Rétro : Le Paris Musique de Bill Akwa Bétotè

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Miriam Makeba, Fela Kuti, Salif Keïta… Dans les années 80, le photographe camerounais immortalise en noir et blanc les premiers pas des artistes africains dans la capitale française. Un travail unique sur un mouvement d’affirmation identitaire, qui révèle, aujourd’hui, sa dimension historique. Rencontre.

Bill Akwa Bétotè grandit à Douala dans les années 1960. C’est un oncle, homme d’affaires, qui ramène des clichés du Japon ou des Etats-Unis, qui lui donne le goût du voyage et de l’image. « A l’époque, il n’y avait pas la télé. On écoutait la radio, on lisait les journaux. La photo restait un mystère. Cette forme de médium me permettait de m’évader, d’avoir un territoire à moi, pour imaginer la vie, autrement« .
Arrivé en France, le grand Camerounais choisit de vivre de sa passion. A Marseille, où il réside dans la seconde moitié des années 1970, il apprend les ficelles du métier aux côtés d’un photographe corse, entre mariages et portraits en studio. «  La photo m’est devenue indispensable, puisqu’elle me permettait de m’exprimer et de rencontrer des gens. C’était même le déclencheur de mon lien avec les autres. J’avais trouvé ma voie« .
A Paris, le jeune photographe s’essaie au packaging, court mariages et baptêmes, publie ses premiers reportages dans la presse. Bill Akwa Bétotè va se passionner pour la scène musicale africaine. C’est l’objet du travail « Paris 80 – Pulsations » exposé au Théâtre Berthelot, à Montreuil, jusqu’au 1er juin, à l’occasion du festival « Rares Talents » après Babel Med à Marseille en mars. « L’arrivée de la gauche au pouvoir a marqué un changement social et culturel en France« , se souvient le photographe, « qui a imposé et fait exploser la notion de culture. Cette émulation n’était pas uniquement le fait de ce qui se passait dans les communautés. Un travail politique et social a permis l’éclosion de lieux, et l’arrivée à Paris d’artistes repérés par le réseau culturel à l’étranger, notamment en Afrique« .
Parmi les images exposées, le premier concert de Fela Kuti à Paris en 1981, au Studio Gabriel, avec à ses côtés, au saxophone, son fils Femi. Bill collabore au Matin de Paris à l’époque, à Libération et aux médias panafricains tels qu’Amina, Bingo, Jeune Afrique ou Africa International. Avec Philippe Conrath, Rémy Kolpa-Kopoul, Jacques Matinet et « l’indispensable » Franck Tenaille, ils «  quadrillent  » les salles de concert parisiennes, traînent au Farafina, dans les maquis sénégalais et congolais. « On commençait par le Nord, La Cigale et L’Elysée Montmartre, avant de redescendre par la Rue Blanche, jusqu’au New Morning, puis Le Rex, L’Eldorado, Le Palace et L’Opéra Night dans le quartier des Grands Boulevards, La Chapelle des Lombards à Bastille. Et le vendredi, à La Main Bleue à Montreuil. C’était le début du week-end« .
En 1985, Miriam Makeba est invitée par le Conseil général des Hauts-de-Seine à l’inauguration d’une place Nelson Mandela à Nanterre. « Elle devait faire un discours, mais elle a dit’je vais chanter’ « . Autre instant gravé par le photographe que l’on retrouve dans l’expo « Paris 80 – Pulsations ». Bill Akwa y présente également des clichés de Manu Dibango, avec Ray Lema, Lokua Kanza, Guem, Baaba Maal. Au-delà de l’anecdote, et avec le recul, les années 1980 sont un grand moment pour l’émergence de ces musiques dans le monde. Quand Mamadou Konté, manager de Salif Keïta à l’époque, signe à Paris avec Chris Blackwell du label Island pour son premier album, Soro, à paraître en 1987, c’est encore une fois lui qui immortalise l’événement.
« C’était la naissance d’un lien entre les cultures du sud. Le 28 rue Dunois était un haut lieu de la confrontation entre jazz, free-jazz et musiques africaines. Il y avait aussi le Centre Américain. Et le reggae venait de frapper très fort, donnant aux musiques africaines une force et une résonance nouvelles. Dans la lignée de musiciens américains précurseurs, qui ont revendiqué leur identité avec leur musique, ces courants ont secoué Paris et m’ont donné des pistes sociologiques sur cette mouvance« . Plus que le scoop, c’est l’urgence de cette scène en effervescence et de cette affirmation identitaire à travers la musique que Bill Akwa Bétotè cherche, à l’époque, à documenter. Un travail qui révèle toute sa saveur et sa dimension historique, aujourd’hui.
« Bill Akwa Bétotè est un photographe des milieux, un témoin, un sujet, une langue en lui-même« , écrit Jacques Matinet à son sujet. « Le système n’était pas le même qu’aujourd’hui, où la communication à outrance a dévalorisé notre travail « , poursuit le photographe. « D’un côté la photo numérique a bouleversé la pensée des gens, qui font des photos au lieu de profiter de l’instant, de regarder les monuments ou les concerts. Sur le plan professionnel, le marché s’est dégradé, a évolué dans le mauvais sens. Les gens pensent que les photos sont gratuites, ne se rendent plus compte de la valeur de notre travail« .
Pour autant, le grand Bill, casquette vissée sur la tête, n’a pas perdu la foi en son métier. Et le temps a sans doute révélé la valeur des images qu’il expose aujourd’hui. Une passion qu’il s’attelle à transmettre, par le biais d’ateliers, de master-classes. « Au-delà de la technique, les photographes peuvent apporter leur expérience, leur vision, leur talent, et faire partager leur travail. C’est une pédagogie sociale et culturelle« .

Jean Berry

« Paris 80 – Pulsations », du 12 mai au 1er juin au Théâtre Berthelot à Montreuil dans le cadre du festival Rares Talents, et du 1er au 29 juillet au Cabaret Sauvage dans le cadre du Black Summer Festival.///Article N° : 12992

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Les images de l'article
Miriam Makeba, 1985 © Bill Akwa Bétoté
Konté & Blackwell, 1986 © Bill Akwa Bétoté
Fela & Femi Kuti, 1981 © Bill Akwa Bétoté
Salif Keïta, 1985 © Bill Akwa Bétoté





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