« Je me suis forgée en tant que femme africaine avec le Kotèba »

Entretien de Julien Le Gros avec Maaté Keita

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À côté de l’Ensemble Kotèba que Souleymane Koly avait fondé dans les années soixante-dix en Côte d’Ivoire, il a aussi porté vingt ans plus tard deux compagnies féminines au succès retentissant, dont celle des Go de Kotèba. La chanteuse Maaté Keita en fait partie.
Africultures l’a rencontré ainsi que Souleymane Koly (lire ici l’entretien) dans le cadre du festival « l’Afrique dans tous les sens » en mai dernier

Comment a commencé ton aventure avec l’Ensemble Kotèba ?
Je suis arrivée à l’Ensemble Kotèba très jeune en 1981 par l’intermédiaire d’un de ces anciens membres. J’avais vu le Kotèba à la télévision et j’en suis tombé amoureuse. Je me suis dit que c’était une compagnie où je pourrais m’exprimer. J’étais très timide, introvertie. J’étais passionnée de chant et de danse. Pas de théâtre car j’étais analphabète et je n’avais pas été à l’école. Le 2 janvier 1981 j’ai passé une audition pour l’ Ensemble Kotèba et j’ai été retenue à ma grande surprise.

Que vous a apporté le Kotèba ?
L’Ensemble Kotèba a fait de moi l’artiste et la femme que je suis aujourd’hui. Ça m’a donné toute une éducation. Je n’ai pas seulement appris à chanter, à danser et à jouer. J’ai assimilé un discours panafricain qui a fait de moi une Africaine fière de ce qu’elle est et de ce qu’elle fait. Chaque fois que nous faisions une création ça n’impliquait pas que la Côte d’Ivoire ou la Guinée Conakry. Toute l’Afrique y était. Ça m’a beaucoup façonnée durant toute mon enfance jusqu’à aujourd’hui, puisque j’en fais toujours partie. J’y ai appris à lire et à écrire. Comme j’avais ce problème d’analphabétisme on m’a acheté un dictaphone. J’enregistrais mes textes au début. C’est comme ça que j’apprenais mes textes par cœur jusqu’à ce qu’un répétiteur m’apprenne à lire et à écrire.

Votre double culture ivoiro-guinéenne participe de cette démarche panafricaine souhaitée par Souleymane Koly.
Il fallait que je sois entre les mains de quelqu’un comme Souleymane Koly pour me rendre compte de la richesse de ma double origine ivoirienne et guinéenne. C’est en travaillant avec lui que j’ai approfondi ma langue maternelle : le Bété. Je suis née et j’ai grandi en Côte d’Ivoire. Ma mère est ivoirienne. Souleymane m’a dit de faire des compositions en Bété. Comme je ne le parlais pas correctement j’ai été obligée d’aller vers ma mère pour qu’elle me traduise dans sa langue. Au fur et à mesure j’apprenais et j’enrichissais mon Bété. Il a fallu que je sois au Kotèba. Si je mettais trouvée ailleurs aurais-je pris conscience de cette chance que j’ai d’avoir plusieurs cultures ?

Les Go de Kotéba c’est aussi la fierté d’être une femme africaine.
Je me suis forgée en tant que femme africaine avec le Kotèba. Miriam Makeba est un modèle. Quand j’étais gamine je l’écoutais beaucoup. Je ne comprenais pas ce qu’elle disait mais sa manière d’interpréter ses chansons m’interpellait. J’étais scotchée quand je l’entendais. Quand je suis devenue majeure j’ai découvert son histoire. Ça a encore augmenté l’amour que je lui porte. Souleymane Koly est un homme mais il m’a inculqué les valeurs de la femme africaine. Personne ne peut me l’enlever aujourd’hui. Je les défends bec et ongle sur scène et dans la vie. Scolariser les jeunes filles africaines est une étape fondamentale. C’est la femme au foyer chez nous qui éduque, qui gère les affaires de la maison. Au XXie siècle si tu ne sais pas écrire ne serait-ce que ton nom ou signer un papier, c’est compliqué ! Dans une société moderne l’homme n’a pas à avoir tous les rôles. Et la femme doit être éduquée et scolarisée. C’est un combat que je mène à travers ma musique.

Récemment vous avez joué dans la pièce La Saga des dames.
J’ai eu la chance de côtoyer ces deux jeunes femmes : Sayon Bamba et Pépé Oleka. J’ai été agréablement surprise de rencontrer ces jeunes filles afropéennes qui vivent en Europe et mènent le combat que moi qui vis en Afrique. Ça a été un vrai plaisir de travailler avec elles, d’apprendre à les connaître et de faire ce chemin ensemble. J’espère qu’on ira loin car on est plus fortes à plusieurs !

Où en sont les Go de Koteba aujourd’hui ?
On existe toujours. C’est un concept. On perpétue ce groupe pour que des jeunes filles de la nouvelle génération passent par là et aient accès à la même formation que nous. Certaines sont parties. J’en ai recruté d’autres. Je les ai formées. On a fait des concerts en Afrique avec cette nouvelle formation. On n’est pas encore venues en Europe. Mais ça continue !

///Article N° : 12348

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