L’insaisissable Joburg vue par ses artistes

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Conçu par les commissaires Paula Aisemberg et Antoine de Galbert, respectivement directrice et président de la maison rouge, My Joburg est le 2e opus d’une série d’expositions mettant en avant « des scènes artistiques mal connues et particulièrement originales ». Après Winnipeg au Canada, cette nouvelle proposition présente les œuvres d’une cinquantaine d’artistes originaires de cette mégapole bouillonnante d’Afrique du Sud. Une manifestation placée sous le label de la saison sud-africaine en France.

Métropole insaisissable selon les propos d’Achille Mbembe (1), Johannesburg compte plus de six millions d’habitants dont pas moins de deux millions cinq dans le township de Soweto. Ville tentaculaire en pleine mutation, tant du point de vue urbanistique que de ses habitants. Des quartiers branchés jouxtent les townships. Les écarts de revenus et les disparités sociales sont toujours présents malgré la fin de l’apartheid. Cela donne une ville riche de contraste, de contradiction et en pleine effervescence.
Depuis plusieurs années, Joburg (surnom donné par ses habitants) est devenu un épicentre de créativité où peintres, photographes, vidéastes et plasticiens, produisent des œuvres chargées d’histoire sociale, politique et urbaine. L’apartheid, les injustices sociales, la pauvreté et les discriminations sont autant de thèmes passés et présents dont ils se nourrissent.
Une grande place est donnée à la photographie avec des artistes majeurs tels que Santu Mofokeng, Jodi Bieber, Guy Tillim, David Goldblatt (2) et Jo Ractliffe (3), ainsi que des plus jeunes qui émergent depuis quelques années, peu connus en France, comme Andrew Tshabangu et Sabelo Mlangeni. D’autres formes artistiques sont également présentes, montrant une diversité de travaux et de formes : des vidéos, des installations, des projections de performances artistiques et des œuvres plastiques (peinture, sculpture, etc.).
Un petit carnet marron donné à l’intention des visiteurs au début du parcours de l’exposition My Joburg à la maison rouge permet d’être renseigné sur les artistes et leurs œuvres. Malgré ce petit guide manuel, le visiteur peine à comprendre parfois le choix d’association des œuvres fait par les curateurs. Ce léger défaut n’empêche pas la visite et la découverte d’œuvres remarquables.
Parmi elles, la première intitulée Ponte city, du nom de cet immeuble emblématique de cinquante-quatre étages construit en 1976 pour les riches blancs. Mené par deux photographes, Mikhael Subotzky et Patrick Waterhouse, ce projet leur a demandé deux ans de travail pour explorer de manière systématique chaque étage de haut en bas de cet édifice. Soixante-douze photographies au total, représentant d’une part des vues de la ville de Johannesburg à travers des fenêtres et d’autre part, des portes, des grilles et quelques portraits d’habitants. Un travail documentaire magistral dont on ne voit qu’une petite partie et qui nous ouvre de multiples fenêtres sur cette métropole au sens propre comme au sens figuré.
Obsession sécuritaire

De nombreux immigrés sont venus s’installer au centre-ville, attirés par son essor économique. Les portraits filmés de Sue Williamson leur donnent la parole dans son œuvre Better lives. Ils sont là, mués, immobiles devant la caméra. En mettant le casque audio sur nos oreilles, leur récit de vie difficile nous parvient.
L’installation vidéo particulièrement intéressante de Zen Marie, Flyover : an ethnography, nous plonge dans la complexité urbaine de Joburg. Sur quatre écrans, le pont autoroutier qui ceinture le centre-ville est tour à tour objet d’analyse, d’usage ou lieu de vie. Nous percevons des mondes qui se croisent sans se rencontrer.
La violence, les discriminations, la pauvreté sont toujours très prégnantes dans cette société, malgré la fin de l’apartheid. Les artistes en font largement état comme Jane Alexander et son installation Security qui occupe à lui seul une pièce. Un double barbelé impressionnant entoure une parcelle de blé où se tient une figure mi-humaine, mi-animal. Entre les deux barbelés, des machettes s’amoncellent. Une œuvre dérangeante qui révèle l’obsession sécuritaire du pays (4).
Sur un autre plan, une œuvre oppressante, celle de Kudzanai Chiurai intitulé Iyeza. Durant onze minutes, une vidéo propose un time lapse d’une scène allégorique dans un pays d’Afrique non identifié, empruntant des références visuelles à l’histoire de l’art. La scène se déroule très lentement au point de voir les mouvements de tous les personnages : militaires, femmes faisant le ménage, homme faisant un sacrifice. Le clair-obscur et la musique contribuent à rendre la scène fascinante et pesante.
Steven Cohen lui utilise son corps comme œuvre d’art en s’affublant d’un chandelier-tutu et de chaussures à plateforme spectaculaires tel une drag-queen. Il déambule ainsi dans un camp de squatteurs, juste au moment où celui-ci est évacué par des agents municipaux. Le résultat est étrange et surprenant.
Les artistes assimilent le passé et en proposent leur lecture. C’est le cas de la jeune Mary Sibande dont le travail est un des exemples réussit de cette appropriation avec son personnage de domestique Sophie qu’elle affuble d’attributs à la fois liés à la condition de servante et en même temps à ceux d’une princesse. Ainsi, l’artiste s’affranchit de son histoire personnelle de domestique de mère en fille depuis plusieurs générations.
Dans une des dernières pièces, les photographies de deux artistes, Jodi Bieber et Candice Breitz nous proposent une vision moderne et positive de la société. Le township de Soweto se démarque de l’image violente et misérabiliste sous l’objectif de Jodi Bieber. Alors que Candice Breitz tente de questionner la place actuelle des blancs dans cette société en se faisant photographier dans des scènes d’une sitcom sud-africaine où le casting est composé exclusivement de comédiens noirs.
La relève est présentée dans la dernière salle par le projet Short Change du Market Photo Workshop où de jeunes photographes montrent leurs talents tels Mack Magagane, Jerry Gaegane et Dalhia Maubane.
L’exposition se veut une invitation à la découverte de cette ville, de ces artistes et de leurs productions. Si le visiteur veut poursuivre cette aventure avant d’aller acheter un billet d’avion pour Joburg, il peut se procurer le catalogue édité pour l’occasion qui se présente comme un guide de voyage un peu particulier où sont présentés les cinquante-quatre artistes, ainsi qu’un glossaire proposé par le duo commissaire/artiste Bettina Malcomess et Dorothée Kreuzfledt, invitées de cette exposition.

My Joburg du 20 juin au 22 septembre 2013 à la Maison rouge.

Anaïs Pachabezian

1. Titre d’un essai édité par Achille Mbembe et Sarah Nuttal Johannesburg : The elusive Metropolis
2. Fondateur du Market Photo Workshop. Lire l’entretien avec le directeur John Fleetwood « Le Market Photo Workshop : Une école de photo unique en Afrique du Sud » [article 10898]
3. Exposée aux Rencontres d’Arles 2013 dans le projet collectif Transition
4. Lire l’article de Julie Crenn « Exploser les Différences. L’art de Jane Alexander » [article 10104]
///Article N° : 11776

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Les images de l'article
Security, 2006 © Jane Alexander
Orlando West Swimming Pool, Orlando West, Soweto, 2009 - The Walther Collection, Ulm
© Jodi Bieber
Asanda Mbali, Nyanga East, Cape Town, 2011 - Stevenson Gallery, Johannesburg © Zanele Muholi
Ponte City from Yeoville, 2008 - Goodman Gallery © Mikhael Subotzky
Catalogue de l'exposition





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