Procès « Nique la France » : la façon de le dire

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Le rappeur Saïdou de ZEP et le sociologue Saïd Bouamama sont en procès pour leur livre-disque Nique la France. En 2015, l’utilisation des mots est toujours source de contestation.

Le 20 janvier 2015, l’Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l’identité française et chrétienne (AGRIF) a appelé à la barre le rappeur Saïd du groupe Zone d’expression populaire (ZEP) (1) et le sociologue Saïd Bouamama pour « injure raciale » et « incitation à la haine raciale ». En cause, la publication d’un livre disque de 96 pages intitulé Nique la France ! Devoir d’insolence, édité par Z.E.P en 2010. Le chanteur français Saïd et le sociologue algérien Saïd Bouamama, militants « anticolonialistes, antiracistes, anticapitalistes » sont accusés par Maître Jérôme Triomphe, avocat de l’AGRIF, de, par leurs propos, viser « les Français dits de souche,
blancs donc ». Un terme des plus sensibles dont l’origine remonte pourtant, selon la sociologue Christine Delphy témoignant en faveur des accusés, « à partir de 1958, (quand) l’administration distingue dans l’Algérie française  » le Français de souche européenne  » du  » Français de souche nordafricaine ». Pour l’AGRIF, ce procès est une
tentative de plus de faire reconnaître, en France, un « racisme anti-Blanc ». Alors même que, dans le livre inculpé, Saïd Bouamama
revendique le fait de faire partie de cette frange de la population « en permanence sommé(e) à l’allégeance ».

Des mots et des histoires
Le verdict de ce procès sera annoncé le 19 mars 2015. Il reflète la tension palpable qui entoure, en France, l’usage des mots et leur
interprétation. L’art du langage et le discours polémique pamphlétaire demeurent pourtant une grande tradition française. On se souvient de ce jeune homme, condamné en 2011 pour outrage après avoir chanté « Hécatombe » de Georges Brassens à la tête de deux gendarmes : « De la mansarde où je réside, j’excitais les farouches bras des mégères gendarmicides ». On se rappelle aussi le groupe de rap La Rumeur, sorti vainqueur après huit ans de procédures entamées par le ministère de l’Intérieur avec à sa tête Nicolas Sarkozy, pour avoir écrit « les rapports du ministère de l’Intérieur ne feront jamais état des centaines de nos frères abattus par les forces de l’ordre sans que les assassins ne soient inquiétés ». Le groupe NTM, lui, avait été condamné en 1996 à trois mois de prison ferme et à l’interdiction d’exercer son métier en France durant six mois, pour « outrage à personnes détentrices de l’autorité publique » après avoir scandé durant un concert « Où sont ces enculés de bleus et la justice qui nous emmerdent toute l’année ? ». « Les poètes, quand ils vivent, on les bat, on les moque, on les met en prison. Quand ils sont morts, on fouille dans leur vie, de préférence avec un groin de cochon », écrivait Léo Ferré en 1961. Le même Léo Ferré qui, chantant « Je baise ma Marseillaise », avait été arrêté et mis en garde à vue. Les propos de Saïd de ZEP et Saïd Bouamama n’ont donc rien de nouveau : ils s’inscrivent dans un devoir d’insolence assumé. Alors, si la justice venait à se positionner à leur encontre, les accusés pourront peut-être citer Georges Brassens : « J’ai ce malheur de faire des chansons que les ondes ne supportent pas. Il paraît qu’elles sont malhonnêtes. Je ne pense pas qu’elles puissent faire beaucoup de mal et souiller les oreilles, des gens le croient… ça ne me gêne pas, ça me permet de les conserver plus longtemps, celles qu’on ne passe pas à la radio elles vivent plus longtemps, elles
ne s’abîment pas ».

///Article N° : 12805

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