« Music in Exile n’est pas une intention politique »

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Natifs de la région de Tombouctou, les quatre musiciens de Songhoy Blues déferlent en Europe avec leur album Music in Exile, dans les bacs le 23 février chez Transgressive Records. Déjà sacrés révélation avec un premier titre, « Soubour », sur le projet la Maison des Jeunes en 2013, Garba Touré, Aliou Touré, Oumar Touré et Nathanaël Dembélé dévoilent des compositions d’un électro-rock mâtiné du désert. L’énergie d’une génération, plus que d’une révolte.

Garda, vous venez de Diré, dans la région Tombouctou. Comment pratiquiez-vous la musique avant l’occupation djihadiste ?
Garba Touré :Nous avions chacun un groupe dans notre localité, au Nord, mais ce sont les études qui nous ont amenés à Bamako. Depuis nous avons toujours fait des allers retours entre la capitale et nos villes du Nord. Mais c’est après la crise (1)que nous avons dû nous exiler à Bamako et que nous avons eu l’idée de monter un groupe. À Bamako on jouait à droite et à gauche, comme tous les artistes. Mais mon groupe était à Diré.
Aliou, Garba et Oumar, vous êtes tous les trois songhaï (2), du Nord du Mali, mais vous vous êtes rencontrés à Bamako, en exil. Racontez-moi votre rencontre.
G.T : A Bamako, tout le monde sait qui est du Nord et qui ne l’est pas. J’ai croisé Ali, Oumar et Nathanaël chez des amis et on a joué ensemble pour la première fois en 2012, pour un mariage. Ensuite, nous avons eu envie de nous retrouver, sans forcément former un groupe, mais pour jouer ensemble et chercher de nouvelles inspirations. Nous avons joué pendant tout le mois de carême, jusqu’à former un répertoire. Tous les week-ends nous étions dans les maquis de Bamako où des amis jouaient souvent. Pendant leurs pauses ils nous invitaient sur scène pour jouer un ou deux morceaux, jusqu’au jour où les propriétaires du maquis nous ont remarqués et nous ont permis certains contrats.
C’est finalement dans l’exil que votre pratique musicale a pris un tournant, lorsque Damon Albarn et Nick Zinner vous ont repéré pour l’enregistrement de l‘album La maison des jeunes à Bamako en 2012. C’est d’ailleurs le même Nick Zinner qui a produit votre album Music in Exile.
Oumar Touré : Au moment où nous cherchions à faire une maquette pour la promotion du groupe, un oncle bassiste, Badou Dialou, qui jouait avec Ali Farka Touré et qui avait l’habitude de nous assister pendant les spectacles, nous a dit « vous avez du talent, vous avez assez joué dans les cabarets, il faut amener votre musique plus loin, la rendre plus internationale ». Il nous a donc parlé de ce projet Africa Express avec Damon Albarn, Marc Antoine Moreau et Nick Zinner, entre autres, qui étaient à ce moment-là à Bamako. Marc Antoine est venu nous écouter dans un cabaret puis nous a fait participer à un casting. Tout le monde a aimé notre musique et nous avons enregistré un titre au studio Bogolan, à Bamako, auquel Nick Zinner et le guitariste de Damon Albarn ont participé. Nous avons créé un mix multicolore et très engagé et notre histoire pouvait commencer.
Dans quel bain musical avez-vous tous grandi, entre les rythmes takamba du Nord et les influences de bluesmen américains dont les accords font écho à ceux des guitaristes maliens, sur les rives du Niger ?
Garba Touré : Au Nord, la musique takamba est très présente c’est vrai, mais comme beaucoup d’autres styles musicaux, le blues, le rock, le jazz. Les musiciens américains sont les plus connus parce que nous vivons dans un espace enclavé et qu’il est difficile de valoriser notre richesse culturelle à l’extérieur. Mais tous ces styles ont leurs origines en Afrique. Aussi, le takamba n’est pas seulement joué au Nord, c’est devenu un rythme très populaire dans tout le Mali. Même s’il n’est pas chanté en langue songhaï, le takamba s’exporte et s’exploite.
Oumar Touré : Dans ce premier album nous voulions que des instruments traditionnels soient présents. Mais nous avons réalisé que cela donnerait une couleur pas nécessairement adaptée aux concerts live. Nous sommes quatre musiciens dons si nous enregistrons en studio avec un instrument traditionnel, le son sera beaucoup plus fidèle à ce que nous pourrons apporter ensuite sur scène. Un jour peut-être nous grandirons mais pour l’instant tout ce qui est enregistré en studio devra être présenté sur scène. La couleur traditionnelle est, de toute façon, toujours présente à travers notre manière de jouer.
Avec la crise politique, différents groupes de rock touaregs comme Tinariwen, Amanar, Tartit ont rappelé au monde entier à quelle point cette région nord du Mali est un vivier musical. Et la crise a aussi permis de mettre sur le devant de la scène des groupes en exil. Comment vivez-vous cet enthousiasme médiatique en contexte politique, pensez-vous qu’il pourrait s’essouffler ? Car ce vivier-là ne date pas d’aujourd’hui…
Oumar Touré : Oui bien sûr, mais surtout, aucune musique ne peut être jouée au nord du pays depuis 2012. Donc les groupes Touaregs qui habitaient dans le foyer de la crise à Kidal et à Gao, en exil, ont plus facilement accès à l’international pour promouvoir leur musique et se faire une culture musicale élargie. Et c’est le cas pour nous aussi, puisque la rencontre avec Africa Express à Bamako nous a permis d’aller en Europe. Mais bien avant la crise de 2012 la musique du Nord, autour de grandes figures comme Ali Farka Touré, Sidi Touré, Khaira Arby, Tinariwen, était très appréciée et sollicitée. La crise n’a fait qu’accentuer cette popularité puisque sans pouvoir jouer chez nous, il fallait trouver d’autres issues.
Avec tous ces groupes vous sentez-vous appartenir à un mouvement d’artistes en exil, dans une démarche musicale qui se veut militante ?
Oumar Touré : Oui je dirais que nous menons un double combat : faire notre promotion à l’étranger, sur le plan professionnel, mais aussi sensibiliser, ce qui est le rôle premier de la musique dans nos sociétés. Amener les gens à la réconciliation, faire comprendre qu’il y a d’autres aspects plus positifs dans la vie que les intérêts géostratégiques, la guerre. C’est un combat que nous menons, en tant que musiciens, avec d’autres frères.
Aliou Touré : D’ailleurs, Garba, Oumar et moi sommes musulmans, du Nord et Songhaï. Nathanaël, le batteur, est tout le contraire : chrétien, du Sud et bambara. Nous avons accueilli ce brassage pour montrer qu’il est possible de cohabiter ensemble dans tous les secteurs, y compris la musique. Car le mélange fait la beauté de toute chose.
Sur votre album domine un son très rythmé, électrifié, aux teintes blues, parfois funk, dansant et nerveux. Qu’est-ce qui vous a guidé dans la réalisation de cet album ?
Oumar Touré : Cet apport énergique est notre propre définition. Nous avons tous moins de 30 ans et nous représentons une nouvelle génération de musiciens, moins ancrés dans la tradition que les musiciens des années 1970. Nous essayons de puiser dans cette tradition et de l’adapter à notre génération. La musique qui marche aujourd’hui dans les boîtes, le son que la génération actuelle écoute, ce sont des rythmes technos, rock, électro. Nous nous inspirons de la musique traditionnelle avec laquelle nous avons toujours grandi pour la confronter à ces styles. On nous demande souvent si nous faisons une musique rebelle. Non, notre musique n’est pas révolutionnaire. Elle peut l’être dans l’énergie que nous apportons, mais pas dans la composition. Notre musique est surtout festive et positive, elle appelle au respect, à des valeurs et des aspects les plus basiques de la vie.
Avec le titre de cet album c’est vrai on suppose une intention engagée et c’est peut-être aussi ce qui fait que le répertoire du nord Mali est populaire. Il y a la crise politique derrière, on cherche des jeunes avec un discours fort.
Oumar Touré : Il ne faut pas attendre de ce titre une idée politique ou révolutionnaire. Cet album définit plutôt la manière dont nous sommes arrivés en musique avec le concept « Songhoy Blues ». Il raconte cette histoire qui nous lie tous, la création du groupe, l’occupation au Nord du Mali, l’interdiction de jouer notre musique chez nous, et cet exil forcé vers les villes du Sud afin de créer quelque chose qui nous réunisse.
Paradoxalement, le fait d’être en exil a favorisé aussi votre création, avec des rencontres, des métissages.
Garba Touré : Je dirais plutôt que le fait d’aller à l’international nous a permis de croiser d’autres styles. Depuis la première fois que nous avons écrit les chansons, nous voulions viser l’international pour que notre musique puisse être entendue en dehors de chez nous. Donc nous avons composé des titres en nous inspirant du blues ou même du rock américain et européen, des jeunes groupes comme des anciennes rockstars. Croiser des artistes des mélanges n’a fait que renforcer cette intention.
Comment s’est passée votre première tournée, en Inde ?
Garba Touré : C’était une expérience vraiment inattendue. On a rencontré un public assez jeune, énergique, qui a retrouvé beaucoup de similitudes entre la musique du Nord du Mali et la musique indienne.
Oumar Touré : Quand nous sommes arrivés en Inde nous avons appris qu’Ali Farka Touré était passé, que son fils Vieux Farka Touré aller jouer aussi et que d’autres artistes maliens comme Fatoumata Diawara y sont venus. On peut le comprendre par ce lien commun à toute musique du désert, une couleur, une chaleur. Le désert est le lieu où la musique s’exprime sous la forme de mélodies, on ne peut pas danser au rythme de percussions sous 45 degrés. Tout groupe venant du désert a le même doigté, le même style, le même regard.
Nathanaël Dembélé : La jeunesse indienne aujourd’hui est folle de musique rock et ce que nous apportons justement, c’est un style assez rock, électro, chaud. Aussi, ils s’y sont retrouvés car il y a des pas de danse similaires entre les rythmes peul et indiens. Certains nous ont même dit qu’ils avaient une danse indienne appelée Garba. [Rires]

(1) Au printemps 2012, le nord du Mali est occupé à la suite d’une insurrection de groupes armés salafistes et indépendantistes. Les djihadistes occupant les villes comme Gao, Kidal et Tombouctou ont imposé leur idéologie et une application stricte de la charia dans les villes occupées, interdisant entre autres la pratique de la musique, forçant nombres d’artistes à l’exil.
(2) Les songhaï est un peuple à la frontière de l’Afrique blanche et de l’Afrique noire. Au XVe siècle, l’empire songhaï s’étendait le long du fleuve Niger, du Mali jusqu’à l’actuel Niger. La culture songhaï est enracinée dans le désert.
À lire : « Blues en exil », publié dans Afiscope 39

En concert le 5 mars au Pédiluve, Châtenay-Malabry / le 6 mars au Rock School Barbey, Bordeaux / le 26 mars aux Docks des Suds, Marseille / le 11 mai à la Boule Noire, Paris.///Article N° : 12782

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