Auteurs postcoloniaux et manuels scolaires : un lien en construction

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Miroir de la Nation, les manuels scolaires transmettent une certaine idée de la France et de son Histoire. Dans les livres de français, de la 3ème à la terminale, la place des écrivains des anciennes colonies ou des Outre-mer peinent encore à trouver leur place.

L’école française est en pleine mutation : réformes organisationnelles et changements de programmes rythment ces dernières années. Ces transformations sont notamment visibles dans une discipline : le français et à travers un outil que certains appellent les miroirs de la nation : les manuels scolaires (1). Si l’on étudie communément depuis des années les œuvres de Sartre, Breton ou encore Nathalie Sarraute qu’en est-il des écrivains comme Césaire et Senghor ?
S’intéresser à la place des auteurs postcoloniaux dans quelques manuels scolaires des classes de 3ème, 2nde et première questionne l’écriture d’une histoire française contemporaine. La présence des auteurs postcoloniaux, dans les manuels scolaires de français, nous semble d’autant plus importante qu’elle devrait permettre aux générations futures de comprendre que le monde d’aujourd’hui est le résultat de l’histoire coloniale et post-coloniale. Cette reconnaissance est, pour nous, un enjeu majeur, dans l’amélioration du vivre ensemble.
64% des manuels étudiés et publiés avant 2011 font mention d’auteurs postcoloniaux. Ce taux augmente considérablement après 2011, puisqu’il atteint 83%. Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor font partie des auteurs qui nourrissent largement ce pourcentage. Les autres auteurs présents diffèrent vraiment en fonction des ouvrages. Pour le premier, il semble que son décès et les hommages médiatisés ont accéléré son entrée dans le patrimoine littéraire français.
La présence d’un auteur dans un manuel n’a d’utilité que si sa problématique est étudiée.
Or, seuls 23% des manuels utilisent ces textes dans des problématiques propres aux littératures postcoloniales : questions d’altérité, liens avec l’histoire coloniale et post-coloniale. D’ailleurs, jamais le mot postcolonial n’est employé pour les désigner. Le problème n’est donc plus la reconnaissance des auteurs mais la reconnaissance du champ littéraire dans lequel ils évoluent.
Pour le manuel de troisième (2), trois auteurs sont cités : Camara Laye, Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor. Pour le premier, l’œuvre choisie est L’enfant noir. Même si la problématique retenue est celle de l’adaptation cinématographique, nous entrevoyons la volonté des auteurs d’amener les élèves à réfléchir quant à la vie ailleurs. Pour Aimé Césaire, c’est le Cahier d’un retour au pays natal qui a été choisi. Plusieurs extraits de l’œuvre sont présentés et l’on amène progressivement l’élève à comprendre les enjeux du mouvement de la Négritude. En écho à ce travail, Cannibale de Didier Daeninckx est montré. Ceci permet aux élèves de faire des liens avec l’histoire coloniale de notre pays. Senghor, quant à lui, n’est cité que, pour deux extraits. Un poème paru dans L’étudiant noir, et qui permet de compléter la présentation du mouvement de la Négritude. Puis une seconde fois, avec Hosties noires, texte présent dans le cadre d’un entraînement au brevet. Les problématiques propres aux littératures postcoloniales sont ici mises en avant mais sans une ouverture à des écrivains plus contemporains.
Dans un manuel de 2nde (3), nous retrouvons encore une fois Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor. Nous notons aussi la présence d’un troisième écrivain : Tahar Ben Jelloun. Alors que les textes de Senghor et Ben Jelloun passent presque inaperçus (ce sont des supports pour des exercices), le texte de Césaire, Discours sur le colonialisme, s’inscrit dans une séquence intitulée  » Les pouvoirs du discours « . L’objectif de la séquence est donc de faire étudier les thèmes et les moyens rhétoriques mis en œuvre dans les discours. Cette perspective nous semble tout à fait intéressante. Cependant, les conditions de création de ce texte particulier sont balayées et il ne semble que servir de texte écho à l’extrait du  » Nègre de Surinam  » de Candide de Voltaire. Ainsi ce manuel ne traite pas en profondeur les thématiques propres au postcolonialisme et notamment quant à sa contemporanéité. L’élève n’est jamais amené à s’interroger sur les répercutions contemporaines de cette histoire.
Enfin, nous voudrions terminer cette présentation par un sujet type Bac découvert dans un manuel de première (4). Intitule  » Négritude et engagement  » ce sujet est composé d’un corpus avec Cahier d’un retour au pays natal d’Aimé Césaire (1947), Hosties noires de Léopold Sedar Senghor (1948) et Chimères d’en ville de Raphaël Confiant (1985). Ces trois textes argumentatifs présentent bien les mêmes axes de lecture. Cependant, même un novice en matière de littératures postcoloniales peut voir l’anachronisme flagrant. Césaire et Senghor sont bien les créateurs du mouvement de la négritude : mouvement propre à une période donnée. Or, même si R. Confiant est dans la droite ligne de ces écrivains, il n’appartient en aucun cas à ce mouvement. Il s’agit dans ce manuel d’une grossière erreur qui nuit aux connaissances transmises aux élèves et donc à l’inscription d’une histoire commune. Il aurait été plus juste de proposer un texte de Léon Gontran Damas, poète guyanais, lui aussi fondateur du mouvement de la Négritude.
Il est encore bien difficile de parler de l’histoire coloniale et post-coloniale à nos élèves et notamment à travers la littérature. Alors qu’Aimé Césaire semble enfin appartenir de manière durable au patrimoine littéraire français qui est à transmettre aux générations futures, les autres écrivains sont presque ignorés. Les enseignants de français ne sont pas formés à ces littératures. Si les manuels scolaires n’élargissent pas à d’autres perspectives et fournissent des données erronées, il semble délicat que dans les classes, la transmission se fasse correctement. Ce constat très pessimiste est, sans aucun doute à relativiser dans certains territoires d’outre-mer et notamment de la Caraïbe. En effet, en Martinique et en Guadeloupe, un travail très complexe a été réalisé pour que les élèves de ces territoires aient accès à ce formidable patrimoine littéraire qui ne cesse de vivre et de se construire.

(1) Référence au titre de l’ouvrage, Les manuels scolaires, miroirs de la nation ?, Paris, L’Harmattan, 2007.
(2) Français 3ème, Livre Unique, Collection Passeurs de textes,WebLettres/ Le Robert, Avril 2012.
(3) Français, Terres littéraires, Paris, Hatier, 2011.
(4) Français première, Terres littéraires, Hatier, Paris, 2011.
Cet article a été publié dans le magazine Afriscope n°37, L’école 3.0, c’est pour bientôt ?, septembre-octobre 2014.///Article N° : 12442

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