Le Gwo Ka : « Une musique désormais présente partout ! »

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Pour sa huitième édition, le Gwo Ka Jazz festival élargit ses horizons. De la rumba congolaise, une jazzwoman belge Fanny Bériaux, sans oublier les fondamentaux de cette musique racine, entre la Caraïbe et l’Afrique

Tout commence par une rencontre sur un marché, entre deux Guadeloupéens : Liliane Coliné et Raphaël Epaminondas. Comme une évidence, ils décident de créer un festival de Gwo Ka. Après des débuts parisiens timides à l’Espace Saint-Martin en 2005, puis à la Java, le festival est depuis quatre ans au New Morning. « On est partis pour s’installer quelque temps là-bas. » sourit Raphaël. L’idée de base est simple : promouvoir cette musique en France. « On a beaucoup d’artistes de talents en Guadeloupe et on voulait leur donner une vitrine. Apporter un autre regard sur le Gwo Ka. Ensuite on a aggloméré du Jazz et d’autres influences. » L’objectif est aussi de créer une passerelle entre les artistes de Guadeloupe et de l’Hexagone. Et mine de rien, entre les diasporas africaines. L’intitulé du festival rappelle le lien indéfectible entre les musiques issues des champs de coton et celles de la canne à sucre.
Subventionné par la mairie de Paris, le ministère de l’Outre-mer, le conseil régional d’Île de France et plusieurs entreprises antillaises, le festival atteint sa vitesse de croisière « On se professionnalise. Notre public est de plus en plus mélangé. On y va aussi de notre poche pour boucler le budget. Mais les musiciens sont solidaires et raisonnables sur les cachets. » Parmi les artistes conviés cette année, on compte la fine fleur des musiciens caribéens : le bassiste martiniquais Thierry Fanfant, les Guadeloupéens d’Indestwa Ka et de Kan’nida, la chanteuse Véronique Hermann Sambin, mais aussi, comme pour pérenniser le cousinage entre Antilles et Afrique, les Congolais de Black Bazar.
Gwo Ka Master
L’un des piliers de cette édition se nomme Sonny Troupé. Ce jeune tambouyé (1) surdoué a beaucoup appris de son père, le saxophoniste Georges Troupé, initiateur d’une école de Gwo Ka à Sainte-Anne, en Guadeloupe. « Il faisait en sorte que les jeunes n’aient pas de jugements de valeur entre les musiques. Avant, dans la société guadeloupéenne, le Gwo Ka était perçu avec des connotations négatives, de vulgarité. Mon père a participé, dans les années soixante-dix, à l’élaboration du Gwo Ka moderne, en utilisant des instruments contemporains. Dans son école, on apprenait autant le Gwo Ka que le solfège, le Jazz, la musique latine… Cette école d’ouverture lui a survécu puisqu’elle existe toujours. » De fait, Sonny incarne une génération totalement décomplexée sur le Gwo Ka. « Au début on galérait pour faire des concerts. Maintenant, cette musique est présente partout, à la radio, à la ville, en zone rurale. Même dans les musiques urbaines en Guadeloupe on trouve un rythme Gwo Ka ou un chanteur traditionnel en invité. Il y a eu une vraie avancée au niveau de l’image cette musique. »
Mais au fait, qu’est-ce que le Gwo Ka ? « C’est la musique la plus ancienne de l’île, issue de l’esclavage. Les différentes ethnies africaines ont ramené leur culture. Cette musique, qui raconte leurs souffrances, était leur seul moyen d’expression et d’évasion. Au fur et à mesure, sept rythmes ont constitué la base du Gwo Ka, avec des chants spécifiques pour chacun des rythmes. Il y a deux types de tambour ka : un rythmique et un solo, plus une sorte de maracas : le Cha-Cha. Autour de cela, des chanteurs et des répondeurs, qui font les chœurs. Les rythmes peuvent traiter de l’amour, de la joie ou de la souffrance. » Si la souffrance n’est plus le moteur essentiel de cette musique festive, la transe et l’émotion restent omniprésentes. « L’exemple type c’est la soirée de veillée : Lewoz. On joue de dix heures du soir à cinq heures du matin. Et il y a encore du monde ! C’est un rythme si puissant qu’on n’a pas envie que ça se termine ! »
De Vélo à Kimbol
Mais n’est pas tambouyé qui veut ! Le Gwo Ka est une science complexe. Avant d’arriver à cette maîtrise Sonny a beaucoup écouté une des figures populaires du tambour Ka : Marcel Lollia, plus connu sous le patronyme de Vélo : « Son jeu de tambouyé était extrêmement moderne et mélodique, ce qui est rare pour un percussionniste. Jusqu’à aujourd’hui, on s’abreuve de ses phrases pour apprendre cette musique. » Sonny écume vite les lewoz, d’un bout à l’autre de l’île, jouant avec tout le gratin musical local : de Jacques Schwarz-Bart à Tanya Saint-Val en passant par Alain Jean-Marie. Sans oublier de former son propre groupe de référence Gwo Ka : Kimbol. Un nom qui puise directement dans ses racines : « Kimbol, en créole, c’est la kassav sans le coco. C’était un aliment pour les pauvres qui n’avaient pas assez de sou pour acheter la kassav. Il paraît que cela donnait de la force ! »
Transmettre l’oralité
Animé de cette force, Sonny a peaufiné son éclectisme musical en métropole, par un passage au Conservatoire de Toulouse. Plus tard, il a fait partie des musiciens antillais qui ont fait entrer de plain-pied leur tradition dans les très sélects clubs de jazz parisiens : « Ces deux musiques ont pour essence l’improvisation. Le chanteur, le soliste, le danseur de Gwo Ka sont constamment dans l’improvisation. Ça semblait évident de marier les deux. » Dès lors, pas étonnant sur son récent premier album solo : Voyages et rêves de croiser une palanquée de jazzmen : le trompettiste américain Kenny Garrett et le flutiste Magic Malik. Aujourd’hui, Sonny Troupé s’exprime en quartet, avec son complice, le pianiste martiniquais Grégory Privat, mais aussi le bassiste mauricien Mike Armoogum et son compatriote guadeloupéen Arnaud Dolmen au tambour, dans un univers hybride, entre Gwo Ka, Jazz, et samples Electro. Entre deux concerts, il anime des Master class de Ka, partant du principe que, même si la musique est orale elle s’enseigne. « Ce qui fait un musicien c’est le feeling, ce qu’il peut donner. Le Gwo Ka, de par son Histoire est oral et il ne faut pas dénaturer cela. Mais on peut l’enseigner théoriquement. Il y a même des partitions du répertoire du chanteur Robert Loyson. Le guitariste Gérard Loquel, a même écrit un traité du Gwo Ka moderne ! » Dépositaire de cet héritage, Sonny Troupé n’a pas fini de faire résonner son tambour ou sa batterie. « J’accompagne beaucoup de monde. En ce moment, je suis avec Grégory Privat pour défendre son album : Tales of Cyparis. Parallèlement, j’ai un nouveau projet Nouvo Lokans, dans lequel on retrouve Zagalo du groupe Kan’nida, Jean Pierre Coquerel d’Akiyo, le guitariste Christian Laviso, Arnaud Dolmen, et le bassiste emblématique du Ka : Mano Falla. Notre groupe, qui connaît parfaitement la grammaire du Gwo Ka, reprend les standards du genre, à la façon des jazzmen. » Prometteur !

En savoir plus :
– sur le programme du festival [www.newmorning.com]
– sur Sonny Troupé [sonnytroupe.com]

1. nom donné au joueur de tambour ka///Article N° : 11811

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Les images de l'article
Sonny Troupé quartet © DR





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