Les gens dits « de couleur » ou gens impurs

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On dit des gens de couleur qu’ils sont incompréhensibles, mystérieux, prolifiques, exubérants, protéiformes, qu’ils viennent du Sud, d’ailleurs, qu’ils ont la peau dure, tannée, avec des dents blanches, des gencives roses, qu’ils ont le rythme chevillé au corps, l’odeur boucanée, le sang chaud, l’esprit économe, et qu’ils sont bien membrés et suffisamment bêtes pour casser des noix avec leur instrument.

On dit des gens de couleur qu’ils sont insensibles, et à la douleur, émotifs, intuitifs, sentimentaux, frustes, passifs, prélogiques, qu’ils aiment copuler, rire, toujours joyeux, et encore copuler et rire, avec des accents, des adjectifs, et fort, sans raison, et babiller, sans mesure, paresser, parfois susceptibles, et naïfs, vaniteux, hystériques, grands enfants, à se faire couillonner et toujours à danser.

On dit des gens de couleur qu’ils sont généreux, festifs, sauvages mais généreux, encore festifs, sales et généreux, et du derrière et de la bouche, accueillants, imaginatifs, fourbes, menteurs, sorciers si créatifs qu’ils élèvent une variété de dieux aux amulettes vernies et aux torses difformes, des dieux qu’ils dévorent au petit matin, pour en réélire le soir et à la lueur de quelques silex magiques et d’incantations vénéneuses.

On dit des gens de couleur qu’ils sont immenses, grands et petits, comme des ombres, toujours immenses, qu’ils courent vite, qu’ils courent, surtout à la tombée de la nuit, à perdre haleine, poursuivis par une meute de chiens fantômes et des adorateurs du feu ; puis, ivres de douleur, de folie et de vents aux ardeurs maudites, se cachent, grimés, embusqués au coin des ruelles obscures, où ils cherchent à fondre sur des vierges opales et sur l’or, l’habit, et sur les enfants égarés qu’ils offrent en sacrifice au dieu Barbare.

On dit des gens de couleur qu’ils n’ont pas d’Histoire mais qu’ils se trouvaient aux origines de l’espèce animale, qu’ils portent le mal en eux, un mal si enraciné, si profond qu’il remonte au commencement de l’humanité ; on dit ainsi qu’ils sont cause du péché, de la chute et de la perdition de l’homme et maudits à jamais.

On dit des gens de couleur qu’ils vinrent un jour de là-bas, comme par magie d’une côte lointaine, adamique, surgissant des ténèbres comme des sirènes, pour s’unir à la Pureté ensommeillée, au moyen d’un sexe alors inconnu.

On dit donc des gens de couleur, comme l’on disait naguère des femmes, que ce sont des « personnes du sexe ».

On dit des gens de couleur qu’ils firent naître, au contact de la Pureté et par ce sexe fourchu, le mélange – qui fut appelé la Faute ou le péché originel – et par ce crime introduisirent le mal, l’impur et le rythme dans la nature ; non pas le rythme comme simple mesure du temps, mais l’initial rythme, qui est source de toute vie, mouvement, qui est essence, création, qui est alternance des pleins, des vides et des différences ; le rythme qui ouvre le champ à la couleur, au nombre, à la variété, au sexe, à la magie, à l’art…

On dit enfin des gens de couleur que ce sont des gens dits « de couleur » pour cette seule et véritable raison que la couleur est rythme et mélange, opposée à la pureté – qui serait « autokhthôn », centre et pouvoir et commencement.

On dit aussi des gens de couleur qu’une goutte de leur sang noir (« One drop rule ») suffit à vous rendre de couleur.

On comprend dès lors que l’expression consacrée « gens de couleur », expression si élégamment et politiquement partagée, désigne tout doucement et avec bonne conscience l’inconnu, le vide, l’étranger, l’intrus, l’impur.

Autrement dit l’Autre, le mal, le répulsif.

Sinon – pourquoi « de couleur » ?

///Article N° : 12747

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