« Les Récréâtrales ont été un déclencheur … »

Entretien de Nadine Sieveking avec Massidi Adiatou et Jenny Mezile de la Compagnie N'Soleh

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Fondée en 1994 par le chorégraphe ivoirien Massidi Adiatou et rejoint en 1997 par la danseuse chorégraphe Jenny Mezile, la compagnie N’Soleh, compte parmi les initiatives artistiques les plus innovantes du continent, toujours en quête de nouvelles formes de création pouvant déboucher sur une indépendance et une autonomie réelle. Ce tandem d’artistes polyvalents, initiateurs du festival ‘AfrikUrbanarts’ à Abidjan, ne s’identifie pas à une catégorie prédéterminée de danse et se considère comme « des rebelles de la danse contemporaine africaine ». Leur participation à la 8ième édition des ‘Récréâtrales’ du 25 Octobre au 2 Novembre 2014 à Ouagadougou invite à réfléchir à la création chorégraphique africaine dans un cadre large …

Votre pièce « La Rue Princesse » a été programmée dans le cadre des Récréâtrales. Comment s’est réalisée la rencontre entre N’Soleh et ce festival de théâtre?
Jenny Mezile J’ai vécu une histoire humainement et émotionnellement intéressante avec les Récréâtrales. Ça a commencé lors d’une résidence destinée aux femmes à Grand Bassam [en Côte d’Ivoire]dans le cadre du projet « Femmes en Scène ». Cette résidence, qui a lieu tous les deux ans, rassemble une quarantaine de femmes de plusieurs pays africains qui se retrouvent pour apprendre la lumière, la scénographie, la mise-en scène, les textes, l’écriture dramatique, etc. J’y participais en tant que scénographe. Il s’agissait de créer des scénographies à partir des choses très simples. J’ai fait une scénographie avec des sacs en plastiques bleus pour illustrer la mer et tout le monde était enchanté. Je pense qu’Etienne Minoungou, qui collaborait à ce projet, a vu cette scénographique. L’année suivante, il m’a invité à participer en tant que scénographe en chef pour toute la création costume des cinq pièces qui devaient être développées dans le cadre de l’édition 2008 des Récréâtrales. J’ai fait une résidence de deux mois et demie à Ouagadougou et j’ai créé, avec les metteurs en scène, les costumes de tous les spectacles de cette édition. Ensuite, nous avons conservé de bonnes relations avec Etienne mais mes différents projets ne m’ont pas permis de revenir au Récréâtrales. Quand il nous a vus au MASA, il m’a dit: « Écoute, il faut que cette pièce-là soit vue au Burkina pendant les Récréâtrales », car « La Rue Princesse » a tout son sens dans ce cadre, que ce soit au niveau sociologique et scénographique. Et nous avons mis tout notre cœur pour être présent. Nous sommes une compagnie de 13 personnes et ce n’est pas toujours facile d’inviter des pièces aussi lourdes. Mais pour nous c’était important de s’investir dans l’engagement d’Etienne, qui fait déjà tellement ! Il n’était pas question de refuser par manque de budget …
Massidi Adiatou Au départ j’étais un peu frileux mais quand je suis arrivé j’étais vraiment surpris par l’effort et l’union mis en place dans le cadre du festival. Car c’est toute une équipe de personnes, différentes compagnies et différentes entreprises qui travaillent ensemble. Le rapport avec le quartier, la population, la société civile qui se trouve là, m’ont beaucoup marqué. Mon état d’esprit a changé et désormais je ne veux pas venir seulement en tant que créateur. L’agenda des Récréâtrales est très vaste, sous régionale, ce ne sont pas les deux semaines seulement qu’on passe ici. Il y a tout un processus de travail qui se fait autour et maintenant j’ai aussi envie d’être participant dans la globalité du projet. La compagnie N’Soleh peut aussi apporter quelque chose dans le domaine de la danse et de la scénographie. Nous sommes vraiment touchés par la force de cet événement. La structure de l’équipe, la composition de la scénographie, la technique, la solidarité, tout cela fait que ce ne sont plus des Récréâtrales burkinabé, ce sont réellement des Récréâtrales africaines.
Jenny Au-delà de ça, les Récréâtrales pour moi ont été un déclencheur, dans ma tête, en tant qu’artiste, mais aussi en tant qu’africaine. Quand je suis venue en 2008, j’ai compris qu’on pouvait aussi présenter des choses dans des lieux très simples, dans une cour, comme Etienne le propose. Et ça m’a inspiré. Quand je suis rentrée, j’en ai parlé à Massidi, et on a commencé à réfléchir à notre projet de festival. Comment mettre en place un festival qui n’a pas de grands moyens, comment le faire vivre dans l’espace publique et comment l’offrir et le partager avec la population ? Ça nous a beaucoup apporté ! Maintenant notre festival « AfrikUrbanarts » est à la 3ème édition, 2015 sera la 4ème édition, et nous essayons de plus en plus d’aller vers la rue. Le festival s’appelle AfrikUrbanarts et l’urbanité nous l’entendons dans ses multiples aspects. La Côte d’Ivoire est un pays qui produit deux, voir trois danses tous les deux mois. C’est énorme cette richesse ! Alors en tant que’chorégraphe contemporain’, on ne peut pas rester enfermé dans un genre. Il faut que l’on aille vers ces arts, vers ces danses nouvelles qui sont contemporaines aussi !
Massidi L’arrivée de la compagnie N’Soleh a modifié l’image des danses africaines, de la danse contemporaine africaine. Déjà pendant ma formation au village Ki-Yi Mbock j’ai appris beaucoup de choses. Werewere Liking, m’avait montré que j’étais différent. Elle me faisait comprendre que dans mon travail il y avait quelque chose de différent. Et elle m’a donné confiance pour poursuivre ce travail. Quand je suis parti de là-bas, je ne voulais pas refaire ce que j’avais appris dans la formation, mais faire des choses qui nous ressemble ! Je ne suis pas dans une démarche de chercher des mots pour plaquer sur mon travail. Contemporain, le mot n’existait pas en moi. Ce qui existait c’étaient des motifs intérieurs. Mon travail de recherche peut s’identifier par rapport à mes vécus, ce que je suis, mon environnement, mon parcours. Mais je ne me considère pas comme un chorégraphe africain contemporain, je ne suis pas dans cette liste-là. Je suis un artiste, je peux mettre en scène des allemands, je peux mettre en scène des chinois, je peux mettre en scène des haïtiens, mais je ne suis pas un danseur africain contemporain. Parce que chaque fois qu’on nous dit danseurs africains, africains contemporains, on nous détermine …
Jenny Ce mot-là, on l’a longtemps utilisé, mais depuis quelques années nous commençons à comprendre et à nous interroger: mais pourquoi on ne présente pas le travail de Pina Bausch, de Béjart, ou de la compagnie Montalvo-Hervieu comme une danse française contemporaine, ou allemande contemporaine ? Ces gens-ci s’identifient en tant qu’êtres avec leurs noms, et aussi leurs danses contemporaines tout court. Alors que, si on regarde bien, ça vient profondément de leur culture. Ce que Pina fait – elle n’a pas été cherché ça en Inde, ce style-là, c’est quelque chose de très profond à son vécu, son Allemagne, et ainsi pour les autres. Alors on s’est dit : est-ce que je dois m’identifier en tant que danseuse africaine contemporaine ? Parce que quand on commence à mettre des codes, des connotations, on va restreindre le travail à une catégorie, à une attente qui est : « ah, ça c’est africain ! » Et comme il y a tellement d’aspects péjoratifs dans tout ça, on s’est dit, notre art, cette danse-là, elle est contemporaine, ou elle est danse tout court.
Massidi Elle est danse tout court !

Est-ce que la différentiation de genres artistiques entre théâtre et danse a un sens pour vous?
Jenny Pour moi la théâtralité a toujours été présente dans mon travail. Parce que chez moi, en Haïti, les gens font du théâtre tout le temps. Il y a beaucoup de codes, beaucoup de proverbes, de plaisanterie, et le théâtre est dans la vie quotidienne. Maintenant, comment continuer de pratiquer ce théâtre-là, mais en ne le définissant pas en tant que théâtre, pièce de théâtre ?
Massidi Il y a une complémentarité des deux genres. Les danseurs sont des gens du théâtre, en général. Le théâtre, ce n’est pas que le texte et la voix, c’est aussi le mouvement, la gestuelle, l’expression, le silence, la mise-en scène. Et la danse c’est aussi du théâtre !

Quelles sont les conditions de travail spécifiques à la forme d’art que vous pratiquez ?
Jenny Avoir un espace à soi, avoir de l’argent pour créer, avoir une équipe au sens large, pas uniquement des danseurs, mais des scénographes, des musiciens pour la composition des musiques, des stylistes pour la création des costumes, etc. Ça aurait été tout ça. Mais nous sommes dans une Afrique où les résidus de la colonisation – et en tant qu’haïtienne je dirais aussi de l’esclavage – sont très présents. Donc, nous ne pouvons pas avoir ça tout de suite. Nous tendons à nous structurer pour arriver là où d’autres sont déjà arrivés avec leur travail. Il y a des chorégraphes, avant même d’avoir une idée, ils appellent des théâtres, ils ont déjà vendu dix dates, et le spectacle n’est pas encore créé, c’est encore à l’état de pensée. Nous on travaille, on écrit la pièce, on propose un extrait mais le projet ne trouve pas de financement. Comment doit-on faire ?
Massidi Le palliatif que nous avons trouvé, c’est l’entrepreneuriat. C’est à dire que nous nous prenons en charge nous-même, en créant des évènements qui nous apportent des moyens afin de pouvoir être autonome dans nos créations. Comme ça on sera indépendant sur la durée. Même si ce n’est qu’un minimum, aux moins avec le minimum on peut faire nos choses, et même si c’est petit, on développe notre travail.
Jenny C’est ainsi qu’en 2006, nous avons eu l’idée de monter un parc d’attraction ambulant pour enfants que nous proposons aux entreprises locales. Nous avons des toboggans gonflables, des jeux, des choses que les enfants en Afrique n’ont pas forcément l’habitude de voir. Ayant vécu en Europe, nous avons eu l’idée de louer des chevaux, on les mets dans l’espace et les enfants vont faire des petits tours d’équitation. Depuis 2006 nous arrivons à produire et à vendre cet événement qui comprend la présence de 50 à 100 artistes. Dans notre parc d’attraction, l’hôtesse d’accueil c’est une comédienne qui ne travaille pas en ce moment. Si l’enfant veut écouter des contes, il y a un conteur qui est là toute la journée de 10h à 17h. C’est la prise en charge de 500 à 1000 enfants par journée. Ça créé du travail pour les artistes. Et c’est ça aussi notre chiffre d’affaire qui nous permet pendant l’année de continuer à faire des projets artistiques et notamment le festival AfrikUrbanarts. Parce que sans cet argent, nous n’aurions jamais pu créer ce festival. On soutient aussi des compagnies locales. C’est une autre forme d’entrepreneuriat qu’il faut développer, aider les jeunes talents pour qu’ils aient aussi la possibilité de travailler. C’est vrai qu’avec la compagnie on arrive à tourner, on arrive à faire des choses, à diriger de grands événements en Côte d’Ivoire. Mais on ne peut pas rester star seul ! Il faut fabriquer aussi des stars. Notre rêve dans un futur proche c’est de produire des pièces de jeunes chorégraphes de Côte d’Ivoire, qui réalisent un travail intéressant.

///Article N° : 12930

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