imaginaire ».
Une raison suffisante pour qu’elle revienne sur ces terres, où elle vit le jour il y a un demi siècle. Pour une seconde naissance. A Mohéli, où la caméra la suit, elle se fait cueillir sur une plage, renouant avec une tradition, faite de chants d’hospitalité et de colliers à fleurs. Le jeu est tellement bien orchestré que l’on voit poindre l’espérance dans le regard de ces femmes qui l’accueillent. « Nawal est arrivée chez nous à Niumashua (…) Nous l’avons accompagné, jusqu’à réaliser le maulida ya ubandza, un spectacle très ancien ». Ces femmes célèbrent son retour parmi elles comme celui d’un enfant prodige, après une longue absence.
On lui réexplique la tradition du ubandza, justement. Raser le tour de tête, se coiffer, porter le masque au bois de santal, avec des figures abstraites sur le visage. Un art de la séduction pour une danse séculaire. Nawal explique, à son tour son projet. A demi mots : revisiter le patrimoine, ouvrir une école, transmettre aux nouvelles générations. Elle parle de ndzia, de « voie » à entreprendre. Succédané de la poétique soufie locale. On lui ressort un bijou d’époque. Furunku. Sorte de bracelet d’argent à mettre aux pieds d’une coquette pour la danse du ubandza. Il y a des mots qui manquent à l’appel dans ce récit des traditions. Raccourcis ! diront certains. Mais nous sommes bien sur une terre au réel déconstruit, aux souvenirs fracassés, au passé contrit.
Nawal use d’une métaphore perturbante : « Comment les aider sans jouer le colon ? » Elle imagine les siens empêtrés dans une forêt d’où elle doit les extirper pour leur signifier la beauté du monde. L’artiste voudrait bien se repaître de cet imaginaire longtemps confiné dans sa boîte à merveilles. Mais elle reste humble. L’humilité du disciple dans le soufisme qui l’habite. On la voit penser tout haut, choisir ses images, tracer un langage. Aux déclarations d’amour (« J’ai un faible pour mon archipel »), qui sonne telles des vérités du livre (« le grenier des traditions »), se mêlent quelques approximations ou contradictions. Entre deux rappels à la beauté du divin, une angoisse l’occupe ( » Comment aider ce pays ? »), suivie d’une citation étrange de Jean-Marc Turine, journaliste, dont les derniers écrits ne rendent pas vraiment grâce à ses hôtes comoriens.
Arrivent ces autres femmes, qu’elle prend en charge depuis Mayotte, à qui elle transmet sa croyance en la vie, dans une quête là aussi du soi, de la terre et du souffle. Elle leur apprend la puissance de l’être, la légèreté du geste artistique, la magie du créateur. Il y est question d’une voix intérieure, qui s’élève dans les airs. Nawal croit en ces femmes. « Si je vous choisis aussi, c’est parce je sais qu’il y a quelque chose en chacune de vous (…) Quelque chose qui a le droit de briller. » La volonté de les faire grandir est là. « Peut-être que par la grâce de Dieu, dans un ou deux ans, vous existerez sans moi. » Un des buts du projet. Les rendre autonomes, et maîtresses d’elles-mêmes. Les femmes de la lune de Mayotte sont un premier jalon de son travail sur le patrimoine depuis son retour. « Je fais un travail de professionnalisation et d’adaptation avec elles pour pouvoir partager ce trésor, et ainsi le garder vivant. »
La transmission est un sacerdoce. Nawal, grâce à ce travail, renoue avec le vieux débat sur le destin suspendu des femmes dans une société matrilocale, où elles ont toutes les cartes en mains, sans pouvoir les manipuler. « Qu’est-ce qu’on fait d’un pouvoir, quand on a un esprit fermé, quand on n’a pas confiance en soi ? » Cette femme se voit en missionnaire d’un temps nouveau. Reconnectant les siens avec leur culture, bien qu’elle s’en distingue elle-même avec son Muslim Gospel, forgé dans l’entre-deux. Descendante revendiquée de Maaruf, un saint vénéré de la confrérie des shadhulii aux Comores, Nawal s’empare des abyatwi (poésie musulmane sacralisée) avec sa guitare, tout en allant puiser – paradoxe syncrétique – à d’autres sources. Dans les mantra bouddhiques, par exemple…
Dans le film, Nawal interroge pour savoir si elle n’est pas dans le sacrilège. Fundi Muhammad Abduswamad, imam et soufi (à Moroni), lui répond. « Non, non, c’est comme un chapelet qu’on égrène. La guitare, c’est un chapelet moderne », lui dit-il. « Pour glorifier le créateur, qui a dessiné toute cette beauté qui nous entoure. Le son a une importance capitale dans l’islam, surtout dans le soufisme. La beauté de la voix aussi, tout ça joue un grand rôle. Ça montre la beauté du cœur aussi, la beauté de l’âme, la beauté des idées. Tout ce qui est beau » Une bénédiction pour Nawal, qui est allée tôt à la zawia de Moroni, en quête d’absolu. Son départ pour la France n’y a rien changé. « J’ai emporté inconsciemment ce répertoire et cette foi, cette façon de prier en moi. Entre 25 et 28 ans, tout ça est revenu (…) presque un besoin de chanter Dieu ». La plus grande de ses quêtes ?

(1) Instrument à cordes.Nawal et les femmes de la lune, un film d’Eric Münch et François Kotlarski, sorti en 2015.

Un coffret (cd+dvd concert) du même nom existe chez ART’ET MOINS.

Plus d’infos sur le site de Nawal : http://www.nawali.com

Une vidéo de l’IMA à Paris sur Nawal et les femmes de la lune ///Article N° : 13301

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