Owiny Sigoma : Un uppercut musical Luo

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Quand des Anglais branchés de la scène londonienne rencontrent deux musiciens kenyans ça donne [Owiny Sigoma Band]Owiny Sigoma Band et l’album Power punch, une fusion électro inégale. Le projet a surtout le mérite de mettre en lumière une musique trop occultée en Occident : celle des Luos.

Ils sont cinq musiciens anglais, amis depuis l’adolescence, avec un look de dandy très sixties. À un membre près, on croirait presque à la refondation des Beatles. Leur culture va de Radiohead à Beethoven. Rien de très africain dans leurs références, à part une admiration commune pour Femi Kuti. Le batteur Tom Skinner fait toutefois partie de Steps Ahead, le backing band du fondateur de l’Ethio-Jazz : Mulatu Astatké. Et puis, en janvier 2009, une amie d’école, installée au Kenya, les invite, dans le cadre d’une association à but non lucratif : Art of protest. « On n’avait aucune idée de ce qu’on ferait. » avoue Tom Skinner. C’était un livre ouvert, sans attentes particulières. » Deux noms vont vite se détacher de cette immersion musicale en terre inconnue : Joseph Nyamungu Odhiambo et Charles Owoko. « Ce sont des musiciens chevronnés qui ont tout de suite retenu notre attention. » explique le bassiste du groupe, Louis Hackett. On a rencontré beaucoup d’artistes à Nairobi. Mais ces deux-là ont une personnalité magique qui nous a captivés. On a découvert cette musique qu’on n’a jamais entendue avant. Nyamungu joue une lyre à huit cordes traditionnelle : le nyatiti, qu’aucun d’entre nous ne connaissait. Le son et l’atmosphère nous semblaient totalement différents. On a établi une belle connexion avec leur univers. »

De Nairobi à la BBC
Tout a commencé par une rencontre avec Joseph Nyamungu au Kenya National Theatre, le lieu d’expression culturelle en vogue à Nairobi, où Joseph, un autodidacte surdoué, qui ne parle pas anglais, mais uniquement dholuo, la langue Luo (1) et swahili, donne des cours. « Ces jeunes anglais se sont renseignés sur le nyatiti » raconte Charles Owoko. « Je joue des percussions avec Joseph depuis longtemps. C’est mon ami. Nous venons de la région de Siaya, près du Lac Victoria, d’où la famille Obama est originaire. Joseph m’a appelé et m’a présenté ses nouveaux amis. Ils m’ont expliqué qu’ils voulaient en savoir plus sur les musiques en Afrique de l’Est. » De ce premier voyage résultent cinq titres, enregistrés à la volée, à titre de démo. « On a interagi avec eux. » indique Tom Skinner. « On s’est intéressé à leur musique traditionnelle Luo. On a joué leur répertoire et ils nous ont demandé d’apporter le nôtre. Ça a été un vrai échange dans lequel on a partagé nos cultures musicales respectives ». De retour en Angleterre, par le circuit du milieu underground londonien, les compères font écouter leur essai au célèbre animateur de l’émission Worldwide sur la BBC : Gilles Peterson. Le DJ au nez creux finance alors un voyage retour, en mai 2010, pour enregistrer un disque, signé sur son label Brownswood. Owiny Sigoma Band is born. Après une série de concerts un deuxième album, avec des titres live, voit le jour sous le nom de Power punch. Les notions de puissance et de punch collent bien avec l’univers Luo, énergique, brut, charismatique, habité par la transe ancestrale. Charles et Joseph constituent les deux clés de voûte d’un orchestre de fusion, dont l’habillage techno chic du quintet anglais est plus ou moins convaincant ou lancinant, voire irritant selon les morceaux.
Transmettre la culture Luo
Au Kenya une partie de la jeunesse, américanisée, s’est tournée vers un Rn’b Hip-Hop local : le Kapuka et le Genge, délaissant cette tradition jugée obsolète. Mais les deux artistes restent optimistes quant à l’avenir de leur musique. « La musique Luo, l’Ohangla, qui célèbre les esprits pendant nos cérémonies, est en pleine renaissance au Kenya. » s’enthousiasme Charles Owoko. Les gens pensent davantage à leurs racines. Les jeunes générations viennent apprendre le nyatiti. Quand les jeunes de Nairobi vont dans les zones rurales ils retournent vers leurs cultures originelles. Notre nyatiti devient de plus en plus connu de l’Afrique de l’Est à l’Afrique de l’Ouest. Il voyage partout. On peut le mélanger à tous les styles. On a deux écoles de musique pour apprendre l’instrument : « au Kenya national théâtre de Nairobi et dans la zone rurale de Siaya. Sur scène on fait pratiquer le public pour leur transmettre culture. » La transmission c’est toute la vie de Joseph Nyamungu, un homme dont le visage buriné s’éclaire quand il évoque ses liens avec la famille Obama, et son instrument sacré : « J’ai toujours essayé de partager mon instrument avec les jeunes. Avant, il y avait un problème générationnel. Le nyatiti n’était joué que par des gens d’un certain âge. Je joue dans le style traditionnel, et moderne comme le Benga (2). J’ai décidé d’enseigner pour éviter que notre culture se perde. Au cours de nos tournées, j’ai fait aimer cet instrument par des gens au Japon, au Canada, aux États-Unis… Même les femmes s’y mettent. Avant c’était réservé aux hommes. On a une dizaine de femmes comme Suzanna Owiyo, qui jouent le nyatiti et diffusent notre culture ! ». Et pour boucler la boucle, après une tournée internationale, Owiny Sigoma Band pourrait bien revenir aux sources du Nil et de cette musique : le lac Victoria, aussi appelé Nyanza. « On ne sait pas ce que l’avenir nous réserve » confie Louis Hackett. « On envisage de retourner enregistrer au Kenya, directement à la base, chez les Luos. » À suivre…

1. Les Luos représentent 13 % des quarante-trois ethnies du Kenya. Ils sont également présents en Tanzanie. Leur origine remonterait à Thèbes, en Haute-Egypte.
2. Le Benga est un genre musical créé à la fin des années quarante à Nairobi par des Luos, et qui s’apparente à la rumba congolaise
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Les images de l'article
Owiny Sigoma Band © Brownswood





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