Vers un printemps des quartiers populaires ?

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Le 27 octobre dernier, plusieurs organisations associatives, politiques et syndicales ainsi que des militants et des personnalités lançaient l’appel du Printemps des quartiers populaires. Six ans tout juste après la mort de Zyed et Bouna, à Clichy-sous-Bois. Cette nouvelle initiative fait écho aux révoltes de 2005. En pleine campagne présidentielle, elle entend porter haut et fort la parole des habitants des quartiers, au plan local comme national.

8 décembre 2011 : le Cin’Hoche de Bagnolet s’anime étrangement. Pour le lancement du Printemps des quartiers, la salle au grand écran est comble. On compte plus de 500 participants. Tous se retrouvent autour de cinq grands combats. Tout d’abord « contre le racisme, en premier lieu le racisme d’État, l’islamophobie, et l’expulsion des sans-papiers ». Ensuite « contre les inégalités et la ségrégation urbaine ». Pour lutter également contre « les violences institutionnelles de la police et de la justice » et « contre les politiques libérales porteuses de la crise économique ». Et enfin pour s’opposer aux « rapports de domination internationaux et néo-coloniaux, en particulier en Palestine, en Afrique ou dans les DOM-TOM ».

Jeunes et moins jeunes se retrouvent
Se reconnaissant dans ces grands combats, de nombreuses associations ont rejoint le mouvement, en y greffant leurs luttes d’hier ou d’aujourd’hui. À la tribune de Bagnolet, ce soir-là, de nombreux militants se succèdent pour les évoquer. L’Association des travailleurs maghrébins de France met en avant l’importance des luttes des Chibanis [1] pour leurs droits. Aux côtés des anciens, les jeunes abordent leurs difficultés actuelles, notamment leur quotidien miné par des contrôles d’identité abusifs.
Le collectif Stop le contrôle au faciès détaille ainsi devant l’assemblée sa mobilisation pour imposer un reçu lors de chaque contrôle, afin de permettre un recours juridique en cas d’abus. Certains de ces contrôles tournent au drame, comme le rappelle avec fracas Omar Slaouti, du collectif Justice et vérité pour Ali Ziri. On se souvient de ce retraité algérien d’Argenteuil, mort en 2009 suite à une interpellation par la police. Ou d’Hakim Ajimi, mort à Grasse, en 2008, dans des circonstances semblables. Omar Slaouti n’hésite pas à parler de crimes d’État : « Ce ne sont pas juste quelques bavures de brebis égarées. Ces crimes racistes, commis par des policiers, ne sont jamais condamnés par l’État ni sanctionnés par la justice. Cette impunité, cette acceptation tacite font de ces actes ignobles des crimes d’État ».
Après une courte pause, les débats reprennent de plus belle avec l’association Mamans toutes égales. Récemment, le tribunal de Montreuil a acté l’interdiction pour les mamans voilées d’accompagner les enfants lors des sorties scolaires. L’une des représentantes s’empare du micro pour dénoncer cette interdiction, qui relève, pour elle, de l’islamophobie : « Pour faire des gâteaux ou nettoyer les classes, on a besoin de nous. Mais pour les sorties, on est évincé ».

Réintroduire du politique
De nombreuses autres associations se succèdent à la tribune, avant qu’Houria Bouteldja, porte-parole du Parti des indigènes de la république (PIR), ne se charge de dresser quelques perspectives, aux côtés d’Alain Gresh, du Monde Diplomatique. Tous deux reviennent sur l’ambition du Printemps des quartiers populaires : s’inscrire dans la dynamique des révoltes des quartiers de 2005, légitimer cette colère, comprendre ses fondements.
Comme l’avait fait ACLEFEU après les révoltes en faisant le tour des quartiers populaires de l’hexagone pour dresser des cahiers de doléance. Comme le fait l’association Norside à Lille ou Quartiers nord Quartiers forts à Marseille : tenter de réintroduire du politique dans les quartiers, sans étiquette politicienne, en aidant simplement les habitants à exprimer leurs revendications et leurs souffrances. Pourquoi « Printemps des quartiers » ? On saisit bien la fi liation avec le vent de révolte qui a soufflé sur le monde arabe. Mais la situation française est-elle comparable aux dictatures déchues ?
« Le projet de justice sociale est aujourd’hui un projet révolutionnaire », souligne Houria Bouteldja. Refuser la résignation, croire en une société meilleure et œuvrer à la construire. Arrêter de se diviser et impulser une mobilisation commune. Même si cela ne constitue qu’une goutte d’eau dans un océan d’indifférence politique. « Nous ne sommes que des lanceurs de chaussures. Comme cet Irakien face à Bush, comme Mohammed Bouazizi en Tunisie, nous n’avons pas de moyens. Notre organisation n’en est qu’au stade d’ébauche. Mais comme eux, ce que nous avons, c’est notre dignité. Notre conscience morale nous pousse à porter la voix des habitants des quartiers, inaudible politiquement », poursuit Houria Bouteldja.

Bientôt un parti ?
Cette voix entend élever le débat en refusant celui de l’identité nationale. Elle souligne aussi d’autres enjeux politiques : la lutte contre les discriminations, le tout répressif, la chasse aux Roms, aux sans-papiers, l’islamophobie…
Peut-être cette voix, scandée dans la rue en pleine campagne présidentielle, parviendra-t-elle aux oreilles des candidats ? C’est ce que veut impulser le Printemps des quartiers, mais pas seulement. En novembre dernier, deux autres forums – le Forum social des quartiers populaires à Saint-Denis, et les Rencontres nationales des luttes de l’immigration, à Créteil – s’inscrivaient dans la même dynamique. Lors de ces événements, une même frustration s’est exprimée. N’est-il pas temps de dépasser le simple front associatif pour entrer sur le ring politique en créant un véritable parti ? Certains le réclament urgemment. Avec, en ligne de mire, les scrutins locaux et législatifs. Encore en gestation, ce parti devrait voir le jour début 2012. À suivre donc.

///Article N° : 12654

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