« Il n’est d’arme plus sûre contre le racisme que la confiance en soi. »

Entretien de Christine Sitchet avec Nimrod

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Un attachement viscéral relie Nimrod à l’œuvre d’Aimé Césaire. Le poète prodige au verbe fulgurant dont on a célébré en 2013 le centenaire de la naissance. Celui-là même qui, faisant montre d’une détermination sans relâche, clama haut et fort son engagement anticolonialiste. Et qui, convoquant art poétique et engagement politique, éleva sa voix contre une discrimination collective pernicieuse attentatoire à la dignité de millions d’êtres humains. Celui qui s’efforça aussi de contribuer au réenchantement d’une identité discréditée. Et incarna plus qu’une voix de la révolte. Le poète dont la parole était pour André Breton « belle comme l’oxygène naissant ».
En septembre 2012 Nimrod a publié Aimé Césaire : « Non à l’humiliation »(1). Un « roman historique » à destination du public jeunesse paru chez Actes Sud Junior, dans une collection au titre éloquent : « Ceux qui ont dit non »(2). En 2008, il avait publié dans la même collection un ouvrage consacré à une autre figure au souffle rebelle : Rosa Parks(3).

J’aimerais commencer cet entretien en rappelant ces propos que vous avez tenus au sujet de Césaire dans une interview consacrée à Rosa Parks (4) : « Le poète martiniquais – dont c’est aussi le centenaire de la naissance cette année – disait que la négritude disparaîtrait lorsque cesserait non seulement l’oppression des Noirs, mais aussi celle de tous les hommes. » Une précision clairvoyante d’importance…
C’était aussi l’avis de Nelson Mandela, qui vient de disparaître. Pour lui, l’abolition juridique de l’apartheid représentait le commencement de son démantèlement qui, quant à lui, demandera beaucoup plus de temps. Les artisans des ségrégations passées – peu importe leur nom – n’ont aucun intérêt à abandonner leurs prérogatives. Les oppressions du type apartheid ou colonisation sont à la fois un système, un art et une politique.

En quelques mots, qu’est-ce qui vous vient spontanément à l’esprit en pensant à Aimé Césaire ?
C’est le seul grand homme que je connaisse qui, en une fraction de seconde, vous donne le sentiment que vous lui êtes indispensable.

Dans Aimé Césaire : « Non à l’humiliation », vous passez à travers le filtre de votre imaginaire et de votre verbe poétique des bribes de l’histoire de Césaire et faites de lui le narrateur. Qu’a représenté pour vous le fait de vous mettre dans la peau et dans la conscience de ce poète ?
C’est un travail d’imprégnation. Comme tel, le temps en est le seul garant : il vous rend familier de son univers, ainsi que de votre projet. Je suis condamné à mesurer à chaque étape de la fiction, l’audace et le respect que j’insuffle à l’œuvre et à l’auteur. Je dois confesser que l’œuvre césarienne est plutôt intimidante. La connaître assez intimement s’avère un handicap. J’ai dû résoudre tous ces problèmes à la fois.

Vous avez eu l’occasion de rencontrer une fois Aimé Césaire en chair et en os – ce qui ne fut pas le cas pour Rosa Parks à qui vous avez aussi consacré un « roman historique ». En quoi cette rencontre a-t-elle influé sur le travail d’écriture de votre livre ?
Certes, j’ai rencontré Aimé Césaire, mais je n’ai pas souvenir que cela m’ait facilité la tâche. Au contraire. L’instant de notre entrevue m’a sans doute aidé pour écrire les discours, visualiser certains lieux martiniquais ou parisiens.

L’humiliation, thème central du livre, déploie ses tentacules dès les premières pages. L’ouvrage commence alors que Césaire a douze ans, le jour de la rentrée des classes au lycée Victor Schœlcher (Fort-de-France). Ce lycée dans lequel les enfants sont majoritairement blancs ou métis forme l’élite martiniquaise. Ce jour-là, le jeune Césaire reçoit de plein fouet des offensives racistes nauséabondes proférées par des camarades de classe. Vous donnez à voir un sentiment de révolte naissant qui prélude au passage à l’action de Césaire : répliquer à l’humiliation par le verbe poétique. Vous qui savez ce que signifie ressentir dans sa chair et son âme la violence du racisme, que diriez-vous à un enfant pour l’aider à faire face au mieux à l’épreuve raciste ?
Si Aimé Césaire se défend si bien, c’est qu’il est un brillant élève ! Il n’est pas le seul Noir dans cette classe par hasard. À l’époque, j’ai oublié d’y faire apparaître Léon-Gontran Damas, qui est Mulâtre. Césaire sera le premier de la classe, Damas, son second. Pour se défendre, il faut donc trouver des ressources en soi, ce qui suppose la confiance, l’amour de soi, même dans l’indigence. Rappelez-vous Richard Wright dans Black Boy. Oui, il n’est d’arme plus sûre contre le racisme que la confiance en soi.

Souhaitez-vous partager une réaction de lecteur qui vous a particulièrement touché ?
Comme avec Rosa Parks : « Non à la discrimination raciale », il m’arrive de rencontrer des parents d’adolescents qui se mettent spontanément à partager leur émotion de lecteur d’Aimé Césaire : « Non à l’humiliation », sans se douter que j’en suis l’auteur… C’est extrêmement gratifiant !

Des parents qui vous confient, à leur insu, l’émotion suscitée par la lecture de votre livre : expérience effectivement valorisante. Qu’en est-il des lecteurs adolescents ?
Il y a chez eux la fascination de rencontrer un écrivain de chair et d’os. À partir de là, vous serez appelé à déconstruire leurs attentes, car leurs questions sont généralement du type : « Comment avez-vous fait pour dire « je » à la place de Césaire ?… Comment devient-on écrivain ?… Êtes-vous encore victime de discriminations, tout célèbre que vous êtes ?… » Et si vous dites : « Oui, je fais face aux petites mesquineries au quotidien », certains d’entre eux sont très choqués ! Comme vous pouvez le remarquer, c’est l’âge vif et tendre, qui a soif de certitude et d’amour universel, auquel on a affaire.

Diriez-vous que le « devoir de mémoire » – vis-à-vis des vivants et des morts – représente l’un de vos moteurs d’écriture ?
Je ne me suis jamais préoccupé de « devoir de mémoire ». J’écris sur Senghor ou Césaire – ou sur les auteurs de la négritude – pour dire ma filiation, voilà tout. Julien Gracq soutenait que tout écrivain devrait s’assurer que sa phrase s’enchâsse en amont et aval de celles de ses contemporains. Je suis resté fidèle à ce principe.

En octobre dernier, vous étiez de passage aux États-Unis pour participer à des conférences et colloques universitaires à l’occasion du centenaire de la naissance de Césaire. Qu’est-ce qui vous a particulièrement frappé ou ému ?
Curieusement, c’est le Cahier d’un retour au pays natal qui a été ma grande révélation. Car il célèbre une île, et New York est le prince des îles ! Quand on laisse sonner ce grand poème, on y entend toute la fureur new-yorkaise. Avec raison Allen Ginsberg y inscrit son grand-œuvre qu’est Howl, tout poète californien qu’il est.

(1) Nimrod Aimé Césaire : »Non à l’humiliation » Actes Sud Junior, 2012
(2)Collection dirigée par Murielle Szac.
(3) Nimrod, Rosa Parks : « Non à la discrimination raciale », Actes Sud Junior, 2008
(4) Le souffle rebelle de Rosa Parks, icône de la lutte pour les droits civiques. Entretien de Christine Sitchet avec Nimrod //africultures.com/php/?nav=article&no=11281#sthash.GUTGvT5D.dpuf
Propos recueillis par Christine Sitchet
New York
01/2014///Article N° : 12002

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Les images de l'article
© Marc Melki





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