Sihem Souid : « la suspendue de la République »

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Son premier livre, paru en 2010, avait fait l’effet d’une bombe. Dans Omerta dans la Police, Sihem Souid dévoilait la face cachée de la Police aux frontières d’Orly au sein de la quelle elle travaillait : abus de pouvoir, corruption, trafics de statistiques mais aussi racisme, sexisme et homophobie. Punie par sa hiérarchie, elle raconte son combat dans son nouvel ouvrage La Suspendue de la république [1]. Désormais, elle se bat pour la création d’un Comité d’éthique de la sécurité. Rencontre.

Sihem Souid n’a pas peur des contrastes. à l’image de l’intérieur de son appartement, elle reçoit vêtue en noir et blanc. Un yin et yang incarné. Même dans une république qui prône l’égalité, des comportements racistes, sexistes et homophobes peuvent exister au sein de la police. Sur la table du salon est posé son nouvel ouvrage : La Suspendue de la République, sorti en janvier dernier. « Dans ce livre, je voulais raconter les représailles qu’a engendré Omerta dans la Police. Je voulais aussi rendre publics les nombreux témoignages qui m’ont été envoyés par des fonctionnaires de police. Malgré le corporatisme, beaucoup de policiers républicains soutiennent mon combat. Les coups bas ont été nombreux, mais je suis toujours debout. »

Réintégrée et mutée

Le Ministère de l’Intérieur n’a jamais contesté les faits dénoncés par Sihem. C’est dans le domaine administratif que l’attaque a été portée : « L’Inspection Générale des Services (IGS) [2] a monté toute une kabbale sur le motif de « divulgation du secret professionnel ». »On reproche à la jeune femme d’avoir transféré des documents à un journaliste, en 2009, concernant la sécurité des citoyens, le plan Vigipirate ainsi que les vols à destination d’Israël.
Indignée, elle poursuit : « au moment des faits, ma carte magnétique prouve que j’étais à la cantine. Sans même me convoquer, l’IGS m’a mise en garde à vue. J’ai été suspendue, réintégrée et mutée à la préfecture de police de Paris. C’était un moyen de m’éjecter parce que je dérangeais. »
Quand Sihem publie Omerta dans la Police, en 2010, l’affaire revient sur le tapis. « Pour me discréditer publiquement, assure-t-elle. En mars dernier, j’étais au tribunal pour ce motif. Bien sûr j’ai été relaxée. »

Contre la politique du chiffre
Le Ministère de l’Intérieur l’attaque alors sur un autre champ : le « manquement au devoir de réserve ». Six mois de suspension, qui ont pris fin le 27 janvier dernier. « Dans la police, il semble plus grave de révéler des actes racistes que de les commettre. Pourquoi ? Parce que le devoir de réserve bâillonne le fonctionnaire, couvre les faits illégaux. » Ce qui choque le plus Sihem, c’est la géométrie variable de ce concept : « Je critique la politique du chiffre, et je subis des sanctions administratives. Mais quand Bruno Beschizza, policier lui aussi, prend la parole dans les médias pour dire du bien du pouvoir en place, il est promu sous-préfet. »
Sihem continue de témoigner de l’envers du décor. « Au quotidien, les agents ont des quotas à remplir, sous peine de perdre leurs primes, leurs avancements. La police n’est pas une entreprise. Le policier n’a pas besoin d’objectifs chiffrés pour faire son travail. Au contraire, ça engendre le stress, la concurrence au sein des services. Quand il y a injonction de faire toujours plus de gardes à vue, c’est contre-productif : le policier n’en peut plus, il finit par créer les situations. Cela engendre des dérives. Le citoyen en paie les conséquences, notamment avec les contrôles au faciès. »
La lutte n’est pas finie. Sihem a saisi le Conseil d’état, ainsi que la Cour européenne des droits de l’homme. Qu’importe si les procédures prennent plusieurs années. Et le Défenseur des droits ? Sihem se montre perplexe. Pour elle, la nouvelle instance de lutte contre les discriminations qui remplace la Halde est proche du pouvoir exécutif. « Le Défenseur des droits est nommé par le président de la République. Il n’a aucune indépendance. Mon dossier entrant en conflit direct avec le pouvoir, je n’ai même pas tenté de le saisir. »

Un Comité d’éthique indépendant
Son combat majeur est la mise en place d’un « Comité d’éthique de la sécurité » qui pourrait former les agents et enquêter sur les faits de discrimination dans la police. « Ce comité d’éthique serait indépendant, avec un réel pouvoir d’injonction. Le projet de loi a été déposé par le parti communiste. Nous bataillons pour qu’il passe. On ne peut plus avoir des policiers qui enquêtent sur d’autres policiers. »
Mais qu’est-ce qui donne à ce petit bout de femme de 30 ans la force de se battre, envers et contre tous, pour les valeurs républicaines ? « J’y crois parce qu’elles sont belles, nos valeurs ! Liberté, égalité, fraternité… C’est pour les défendre que je suis entrée dans la police. C’est grave qu’elles soient parfois bafouées par ceux qui sont censés les garantir et les préserver. Quand un citoyen est témoin d’atteintes aux valeurs républicaines, il est de son devoir de les dénoncer. La société n’est pas parfaite, chaque citoyen a un rôle d’alerte, de veille. C’est ce que j’ai fait, ni plus, ni moins. Je ne le regrette pas. »
Une nouvelle Sihem Souid est née. Aujourd’hui, elle est chroniqueuse à l’hebdomadaire Le Point, militante au sein de l’association Paroles de femmes, soutien d’Arnaud Montebourg lors des primaires du Parti socialiste. Une nouvelle Sihem, au combat sur beaucoup de fronts simultanés. « Ce n’est pas toujours facile, mais je pense que ça en valait la peine. Mes ex-collègues de la PAF d’Orly me disent qu’aujourd’hui, il n’y a plus de problèmes dans le service. Il parait que même les reconduits à la frontière sont bien traités, qu’ils ont droit à des couvertures. Mon combat a permis de conscientiser énormément de personnes. Il a mobilisé des parlementaires, il a fait réfléchir les politiques sur leur vision de la sécurité. C’était mon but. Il faut que ça continue. »

Notes

[1] L’IGS, surnommée la « police des polices », instruit les affaires disciplinaires et pénales concernant les policiers ou personnels administratifs de Paris.

[2] Sihem Souid, La Suspendue de la République, préface de Stéphane Hessel, éditions du Cherche Midi,216 p., 17 euros.Sihem Souid en quelques dates

2006 : entrée dans la police. / 2008 : premiers abus dénoncés à la PAF d’Orly. / 2009 : première suspension. Réintégration six mois plus tard après décision de la Halde et mutation au service de prévention et d’aide aux victimes. / 2010 : publication de Omerta dans la police. / 2011 : suspension de 6 mois. / 2012 : publication de La suspendue de la République.///Article N° : 12627

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