Ponte city, archive et mémoire d’un lieu

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Projet ancré dans l’architecture, Ponte city cristallise l’histoire de Johannesbourg et de l’Afrique du sud. Deux photographes, le Sud africain Mikhael Subotzky et l’Anglais Patrick Waterhouse, ont entrepris durant cinq ans de construire une archive de cette tour et d’apporter un regard documentaire et subjectif sur ce lieu. Résultat ? Après l’exposition présentée au Bal (1) au printemps dernier, un livre, Ponte city a été publié aux éditions Steidl.

Le livre Ponte cité édité par les éditions Steidl est à l’image de la tour et du projet : titanesque et multiple. Présenté dans une boîte cartonnée, la couverture sérigraphiée représente la tour. Le coffret, en plus d’un livre, comprend également 17 livrets. Composé essentiellement de doubles pages de photographies, ce livre-objet donne toute sa dimension à ce projet documentaire et architectural.
Si la rencontre des photographes avec Ponte city commence en 2008, date à laquelle ils investissent les lieux, la tour, elle, date de 1976. 1976 : le township de Soweto se soulève entraînant des mouvements de protestation contre le régime de l’Apartheid. Cette même année, Ponte city sort de terre pour accueillir la classe blanche aisée. Du haut de ces 54 étages, le gratte-ciel le plus haut de Johannesburg, mais également d’Afrique, surplombe la métropole. Tour de tous les superlatifs, elle est un concentré de la ville et l’objet de projections dans l’imaginaire des Sud-africains. Un des slogans imaginé par les promoteurs en 1976 était « on peut tout faire à Ponte city ».
Petit à petit, avec l’effritement du régime de l’Apartheid, les Blancs, qui résidaient dans la tour et les quartiers alentours, partent pour des banlieues résidentielles réputées plus sécurisées. Ponte city se vide de ses habitants et devient petit à petit une zone de non droit où affluent un nombre important d’immigrés originaires des pays voisins. Les appartements divisés en plusieurs habitations accueillent de nombreuses familles. Ponte city symbolise alors le déclin du centre-ville.
Mikhael Subotzky et Patrick Waterhouse racontent. « Sa légende s’enrichit au fil du temps de nombreuses visions de cauchemar : réseaux de trafic de crack et de prostitution qui opèrent à découvert dans les parkings, ordures qui s’amoncellent dans le vide central jusqu’au quatrième étage, serpents, fantômes et nombreux suicides. Certains de ces récits sont bien réels, pourtant, la notoriété de la tour amplifie toutes les projections et la malé¬diction de Ponte est aussi fictive que l’utopie qui lui a donné naissance. » En 2007, des promoteurs rachètent l’immeuble pour proposer des appartements de luxe. Les habitants sont peu à peu expulsés. Les appartements vidés. C’est dans ce contexte que Subotzky et Waterhouse investissent l’espace.
Ainsi le lecteur entre dans ce livre par une première série de portraits représentant certains des derniers habitants rencontrés dans l’ascenseur. Même lieu, même lumière froide, même cadrage. Les photographes ont proposé un échange à ceux qui acceptaient de poser, leur ont donné une photographie et en contrepartie ont pu visiter leurs lieux de vie. C’est ainsi qu’ils vont pénétrer dans les derniers appartements habités.
Puis d’autres séries suivent. « Nous avons répertorié systématiquement les éléments architecturaux de Ponte en prenant une photo de chaque porte et de la vue extérieure de toutes les fenêtres de chaque appartement. » En juxtaposant ces photographies, ils tentent de reconstituer les différents étages et donc la structure de l’immeuble. Les photographes vont travailler de manière systématique et photographier les portes, les fenêtres, puis les télévisions, autre fenêtre sur l’extérieur. Dans le livre, le lecteur rentre petit à petit dans l’intimité des appartements et des habitants, comme avec un zoom optique.
Le protocole de prises de vue mis en place par les photographes nous est dévoilé : l’idée de série et d’accumulation, la tentative de reconstruction du volume par une systématisation des prises de vue, la typologie du lieu. Les photographes ne se sont pas contentés de quelques portes ou fenêtres mais de toutes en commençant par le bas et en remontant petit à petit. La maquette du livre tout comme le dispositif de l’exposition reflète cette volonté de recréer l’espace et d’en produire une archive documentaire.
Les livrets ainsi que les autres photographies qui composent le livre (vue du bâtiment extérieur, de la piscine, du trou béant au centre de la tour comportant les gravas) nous donnent à voir l’expérience menée par les photographes de créer une mémoire d’un lieu et d’en donner un point de vue. Et le livre est conçu pour que le lecteur puisse envisager d’une manière différente cette mémoire.
C’est là qu’entrent en jeu les livrets. La première double page qui s’offre au lecteur représente la copie d’un article de journal découpé intitulé « Live in Ponte – and never go out ». Le premier livret correspond à cette page et s’imbrique parfaitement dans ce rectangle blanc. Maquette astucieuse donc. Ce livret compile des articles parus dans la presse depuis la construction du bâtiment et qui nous donne un historique de la tour.
Ainsi, il en va de même pour les seize autres livrets qui compilent des textes, des photos, des photocopies de documents proposant des informations d’ordre générales ou plus spécifiques. De même, un des livrets apporte des compléments d’informations sur des habitants tel que « Hallelujah » prénom d’une personne qui a travaillé durant trente ans au sein de Ponte et dont le premier job était de nettoyer la piscine. « Flat 3607 » donne à voir l’histoire fragmentaire d’un « clandestin » qui vivait à Ponte et qui a quitté précipitamment son appartement laissant derrière lui des documents, des traces. Les photographes se sont emparés de cette matière fragmentaire pour tenter de reconstituer son histoire.
Ce travail explore les différentes manières d’envisager la mémoire de ce lieu. Ainsi, le livre est également composé de photographies représentant des lieux vides, des appartements. Et sur chacune de ces photographies, une autre est incrustée d’une photographie trouvée dans ce même lieu. Le passé vient buter sur le présent par cette juxtaposition.
Ponte city est un travail magistral, une possibilité d’envisager l’archive et la mémoire d’un lieu que ce livre-objet rend palpable. L’exposition au bal entre janvier et avril 2014 en donnait une lecture similaire dans un agencement différent des photographies.

Anaïs Pachabezian

(1) Le Bal : http://www.le-bal.fr/fr/mh/le-bal-books/ponte-city-steidl/<small »>Ponte City
Mikhael Subotzsky & Patrick Watherhouse
Couverture rigide
Coffret cartonné avec une image sérigraphiée
17 livrets intérieurs

Design : Ramon Pez
Textes : Mikhael Subotzky, Patrick Waterhouse, Ivan Vladislavic, Ramon Pez, Lindsay Bremner, Denis Hirson, Harry Kalmer, Kgebetli Moele, Sean O’Toole, Melinda Silverman, Percy Zvomuya

Publié par Steidl
2013
88 €///Article N° : 12398

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Les images de l'article
Mikhael Subotzky & Patrick Waterhouse, Ponte City, 2008-2013 © Magnum Photos





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