Mary Prince : témoignage d’esclave

Reportage de Claire Diao

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Vendredi 19 décembre 2014, collégiens et lycéens se sont réunis à La Manufacture des Abbesses de Paris pour voir la pièce Mary Prince, premier témoignage écrit en 1831 d’une esclave des colonies britanniques, interprété par la comédienne Souria Adèle et mis en scène par Alex Descas. Récit.

C’est la veille des vacances. Il fait froid. Les rues de Paris sont égayées de décorations lumineuses. La place des Abbesses (Paris 18e) vibre au rythme du Marché de Noël. A quelques rues de là, un attroupement de collégiens fait la queue devant La Manufacture des Abbesses (Paris 18e). Au programme de ce vendredi, la pièce Mary Prince, mise en scène par le comédien Alex Descas (qui a joué dans les films de Claire Denis, Olivier Assayas, Jim Jarmusch et Raoul Peck) et interprétée par Souria Adèle (connue pour son interprétation de Marie-Thérèse Barnabé, Négresse de France, créé en 2001).

Dans la salle surchauffée de La Manufacture des Abbesses, les élèves du collège Jean Moulin (Paris) et du lycée André Boulloche (Livry-Gargan) se bousculent, chahutent et bavardent. Puis arrive sur scène une responsable du théâtre qui leur rappelle d’éteindre leurs téléphones portables. Les lumières s’éteignent, le silence se fait – parcouru de murmures et des habituels  » chut !  » – puis voilà qu’une figure apparaît sur le plateau, éclairée en plongée par un projecteur de couleur.

Il s’agit de Mary Prince (Souria Adèle), stoïque dans sa robe à fleurs et sa canne en bois. Elle récite d’une voix posée et profonde sa vie d’esclave, des Bermudes à Antigua (île voisine de la Guadeloupe, NDLR) pour finir en Angleterre où elle sera affranchie. Souffrance d’une vie durant laquelle les autres prennent possession de soi, de son corps, de son destin, de sa vie. Où l’on vous examine comme du bétail, où l’on vous sépare de votre famille, de votre mari, où l’on vous traite méchamment, violemment, vicieusement, si on en a envie. Incohérence d’une époque où certains affranchis ne peuvent mettre les pieds sur les terres où l’esclavage n’est pas aboli. Le récit de Mary Prince, publié en 1831 par son avocat Thomas Pringle, est inédit et servira de témoignage pour les abolitionnistes de l’époque.

Si le parti pris de Souria Adèle et Alex Descas de présenter Mary Prince comme un seule en scène est courageux – demandant à la comédienne une énergie et une mémoire gigantesque – l’attention demandée aux élèves, (« il s’agit très vite de comprendre que ce n’est pas la peine d’imaginer un jeu de décor « , rappelle la note d’intention d’Alex Descas), est toutefois ambitieuse. Bavardages, rires, bâillements, exprimaient ainsi le manque de concentration de certains élèves, peu coutumiers du théâtre, qui dérangeaient par moments la studieuse écoute que requiert pareil spectacle.

Félicitant néanmoins les élèves pour leur attention (« Vous n’étiez pas les meilleurs, mais il y a eu une belle écoute, merci « ), Souria Adèle leur propose, après la pièce, d’échanger avec Myriam Cottias, Présidente du Comité national pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage (1) et Manon Testemale, juriste au sein du Comité contre l’esclavage moderne (2). L’occasion d’apporter un éclaircissement historique et contemporain sur l’histoire de Mary Prince et l’esclavage.
D’hier à aujourd’hui
Dans la salle, les questions fusent : « Avez-vous des exemples d’esclavage moderne ?« , « Est-ce que c’était dur de jouer cette pièce ?« , « Est-ce que Mary Prince a vraiment existé ?« , « Combien coûtait la liberté ?« , « Est-ce que des esclaves se sont révoltés?« , « Est-ce qu’on retrouve et condamne les esclavagistes ?« , «  Est-ce qu’aujourd’hui les esclaves peuvent acheter leur liberté ?« , « Y a-t-il des témoignages d’esclaves francophones ?« .

Sur scène, Myriam Cottias, Manon Testemale et Souria Adèle répondent avec pédagogie. « Oui, Mary Prince a existé. C’est même la première esclave à avoir témoigné de son expérience d’esclave en 1831« , répond Souria Adèle. « Ce n’est pas facile à jouer mais c’est un projet que j’ai porté, adapté… J’en suis à la 43e date vous savez, alors une fois que je suis sur le plateau, j’y vais, je suis contente de jouer« .
« Il y a eu des révoltes en permanence, rappelle Myriam Cottias. La plus grande a eu lieu en 1791 à Saint-Domingue, l’ancien nom d’Haïti. Si les témoignages d’esclaves sont plus fréquents dans le monde anglo-saxon, c’est aussi une question de religion. Les protestants étaient beaucoup plus attentifs à enregistrer les histoires d’esclaves car ils étaient proches des sociétés abolitionnistes. Après l’abolition, des missions d’enquête ont enregistré des témoignages comme le Federal Writer’s Project (3). En France, le travail sur les récits a été fait à partir de sources de procès mais cela est moins précis, car le cadre juridique restreint les témoignages et les esclaves s’exprimaient en créole dans une cour de justice « .

« L’esclavage moderne, c’est par exemple quelqu’un qu’on va aller chercher dans un pays en lui promettant du travail, à qui on va payer un visa et un billet d’avion, mais qui, une fois arrivé dans le pays de destination se verra confisquer ses papiers et sera exploité « , explique Manon Testemale. « Il existe des personnes qui n’ont aucun contact avec l’extérieur, n’ont droit qu’à une douche par semaine et mangent des restes. Les victimes viennent nous voir quand il y a rupture avec l’exploitant. Ce sont souvent des voisins, ou les assistantes sociales et médecins qui font appel à nous lorsqu’ils s’alertent de la situation. C’est un devoir de citoyen de faire attention à ceux qu’il y a autour de nous« .

« A l’époque de l’esclavage, la liberté était monnayable selon une liste de critères (homme ou femme, jeune ou vieux, talentueux ou non) et la volonté ou non du maître de s’en séparer, souligne la présidente du Comité national pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage. Il y a eu en France un nombre important de procès en France, notamment au Parlement de Bretagne et au Tribunal de Paris. Depuis le procès de Nuremberg (procès des principaux responsables du Troisième Reich qui a eu lieu de 1945 à 1946, NDLR), l’esclavage est un crime contre l’humanité.Une personne est en infraction à partir du moment où elle en exploite une autre « .

« Il y a des spectateurs qui m’ont dit : « Mais qu’est ce qu’on vous a fait ? « , rapporte Souria Adèle. Je leur réponds  » Rien. Je ne suis pas esclave et vous ne m’avez rien fait ». Il faut sortir de cette idée de Blanc et Noir « . « Il faut faire attention à cette catégorisation par la couleur de peau, ajoute encore Myriam Cottias. Un paysan du 17e siècle ne se définissait pas comme Blanc mais par exemple comme Bourguignon… La notion de Noir et de Blanc a été appuyée par l’esclavage où l’on distinguait les Noirs, les nègres, les esclaves. Ce ne sont pas des évidences, il faut être conscient des mots et de ce qu’ils véhiculent« .

Puissent ces propos avoir été entendus et enregistrés par les jeunes. Souria Adèle, quant à elle, a donné sa dernière représentation de Mary Prince le 20 décembre 2014. En attendant, peut-être, d’être présentée en Avignon en 2015.

Propos recueillis par Claire Diao

(1) http://www.cnmhe.fr/
(2) http://www.esclavagemoderne.org/
(3) http://memory.loc.gov/ammem/snhtml/snhome.html
///Article N° : 12659

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Les images de l'article
de gauche à droite : Myriam Cottias, Souria Adèle et Manon Testemale © Claire Diao
Souria Adèle et des collégiens © Claire Diao





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